Intervention de Jean-François Soussana

Réunion du 12 février 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

La parution, le 30 mars prochain, du rapport du groupe II du GIEC – j'ai contribué au chapitre consacré à l'Europe – permettra de mieux évaluer les impacts possibles du changement climatique sur l'agriculture, en particulier les risques pour la sécurité alimentaire.

Je voudrais tout d'abord insister sur le caractère incrémental du changement climatique : en France, nous connaissons depuis 1900 un réchauffement d'environ 1,5° qui se traduit dans l'agriculture par une avancée des dates de récoltes, de semis et de vendanges ; d'autre part, ce réchauffement s'accompagne d'une importante variabilité du climat, qui a de nombreux impacts sur l'agriculture.

Le continent européen a été confronté à une décennie d'extrêmes climatiques dont, en 2003, la sécheresse et la canicule qui ont frappé la France et les pays voisins jusqu'en Europe centrale, entraînant la perte de 20 à 30 % des récoltes et un déstockage de carbone de l'ordre de 0,5 gigatonne sur les écosystèmes, les forêts et les sols.

Ensuite, l'Europe du Sud a subi d'importantes sécheresses en 2004, 2005 et 2007, et en 2010 une terrible vague de chaleur s'est abattue sur l'ouest de la Russie, causant des dommages considérables à l'agriculture, à la forêt et, du fait de la multiplication de problèmes respiratoires dus aux feux, à la santé.

Dans le même temps, en 2007, l'Angleterre et le Pays de Galles ont été victimes d'inondations qui ont également provoqué des dommages considérables dans les cultures.

Enfin, en 2011, nous avons connu le printemps le plus chaud et le plus sec depuis 1880, avec des dégâts estimés entre 700 et 800 millions d'euros, soit une baisse de 23 % du revenu agricole au cours de la saison. Un tiers seulement des exploitants agricoles étant assurés, cet épisode a entraîné de graves problèmes économiques.

Au niveau mondial, par rapport à la production attendue si le climat n'avait pas changé, nous aurions perdu, de 1980 à 2010, 5,5 % de la production de blé et 3,8 % de la production de maïs. Nous enregistrons donc déjà un effet du changement climatique sur les rendements.

Qu'en est-il en France ? Le progrès génétique du blé se poursuit au même rythme, mais la stagnation de son rendement est attribuée pour partie au changement climatique. Cette part n'est pas connue avec précision, mais on a estimé qu'elle était comprise entre 30 et 70 %.

Dans ce contexte, l'INRA a engagé une série d'actions et de recherches. Nous avons en particulier organisé une veille agro-climatique qui permet de pronostiquer l'impact du climat sur les cultures en cours de saison. Nous avons également, avec le ministère de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt et Météo-France, mis en place le système ISOP – Information et suivi objectif des prairies – qui nous permet de diagnostiquer les impacts du changement climatique sur les prairies et qui fut particulièrement utile en 2003 et en 2011 ne serait-ce que pour estimer les calamités agricoles.

Nous appuyant sur un ensemble de modèles climatiques régionaux de qualité, nous avons acquis la conviction que, d'ici à la fin du siècle, nous connaîtrons une augmentation de la fréquence et de l'intensité des canicules et des sécheresses, essentiellement en Europe du Sud, ce qui englobe une grande partie de la France.

Quelles en seront les incidences sur les cultures ? Le Centre commun de recherche européen (Joint research centre – JRC) a réalisé des travaux détaillés de modélisation laissant prévoir pour une partie de l'Europe des pertes de production qui, en l'absence d'adaptation, pourraient atteindre 20 %. L'adaptation permettrait sans doute de remonter la pente, voire d'obtenir des augmentations de production, mais il convient d'en souligner les limites, du fait de l'impossibilité de semer en hiver sur des sols trop engorgés, de la faible productivité des variétés résistantes à la sécheresse et de la réduction de la quantité d'eau disponible pour l'irrigation, comme l'a rappelé M. Soubeyroux. Enfin, nous nous attendons à un développement accru des bioagresseurs, en particulier de ceux dont les vecteurs sont des arthropodes, c'est-à-dire les maladies à virus, les phytoplasmes et les infections fongiques hivernales.

Pour ce qui est de la viticulture, l'évolution climatique aura des effets sur la qualité du vin car les baies de raisin contiendront plus de sucre et moins d'acides organiques. En outre, du fait de l'extension du domaine de la vigne, de nouvelles zones viticoles risquent d'entrer en compétition avec nos vignobles. L'adaptation de la vigne requerra de nouvelles pratiques de taille, des recherches en oenologie, le recours à l'irrigation et des changements de cépage – mais l'exploitation de ces deux dernières ressources se heurtera aux dispositions régissant les appellations d'origine contrôlée. L'avenir du pinot noir en Bourgogne nous inquiète particulièrement car c'est un cépage adapté à un climat tempéré qu'il sera sans doute difficile de conserver dans la région.

S'agissant de l'élevage, nous observons que les animaux très productifs sont plus sensibles à la chaleur que les autres. Des mesures réalisées aux Pays-Bas montrent les effets négatifs d'une température supérieure à 18° sur la production laitière et des travaux français font de même pour les porcs à l'engraissement soumis à une température dépassant 21°.

En ce qui concerne les prairies, nous assisterons à une augmentation de la production en hiver et au début du printemps, mais à des risques accrus de pertes en été. Des changements de flore sont vraisemblables. Nous pouvons également craindre l'émergence de maladies comme la fièvre catarrhale ovine, véhiculée par un insecte, le culicoïde, et dont la propagation s'étend en Europe, ainsi que de la maladie de Lyme et des encéphalites véhiculées par les tiques.

La région méditerranéenne sera probablement la plus touchée, du fait de la conjonction de la réduction des ressources en eau, de celle des services rendus par les écosystèmes et, probablement, de celle de la production agricole, et, s'agissant des forêts, de la forte augmentation des risques d'incendie.

L'INRA a engagé sur tous ces sujets des travaux de recherche. Nous avons en particulier lancé un programme prioritaire sur l'adaptation au changement climatique de l'agriculture et de la forêt, portant sur l'ensemble des composantes – cultures, vigne et arbres fruitiers, élevage, forêts et écosystèmes. Nous étudions la résilience à moyen terme et les impacts à long terme et nous recherchons des pistes d'adaptation faisant intervenir à la fois la génétique et des changements de pratiques agricoles. Nous aimerions, en collaboration avec un ensemble d'institutions scientifiques et Météo-France, développer un portail de services sur tous les impacts du changement climatique et sur les adaptations nécessaires.

Enfin, en coordination avec le BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council), l'INRA s'est engagé dans une programmation conjointe de la recherche regroupant 21 pays européens fortement engagés sur ces questions d'agriculture, de changement climatique et de sécurité alimentaire.

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