Intervention de Jean-François Soussana

Réunion du 12 février 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-François Soussana, directeur scientifique Environnement à l'Institut national de la recherche agronomique, INRA :

La question la plus vaste est sans doute celle de la stratégie à adopter : adaptation ou atténuation ?

L'INRA a conduit une étude sur le potentiel d'atténuation des émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture en France – soit, je le rappelle, plus de 20 % des émissions nationales. Par une dizaine de mesures, il serait possible de réduire ces émissions, sans toucher à la production agricole elle-même, dans une proportion difficile à calculer précisément, mais dont on estime qu'elle pourrait être de l'ordre de 20 %.

Il est également important de garder à l'esprit les perspectives temporelles. Jusqu'en 2050, comme l'a rappelé Jean-Michel Soubeyroux, les trajectoires climatiques sont largement fixées, car elles sont fonction d'émissions qui ont déjà eu lieu. Ce n'est donc qu'au-delà qu'il existe encore des incertitudes. Tout dépendra des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or, à l'échelle internationale, si le réchauffement atteignait 4 degrés, tout le système alimentaire serait menacé.

Pour la France, il convient donc d'examiner, pour la période qui court jusqu'à 2050, les enjeux de la variabilité climatique et de l'adaptation à cette variabilité. On peut appliquer des mesures locales et régionales en se guidant sur les enseignements de la veille agro-climatique. Les agriculteurs eux-mêmes peuvent, de façon autonome, s'adapter en modifiant les dates de semis ou de récolte – ainsi, en 2011, certaines céréales ont été récoltées en vert, car il était peu probable qu'elles puissent arriver à maturité. On peut aussi s'attacher à diversifier les systèmes agricoles : toute diversification permet de réduire les risques. Enfin, il faut bien sûr, quand cela est nécessaire, changer des variétés. Le rôle de la recherche et développement est d'informer et d'offrir de nouvelles options.

Au-delà de 2050, il faut songer à des adaptations planifiées. Vous avez raison, les dispositions régissant les AOC posent des problèmes particuliers du fait de leur caractère rigide ; il serait donc utile de débattre avec l'ensemble des acteurs concernés des conditions d'une certaine flexibilité, de manière à accompagner les changements plutôt que d'y résister – ce qui, en tout état de cause, ne serait pas possible très longtemps.

Cette réflexion sur des changements profonds, qui demanderont sans doute des infrastructures nouvelles, doit être engagée dès maintenant. Le temps nécessaire pour un cycle de sélection variétale est de dix à quinze ans : il ne nous reste donc que peu de temps pour agir.

Avec un réchauffement de 4 degrés à la fin du siècle, les risques deviendraient systémiques : toutes les interrelations entre l'eau, l'agriculture, la biodiversité, l'énergie… seraient alors à revoir. Nous avons déjà évoqué les relations entre l'eau et l'agriculture ; quant à l'énergie, vous savez que les barrages français sont très majoritairement gérés par EDF, qui a besoin aussi de refroidir ses centrales nucléaires. Mais, lorsqu'on se projette dans l'avenir comme cela a été fait dans l'étude Explore 2070 conduite par le ministère chargé de l'écologie, on constate que le taux de couverture des besoins agricoles va chuter : dans un scénario de réchauffement, les besoins d'irrigation ne seraient plus couverts. Il y a là un problème très sérieux.

On peut bien sûr passer du maïs au sorgho même si cela implique pour les filières de revoir quelque peu leurs technologies. On peut aussi adopter des méthodes avancées d'irrigation, beaucoup plus économes en eau, mais cela nécessite aussi des investissements. D'autre part, il nous faut absolument conserver nos ressources génétiques, car c'est le patrimoine dont nous dépendons pour nous adapter. Si ces ressources de biodiversité devaient elles aussi être menacées, nos marges de manoeuvre s'amoindriraient. Il faut enfin diversifier nos systèmes agricoles – c'est, je crois, le sens de la question sur l'agro-écologie. Si nous y parvenons, nous résisterons mieux aux chocs climatiques.

Il faut donc informer, communiquer, mais aussi investir dans la recherche et le développement et développer des stratégies régionales qui impliquent fortement tous les acteurs des filières et des territoires.

Sur les risques particuliers encourus dans chaque région, il est difficile d'être péremptoire car les modèles utilisés peuvent beaucoup varier. Mais il semble que le nord de la France serait plutôt menacé par les inondations, comme l'ouest – Poitou-Charentes et Aquitaine notamment – qui le serait aussi par les sécheresses ; on peut aussi s'attendre à un renforcement de la sécheresse dans le sud de la France – mais peut-être sur tout notre territoire.

L'INRA mène des recherches importantes sur ces sujets ; plusieurs de ses projets en matière de bioressources sont financés par les programmes d'investissements d'avenir : cela nous permet par exemple de conduire les travaux de fond sur l'adaptation des grandes cultures – blé, maïs, tournesol…

L'investissement est moindre dans les filières d'élevage, dont la situation risque pourtant d'être inquiétante. Ces filières traversent déjà une mauvaise passe et le réchauffement, qui fera chuter la production laitière et retardera la croissance des animaux tout en provoquant des dégâts sur les prairies, aura une incidence économique forte. Nous devrions donc investir dans ce secteur, comme, Guy Landmann l'a dit, dans celui de la forêt.

Nous menons des travaux sur l'outre-mer, avec le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) notamment. Dans ces territoires, le réchauffement se situe d'ores et déjà au-delà de la variabilité climatique habituelle et des adaptations assez profondes devront donc être engagées.

La France devant accueillir la 21e Conférence sur le climat en 2015, nous réfléchissons à l'organisation d'un colloque scientifique international qui aiderait à préparer cet événement. Avec le CIRAD et avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD), nous organiserons également à Montpellier, en 2015, un colloque sur les solutions d'adaptation de l'agriculture aux changements climatiques. Il existe aussi des programmes internationaux, consacrés par exemple à la télédétection – GEO-GLAM (GEO Global Agricultural Monitoring) – et à la modélisation des impacts du changement climatique – AgMIP (Agricultural Model Intercomparison and Improvement Project). Enfin, l'INRA a, avec d'autres instituts et plusieurs entreprises, lancé la Wheat Initiative – le blé étant l'une des cultures qui seraient les plus affectées par le changement climatique.

Dans le monde, ceux qui souffriront le plus seront les petits agriculteurs et les éleveurs des zones sèches : leur survie même sera menacée. Avec un niveau élevé de réchauffement, on risque d'enregistrer des impacts importants sur les prix, sur les marchés, et donc une aggravation de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire, ainsi qu'un accroissement des migrations…

L'ozone est effectivement un polluant atmosphérique qui touche les cultures, et nous constatons déjà les effets de cette pollution. C'est un problème non négligeable et qui peut avoir une incidence sur la production ; toutefois, les projections sont plus alarmantes pour l'Asie et pour l'Amérique du nord que pour l'Europe. Il est possible que l'augmentation du CO2 atmosphérique permette de réduire quelque peu les effets dus à ce gaz : d'après les estimations dont nous disposons, on resterait plutôt au même niveau de dommages à l'avenir. Mais l'incertitude est très grande : il faut donc y songer lorsqu'on établit des schémas de sélection et d'investissement.

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