Je suis moi aussi très honoré d'avoir été invité à cette rencontre, même si je me suis posé la question de savoir pourquoi nous étions invités. Le concentré de la pensée de l'Église catholique sur la dissuasion nucléaire depuis soixante ans est que rien de ce qui concerne la guerre et les armes, en particulier la dissuasion nucléaire, ne doit être une évidence, que cette question doit demeurer inconfortable et que la réflexion à ce propos doit être permanente. Nous refusons une doctrine militaire de la dissuasion nucléaire permanente – tout est dans ce dernier mot.
La pensée de l'Église dans ce domaine s'est beaucoup développée à partir de 1965 – et un peu avant, avec le pape Pie XII. De fait, ni Saint Thomas d'Aquin, ni Saint Augustin n'ont parlé de la dissuasion nucléaire !
Un texte fondateur à ce propos a été promulgué en 1965 lors du Concile de Vatican II, réunion de tous les évêques du monde tenue à Rome : Gaudium et spes – en latin : « la joie et l'espoir » –, dans lequel l'Église réfléchit, à la lumière de la foi, mais aussi simplement du bon sens de la raison, sur l'homme et sur le monde.
On a beaucoup dit que la réflexion déployée par l'Église depuis cinquante ans, notamment dans les interventions des papes ou de notre ministre des Affaires étrangères dans le cadre de l'Organisation des Nations unies (ONU) ou d'autres organisations internationales, était liée au contexte de la guerre froide. Je récuse cette position, même s'il est vrai qu'une certaine légitimité morale peut être liée à un contexte particulier. Les principes sont, en fait, toujours un peu les mêmes : l'Église n'aime pas la guerre – elle la déteste même – et elle chérit la paix.
Pour ce qui concerne la dissuasion nucléaire, l'Église distingue trois éléments : la possession, la menace et l'emploi.
L'emploi de l'arme nucléaire a toujours été condamné – et pas seulement par l'Église. Gaudium et spes précise à ce propos que « tout acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes entières ou de vastes régions avec leurs habitants est un crime contre Dieu et contre l'homme lui-même ». Cette formule ne s'applique pas à la seule arme nucléaire : on peut notamment penser à certains actes de guerre de la Seconde Guerre mondiale, où la destruction de villes entières était destinée à terroriser ou à écraser la population.
La question de la menace est déjà plus subtile. La menace est également condamnée, et pas seulement par l'Église, car cette condamnation fait l'objet de l'arrêt du 8 juillet 1996 de la Cour internationale de justice. On entre là cependant dans des débats psychologiques subtils : quelle est la différence entre dissuasion et menace ?
Certains cas sont simples. On m'a ainsi invité récemment à changer le mot de passe de mon compte de messagerie électronique pour un code compliqué, composé d'au moins 15 signes et comportant des majuscules et des minuscules. À défaut, en effet, on peut déverrouiller votre compte en quelques minutes à l'aide d'un petit logiciel trouvé sur Internet et s'emparer de tout votre carnet d'adresses. Comme pour les banques, plus votre protection est forte, plus vous dissuadez l'adversaire, qui préférera une cible lui demandant moins d'énergie.
Une dissuasion passive de ce genre ne pose guère de problèmes, mais la dissuasion nucléaire, présentée comme un « bouclier », comme notre « assurance-vie », ne fonctionne pas comme un coffre de banque : elle suppose la possibilité de l'emploi extérieur de l'arme nucléaire.
Si nous parvenons à distinguer la menace de la possession dissuasive, il nous faut alors condamner l'emploi et la menace : nous n'avons jamais le droit d'employer une arme nucléaire ou une arme de destruction massive pour menacer. La question se pose alors de la possession de l'arme nucléaire, liée en France à la doctrine de la dissuasion.
La dissuasion est une guerre psychologique – le grand rabbin Korsia a très justement évoqué à ce propos le fort et le fou, car on peut à juste titre se demander si l'on peut dissuader un fou.
Tout d'abord, la question de la dissuasion nucléaire s'inscrit dans le cadre plus général de la possession des armes, dont la légitimité relève, du point de vue de l'Église, de la théorie de la « guerre juste », que je ne rappellerai pas ici. Cependant, quel que soit l'armement, l'Église, comme tous les hommes de sagesse, a toujours dénoncé la course aux armements comme une plaie très grave de l'humanité. Reste à savoir si la possession de l'arme nucléaire n'entraîne pas précisément une prolifération et une course, sinon la quantité, du moins à la qualité. Une guerre juste ne pouvant, par principe, être que défensive, la possession d'armes rejoint toujours la question de la défense et doit notamment viser à dissuader d'attaquer.
La question de la guerre juste et de la possession de l'arme se complique avec la responsabilité de protéger : parler d'une guerre de défense au niveau global relève d'une grande subtilité. La théorie catholique de la guerre juste doit donc aujourd'hui être complètement repensée à partir de la notion de « responsabilité de protéger ».
En se replaçant du point de vue de la possession des armes, on peut donc se poser la question de la course aux armements et se demander si notre dissuasion globale – avec les armements classiques et de destruction massive – est globalement correcte dans son fonctionnement psychologique. Pourrait-on par exemple imaginer une dissuasion nucléaire fonctionnant seule, sans la composante de l'armement classique ?
Deuxième point : l'Église distingue bien, comme à peu près tout le monde, les armes classiques et les armes de destruction massive – que nous appelons aussi « armes scientifiques » et qui recouvrent aussi bien l'arme nucléaire que les armes biologiques, chimiques ou même informatiques, comme nous avons pu nous en faire une idée lors d'une récente visite chez Thales. Dans ce domaine comme ailleurs, l'Église s'attache à adopter une approche plus large et plus haute.
Ce qui permet de distinguer ces armes des autres est à la fois leur puissance et leur incapacité à discriminer : par définition, une arme de destruction massive induit immédiatement des dommages collatéraux sur les populations civiles. La puissance et l'indiscrimination de ces armes provoquent un basculement dans la guerre totale.
Troisième point : la doctrine de la dissuasion. Le texte de Gaudium et spes que j'ai cité ne jette pas de condamnation définitive sur la dissuasion même, malgré ce que pourraient laisser penser les positions prises notamment par certains évêques. Cependant, le ministre des Affaires étrangères du Saint-Siège, Mgr Mamberti, expliquait le 26 septembre 2013 à l'ONU que l'obstacle principal empêchant de commencer un travail d'élimination progressive et contrôlée des armes nucléaires était l'adhésion persistante à la doctrine de la dissuasion nucléaire. L'idée, déjà développée par le pape Benoît XVI, est que nous ne pouvons justifier la poursuite d'une politique de dissuasion nucléaire permanente. En d'autres termes, nous ne pouvons pas nous contenter d'une telle politique et nous devons tendre vers la disparition totale des armes de destruction massive, en particulier de l'armement nucléaire.
Dans la voie du désarmement total, en particulier nucléaire, se manifeste un blocage psychologique que l'Église identifie comme une croyance presque dogmatique, et pas nécessairement fondée, dans la doctrine de la dissuasion nucléaire. Ce blocage nous empêche réellement et concrètement de mettre en place non seulement le traité de non-prolifération, mais aussi, progressivement, un désarmement général, équilibré et contrôlé. Cela a toujours été la position officielle de l'Église, même si certains mouvements catholiques, comme Pax Christi, invitent de manière répétée la France à un désarmement prophétique unilatéral. Ce n'est pas, je le répète, la position officielle des papes, ni celle qui s'exprime dans les nombreux documents que j'ai pu lire à ce propos. Ainsi le pape Benoît XVI évoquait-il en 2006 un désarmement progressif concordé, ou une réduction parallèle et simultanée, ou encore un désarmement général, équilibré et contrôlé.
En effet, l'Église n'imagine pas qu'un monde sans armes nucléaires soit ce monde-ci dont on aurait retiré les armes nucléaires – ce serait simpliste. Pour qu'il y ait un désarmement nucléaire, il faut que nous commencions à changer le monde, c'est-à-dire que nous travaillions par exemple à une réforme profonde et concrète de l'ONU, évoquée par Benoît XVI et Jean-Paul II – je pourrais citer à ce propos des passages entiers de la doctrine sociale de l'Église. Il faut une gouvernance mondiale capable d'établir un droit et de le faire respecter, c'est-à-dire de lui associer une force concrète, réelle.
L'Église n'appelle donc pas à un désarmement prophétique et unilatéral de tel ou tel pays, mais à un désarmement global et général, liant trois aspects : le désarmement, la non-prolifération et l'interdiction des essais nucléaires.