Le territoire alpin est couvert à 40 % par de la forêt, contre 30 % en moyenne nationale. Une production annuelle de 7,5 millions de m3 y est exploitée, dont 60 % de résineux – l'exploitation annuelle de 1 000 m3 de bois représente quatre emplois dans la filière bois, ce qui fait de la forêt un important pourvoyeur d'emplois.
La forêt rend de nombreux services écosystémiques. En zones de montagne, outre la production de bois, elle joue un rôle important de protection en réduisant les risques liés aux mouvements gravitaires rapides. Elle est également source de biodiversité, mais c'est aussi un espace d'accueil du public et de loisir et les forestiers contribuent à l'entretien des paysages.
Le réchauffement et la survenue de climats plus secs auront des conséquences considérables pour les territoires de montagne – où la température chute de 0,6° par tranche de 100 mètres d'altitude. Une élévation de la température de deux degrés ferait monter de trois cents mètres l'aspect actuel d'une zone de montagne. Or les scénarios les plus probables prévoient une élévation de deux à cinq degrés, de sorte que ce glissement vers le haut pourrait atteindre jusqu'à neuf cents mètres.
La végétation en zone de montagne est répartie en fonction de l'altitude (étagement de la végétation). Au-delà de l'étage subalpin, caractérisé par des forêts de résineux, se trouve une zone limite, dite de combat, à partir de laquelle la végétation forestière ne pousse pas. Une augmentation de 2° fera remonter cette limite de plusieurs centaines de mètres, ce qui aura d'énormes conséquences en matière de gestion des risques naturels. Nous trouverons de la forêt dans des secteurs où il n'y en avait pas jusqu'à présent. En revanche, cette élévation de la présence des arbres aura des conséquences positives en améliorant la stabilité du manteau neigeux et en limitant les départs d'avalanche.
Nous allons assister à une migration des essences, certes limitée par des barrières naturelles dues aux reliefs, par la géomorphologie et par la diversité des sols. Cette migration suivra un mouvement général nord-nord-est et nous trouverons des feuillus à une plus haute altitude, au détriment des résineux. Aujourd'hui, comme je l'ai dit, la production de bois utilise 60 % de résineux, mais le rapport risque de s'inverser, ce qui obligera la filière bois à privilégier l'exploitation du bois-énergie et à modifier ses pratiques pour celle du bois d'oeuvre. D'autre part, le relief rendant difficile l'accès à la ressource, elle devra se doter des outils nécessaires pour aller chercher celle-ci de plus en plus haut. En résumé, la profession doit anticiper une adaptation de ses pratiques, et une réflexion sur l'aménagement du territoire devra être menée.
Certes, la forêt poussera mieux, plus haut, et elle sera plus productive, mais elle sera aussi confrontée à l'apparition de toute une série d'éléments indésirables : problèmes phytosanitaires, insectes ravageurs. La processionnaire du pin est désormais présente en altitude et le gui a remonté de deux cents mètres.
Cependant, les zones de montagne ont de larges facultés d'adaptation car le renouvellement des peuplements forestiers se fait essentiellement par régénération naturelle, ce qui permettra au patrimoine génétique de bien s'adapter.
Pour ce qui est des risques naturels, la communauté scientifique dans son ensemble prévoit l'augmentation, à court et moyen termes, des mouvements de terrain superficiels liés aux alternances de périodes de gel et de dégel, qui seront beaucoup plus marquées, et à la survenue, en moyenne tous les dix ans, d'une année catastrophique.
En revanche, mes collègues qui travaillent sur cette question n'ont pas produit de statistiques tendant à démontrer une augmentation ou une diminution des avalanches. Nous ne pouvons pas dire aujourd'hui quelles seront les conséquences du changement climatique sur ce phénomène.
Quant aux crues torrentielles, nous en enregistrerons davantage en période hivernale, mais elles ne causeront pas plus de dégâts.
Aujourd'hui, 30 % des forêts de montagne jouent un rôle de protection active contre les phénomènes naturels. Mais l'entretien des versants boisés coûte cher. Il ne s'agit plus de gérer un écosystème mais un ouvrage de protection naturelle, ce qui implique de se rendre sur le terrain, d'assurer la régénération des peuplements, de couper des arbres pour éventuellement les laisser sur place. Cette démarche est très efficace contre un certain type de phénomènes rocheux, contre les avalanches et contre les glissements superficiels. Si l'augmentation de la température de 2° se confirme, on estime que la surface des forêts ayant une fonction de protection passera de 30 à 38 %, voire à 40 %. La montée en altitude des feuillus rendra les forêts plus efficaces contre les chutes de pierres et celle des résineux diminuera le risque d'avalanche.
Nous sommes tous impliqués dans des programmes de recherche pour suivre ces évolutions. Nous avons effectivement besoin d'un observatoire. La montagne est un laboratoire à ciel ouvert. Nous disposons dans les Alpes du nord d'une Zone Atelier, que nous gérons avec la communauté scientifique française (CNRS, Universités...) et qui constitue une plateforme d'échanges avec nos collègues européens, et nous participons à différents projets européens, comme NEWFOR (NEW technologies for a better mountain FORest timber mobilization), dans le cadre du programme Espace alpin, ou ARANGE (Advanced multifunctional management of European mountain forests) et BACCARA (Biodiversity And Climate Change, A Risk Analysis) relevant du programme-cadre de recherche et développement (PCRD) et qui traitent spécifiquement de la gestion adaptative et des migrations des espèces forestières en zone de montagne.