Intervention de éric Chaumillon

Réunion du 12 février 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

éric Chaumillon, enseignant chercheur à l'Université de la Rochelle, directeur adjoint de l'unité mixte de recherche « Littoral Environnement et Sociétés, LIENSs » CNRSUniversité de La Rochelle :

Les littoraux sont des espaces extrêmement complexes en raison de l'interaction qui s'y fait entre hydrosphère, atmosphère, lithosphère et anthroposphère.

Il existe deux types de côtes : les côtes régressives et les côtes transgressives. Les premières gagnent sur les océans tandis que les secondes perdent du terrain. Il se trouve qu'en France, depuis des millénaires, nous avons des côtes essentiellement transgressives. Il est important de le savoir pour faire face à l'élévation prévue du niveau de la mer. Il faudra également prendre en compte le fait que le disponible sédimentaire, c'est-à-dire la quantité de sédiments sur nos côtes, est limité.

La variabilité des côtes en fonction des saisons étant très supérieure à l'érosion globale, il est difficile de faire émerger une tendance.

Selon une synthèse publiée par l'Institut français de l'environnement (IFEN) en 2007, 24 % du littoral métropolitain subit une érosion. Cette proportion est relativement peu importante parce que nous avons un fort pourcentage de côtes rocheuses et un grand nombre de systèmes estuariens ou lagunaires qui sont des lieux d'accumulation sédimentaire et, de ce fait, gagnent sur l'océan. Mais 23 % des terres urbanisées étant situées à moins de 250 mètres des côtes en recul, elles devront faire l'objet d'une attention accrue compte tenu des effets du changement climatique.

Le niveau de la mer s'élève globalement, depuis 6 000 ans, d'un millimètre par an, en France. S'il est peu connu, ce n'est pas un phénomène nouveau. Mais nous enregistrons depuis quelques décennies une accélération de cette élévation puisqu'elle est passée progressivement à 1,5, puis à 2 mm pour atteindre 3 mm par an.

D'autres facteurs agissent sur l'évolution des côtes : les vagues, qui transportent le plus de sédiments vers la côte ; les tempêtes, qui sont les agents morphogènes dominants puisqu'une seule tempête peut bouleverser la côte et provoquer une érosion spectaculaire pouvant aller jusqu'à 30 mètres, et enfin le débit fluviatile et la couverture végétale du bassin versant, qui sont aussi des pourvoyeurs de sédiments.

L'accélération de la hausse du niveau marin global est inquiétante et l'on prévoit pour la fin du siècle une élévation située entre 25 cm et un mètre. Cette élévation aura pour conséquence une transgression généralisée, c'est-à-dire un recul des côtes. Certains secteurs comme les fonds d'estuaire continueront à gagner sur la mer, mais les polders, qui sont coupés des apports sédimentaires par les digues, ne pourront pas s'adapter à l'élévation du niveau de la mer.

Il convient de prendre en compte la forte variabilité des réponses des côtes à ce phénomène, mais il est clair qu'elles vont reculer de plusieurs dizaines de mètres.

Les tempêtes sont assez mal connues parce qu'elles sont rares et que nous ne disposons pas d'instruments adaptés pour les étudier. Nous n'avons pas, en France, la preuve d'une augmentation de leur fréquence au cours des dernières décennies ou des derniers siècles. Nous savons en revanche qu'au petit âge glaciaire et au cours des derniers millénaires, des crises climatiques ont conduit à des érosions et à des transgressions responsables de reculs rapides et durables du littoral.

Le problème majeur que posent les tempêtes est celui de la surcote – il s'agit d'une élévation du plan d'eau non pas astronomique, à savoir liée à la lune et au soleil, mais due à des paramètres de pression, de vagues et de vent. Pour vous donner un ordre de grandeur, ces élévations quasiment instantanées peuvent atteindre 1,6 mètre, voire 2,4 mètres comme ce fut le cas lors de la tempête Martin, en 1999.

Quant à la conséquence des évolutions des paramètres des vagues sur les côtes, il faut retenir que les vagues sont à la fois capables d'engraisser les littoraux et de les éroder. Tout est affaire de seuil ; or ces seuils sont différents pour chaque côte, et qu'il est très difficile d'obtenir des mesures pendant ces événements Je voudrais insister sur ce phénomène très mal connu qu'est la circulation de retour induite par les vagues, c'est-à-dire sur la capacité qu'ont les fortes vagues de tempête à emporter des sédiments très loin en mer, jusqu'à rendre impossible leur retour à la côte.

L'augmentation de la taille des vagues devrait conduire à une érosion des côtes. Nous avons mis en évidence, comme un certain nombre de nos collègues étrangers, cette augmentation au cours du XXe siècle, mais les modèles de Météo-France et du GIEC ne la prévoient pas en France pour le siècle en cours.

Les stratégies d'adaptation des sociétés face aux changements climatiques sont au nombre de trois : le laisser-faire et le repli – la France possédant 7 000 km de côtes, il sera évidemment impossible de toutes les protéger –, le renforcement et le redimensionnement. Nous sortons d'une longue période au cours de laquelle nous nous sommes montrés conquérants face à la mer, comme en attestent de nombreux exemples de poldérisation. Désormais, il faudra probablement envisager d'abandonner certains territoires, de laisser inonder certaines régions côtières, ce qui empêchera l'eau de monter et d'atteindre des zones plus vulnérables ou qui représentent des enjeux plus importants.

Il existe deux types de défense face à l'érosion des côtes : les défenses dures et les défenses douces. Nous avons tendance à privilégier les premières en construisant des digues ou des épis, mais ces dispositifs font disparaître le sédiment, à savoir la plage, ce qui est un inconvénient majeur dans les zones touristiques. Quant aux défenses douces, c'est-à-dire le rechargement de la plage ou de l'avant-plage, très pratiqué aux Pays-Bas, des études ont montré que leur coût n'était pas forcément plus élevé que celui des défenses dures.

En conclusion, notre degré de connaissance de l'évolution des côtes et notre capacité à prévoir cette évolution sous l'effet du changement climatique sont assez limités. Il faut donc intensifier les recherches et les travaux. Créer un observatoire national des côtes permettrait de comparer les réponses des différentes côtes aux aléas climatiques. Nous avons attendu en France la tempête Xynthia pour établir un relevé précis des côtes grâce à un procédé laser de type LIDAR (Light Detection and Ranging). Alors que nous vivons cet hiver l'épisode le plus houleux des quinze dernières années, il serait intéressant d'enclencher un nouveau suivi du trait de côte pour comprendre ce qui s'est passé.

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