Madame la présidente, je vous remercie moi aussi pour votre invitation à m'exprimer devant les députés. J'ai eu cependant quelques difficultés à l'accepter et il me semble utile de préciser, au début de mon intervention, que celle-ci s'inscrit exclusivement dans le cadre de mes fonctions d'aumônier militaire en chef du culte musulman et que je ne saurais représenter l'islam en général, car l'islam n'a pas de clergé et ne pourrait aucunement présenter une position unique, comme vient de le faire l'aumônier en chef du culte catholique.
La religion musulmane, dont le Coran est le texte de référence, pourrait cependant se reconnaître dans les positions exprimées par le grand rabbin Korsia et par Mgr Ravel pour leurs religions respectives. Le mot « islam », qui signifie « soumission à Dieu », exprime également, dans son étymologie, la notion de paix. Ce mot se retrouve également dans les Hadith, les propos du prophète de l'Islam, qui affirment que l'homme doit être en paix avec lui-même et avec ses semblables, et montrer de la compassion – ce sont là les fondements de tout engagement communautaire. Le croyant établit également un lien de paix avec la nature, qu'il doit respecter sans en abuser. Le saccage des ressources terrestres et des récoltes, ainsi que la corruption du vivant, sont du point de vue de l'islam des formes d'agression contraires à la grande harmonie qui devrait régner entre les êtres – mais, hélas, les hommes sont libres de suivre le chemin contraire.
On pourrait penser que tout est dit, mais l'islam revient malheureusement dans les débats à propos de la violence qu'on le soupçonne de véhiculer. Il importe donc de préciser à ce propos que la religion musulmane se caractérise par une multitude de courants, du mieux disposé à l'égard de l'époque moderne aux plus fondamentalistes, qui cherchent revenir aux premiers temps de l'islam sans égard pour les idées du présent. Entre ces bornes, où l'on retrouve aussi bien des intellectuels qui oeuvrent pour faire entrer l'islam dans la modernité que des adeptes d'un retour aux sources, le spectre du croire islamique est vaste et fait l'objet de toutes les interrogations.
Cela est notamment vrai à la faveur d'événements récents qui ont impliqué des acteurs se présentant comme désireux de faire revivre l'islam du commencement : le débat public en la matière est riche, en particulier depuis le 11 septembre 2001, événement mondial qui a suscité l'émoi et l'effroi, ainsi que de nombreuses questions sur l'éthique religieuse qui a pu justifier de tels actes. Le nombre de victimes et la violence des attentats du 11 septembre 2001 ont choqué et ont modifié pour de longues années encore les consciences et les raisonnements. Cette date est ainsi historique pour tous.
La conception de l'islam invoquée par les responsables de ces actes pour justifier une pareille posture est le salafisme, courant qui passe depuis lors pour un mouvement radical prônant la destruction des ennemis de l'islam, au besoin par le combat armé. Or, ce courant est pluriel et comporte de nombreuses interprétations. Existant depuis les premiers siècles de l'islam, il postule que la meilleure manière de vivre cette religion s'aligne sur l'éthique des premiers temps, sans autre forme d'allégeance. Cela justifie sa dynamique fondatrice, quête constante de purification de la pratique religieuse sur la base d'un incessant retour aux sources. Ce paradigme se distingue systématiquement par une velléité de ressusciter l'islam des origines, celui des « ancêtres pieux ». Sa pratique est également plurielle et propose différentes visions. Certains légitiment le recours à la violence en adoptant une lecture véhémente du djihad. Ce mot, entré dans la langue française et utilisé par les médias, fait aujourd'hui l'actualité lorsque l'on apprend que de jeunes Français se rendent en Syrie pour « accomplir le djihad ». Sa définition première est un « effort sur soi-même » que doit accomplir l'individu et il existe d'autres mots pour désigner la guerre et les combats. Selon les textes de l'islam, la guerre n'est pas sanctifiée. Il n'existe pas de « guerre sainte » en islam.
D'autres intègrent le jeu politique légal pour faire valoir leur agenda religieux. D'autres enfin cherchent à purifier leur pratique, sans intérêt pour l'activisme politique, et se reconnaissent dans une démarche quiétiste. Les fondamentalistes sont bornés à la fois par ceux qui veulent faire entrer l'islam dans le concert des nations et par les quiétistes, qui représentent aujourd'hui la plus grande partie des musulmans en France.
De nombreux débats centrés sur la violence de certains groupes salafistes, notamment lors du débat consacré à la place du voile intégral, ont marqué depuis plusieurs années le débat public en France et ont attiré l'attention sur cette forme particulière de croyance islamique, à tel point que le terme de « salafisme » est souvent employé pour décrire un raisonnement radical, extrémiste ou sectaire. Le lecteur néophyte sera certainement surpris par l'emploi d'un terme importé du référentiel islamique dans la bouche d'un ministre de la République ou au sein même de l'Assemblée nationale, où un député a pu déclarer, dans le cadre d'un débat consacré au code du travail : « Nous avons une lecture salafiste du code du travail, comme s'il était intouchable, définitivement ininterprétable, sauf par les seuls oulémas de la Cour de Cassation ».
Je ne m'éloigne pas vraiment du thème de notre rencontre, qui est la dissuasion nucléaire. J'établis en effet un distinguo entre la notion de dissuasion, qui consiste à posséder l'arme nucléaire et qui ne pose pas de questions religieuses car il s'agit d'une question purement politique, et l'utilisation de cette arme, qui peut quant à elle susciter des questions éthiques, morales et religieuses. Acquérir la dissuasion nucléaire donne à la France une forme d'autonomie, de liberté et d'indépendance. Notre pays a également des missions à remplir lorsqu'il conclut des traités internationaux de protection et doit préserver sa crédibilité dans le concert des nations, comme on l'a vu lorsqu'il a pris une position ferme lors de la deuxième guerre du Golfe face à l'intervention américaine en Irak. La voix de la France n'aurait peut-être pas été entendue si la France n'avait pas eu de siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, ni d'arme nucléaire. D'autres diront peut-être aussi que la possession de l'arme nucléaire est une forme de prestige.