Intervention de Frédéric Berger

Réunion du 12 février 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Frédéric Berger, responsable de l'équipe « dynamiques et fonction de protection des écosystèmes forestiers de montagnes » à l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture, IRSTEA :

S'agissant de l'ozone, je peux ajouter que j'ai participé, avec des collègues italiens, à un programme de recherche qui a analysé, dans le Tyrol italien, la répartition de l'ozone et ses conséquences sur des peuplements forestiers, notamment de mélèzes : la démonstration a été faite qu'il existe un accroissement de mortalité lors de pics de pollution. C'est donc bien une question importante.

Il faut bien insister : il est très difficile d'apprécier les interactions entre les différentes conséquences des changements climatiques. Ainsi l'augmentation des températures en montagne provoque une fonte du permafrost et des glaciers ; il y a donc davantage d'eau, ce qui veut dire plus de ressources pour l'hydroélectricité par exemple, mais aussi une déstabilisation des sols, donc davantage de laves torrentielles et de crues torrentielles, et des sécheresses plus importantes, donc des feux de forêts plus fréquents. Si l'on en arrive à la disparition du couvert forestier, ce sera un véritable scénario catastrophe.

Il existe des tendances démontrées : élévation de 0,8 degré de la température dans les sols de type permafrost, donc fonte de ces sols ; recul des glaciers, que chacun constate malheureusement, comme, par exemple, dans la vallée de Chamonix. Mais nous restons très prudents, car l'étude des synergies est infiniment complexe, en particulier pour ce qui est de la forêt – elle piège du carbone mais, en l'absence de gestion adéquate, ses capacités de stockage risquent de s'épuiser. Il faut donc conserver une gestion forestière dynamique pour que les arbres puissent continuer à stocker du carbone : cela veut dire aller en forêt, couper du bois et, pourquoi pas, l'y laisser. Mais il n'est pas toujours facile d'aller dans les forêts de montagne… On risque donc, si l'on n'y prend pas garde, d'avoir à la fois une surexploitation des zones les plus faciles d'accès et une capitalisation, c'est-à-dire des arbres qu'on laisse grandir, dans les zones plus difficiles d'accès : dans ce cas, les capacités de stockage du carbone seront moindres et les peuplements vieilliront, ce qui veut dire que les arbres seront beaucoup plus sensibles aux tempêtes, aux ravageurs, au vent… On peut alors enregistrer, du jour au lendemain, des disparitions sur de vastes surfaces.

Pour remédier à ces phénomènes, il faut commencer par bien connaître la ressource, c'est-à-dire établir des cartes, identifier les fonctions de chaque zone de la forêt – protection, production… Sur ces fondements, on peut mettre en oeuvre une sylviculture raisonnée et respectueuse des services rendus par ces écosystèmes. Il nous faut donc des données sur une très vaste échelle. La télédétection ouvre des perspectives intéressantes. La technologie LIDAR de scannérisation aéroportée, déjà mentionnée par M. Chaumillon, va constituer une véritable révolution : la résolution obtenue est sans commune mesure avec celle que permettaient les procédés utilisés jusqu'ici – de cinq à vingt-cinq points par mètre carré, au lieu d'un point tous les vingt-cinq mètres ! – et elle procure des informations non seulement sur le sol, mais aussi sur les obstacles – dont les arbres font partie. Plusieurs programmes de recherche, notamment le programme NEWFOR, visent à une meilleure connaissance de la ressource forestière grâce à ces nouvelles technologies : nous pouvons maintenant évaluer la ressource avec une précision de l'ordre de 80 %.

Nous avons besoin de représentations mathématiques de très vastes étendues forestières, mais le recours à la technologie LIDAR coûte cher et la France est malheureusement en retard par rapport à ses voisins alpins : la Suisse, l'Autriche, les provinces autonomes italiennes en sont à la deuxième campagne d'acquisition de ce genre de données. En France, la montagne ne couvre que 25 % du territoire et l'acquisition de données n'a pas été considérée comme prioritaire ; c'est pourtant dans les massifs qu'on rencontre des chutes de pierre, des avalanches, la fonte de glaces, des crues torrentielles… Des programmes d'acquisition à vaste échelle sont donc indispensables.

Nous faisons un effort de communication : nous transmettons nos travaux aux services déconcentrés de l'État, en particulier aux directions régionales de l'agriculture et de la forêt, mais aussi à nos collègues de l'Office national des forêts et aux centres régionaux de la propriété forestière. Nous intervenons dans les écoles et les universités comme auprès des conseils généraux et des autres collectivités, notamment auprès des communautés de communes. Beaucoup de ces dernières, surtout en Isère, commencent d'ailleurs à envisager de financer leurs propres acquisitions de données LIDAR et donc leur propre cartographie de la ressource forestière et des fonctions de la forêt.

J'ajoute que, dans le cadre du Plan d'adaptation au changement climatique, le ministère de l'agriculture nous a confié une cartographie des forêts à fonction de protection : nous travaillons aujourd'hui sur un département pilote, l'Isère, ainsi que sur les Pyrénées. Nous avons ainsi pu développer une méthode de cartographie des forêts à fonction de protection contre les avalanches et les chutes de pierre. Il est tout à fait essentiel de continuer ces travaux, qui tiennent à la fois de la recherche et du développement.

Pour apprécier les effets du changement climatique, il est nécessaire d'avoir du recul : le forestier y est habitué mais, pour cela, il a besoin d'observatoires – d'observations, d'observateurs, d'instruments de mesure. La Zone Atelier Alpes est un exemple de ce qu'il faut faire. Malheureusement, s'il est relativement facile de trouver des financements pour créer un observatoire, l'argent manque très souvent pour le faire fonctionner. Si je puis m'autoriser un souhait, ce serait celui-ci : donnez-nous les moyens de maintenir ces instruments de recherche !

Enfin, il faut avoir accès à la ressource : il faut aménager le territoire, planifier… Certains secteurs forestiers sont sous-exploités et la dynamique des peuplements y est catastrophique : il faut donc faire renaître des compétences que nous avons malheureusement perdues. Ainsi l'usage du câble pour l'exploitation de la forêt était une compétence assez forte en France dans l'entre-deux-guerres, mais elle s'est perdue à la fin de la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, il n'y a plus sur le territoire alpin que trois câblistes… Il faut aider ces entreprises. Il faut une politique volontaire pour aller chercher la ressource, notamment le bois-énergie.

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