M. l'imam Arbi avait précisément associé éthique religieuse et le 11 septembre pour préciser que ceux qui prétendaient avoir commis ces attentats au nom d'une éthique religieuse étaient dans l'erreur et ne pouvaient pas se prévaloir d'une telle justification.
Monsieur Dhuicq, puisque vous êtes psychiatre, permettez-moi de souligner que la guerre, l'arme nucléaire et le bombardement des villes, que vous avez évoqués, nient le visage de l'autre. Dans une vision levinassienne, on recherche dans le visage de l'autre le reflet de son propre visage, et nous sommes ici dans une confrontation des êtres. Mes trois confrères ont rappelé à très juste titre que, de tout temps, on a considéré qu'un armement était insupportable. L'Église a ainsi interdit jadis le carreau d'arbalète, qui avait cela de scandaleux qu'il permettait à un manant de transpercer une cuirasse, alors que le seul combat digne était celui qui se livrait entre chevaliers. Il me semble toutefois, monseigneur, que l'emploi du carreau d'arbalète était permis contre les Sarrasins… Toujours est-il que la question de l'armement était toujours posée selon une certaine gradation.
Les combats de la guerre de 1914-1918, évoquée par Mme Récalde, se caractérisaient par des morts de masse, sans individualisation du visage de la victime. C'est là qu'est apparu le concept du soldat inconnu – celui dont on n'est même plus capable de garder le visage. Le nucléaire porte cette peur de la négation de notre propre visage dans la négation de celui qui est mort. La mort est toujours affreuse, en quelque lieu que ce soit et de quelque manière que les bombes vous écrasent, mais ce sont aujourd'hui les conditions d'utilisation par celui qui frappe qui nous posent question. C'est donc bien notre propre visage que nous recherchons, ou que nous ne recherchons pas, et une société restera digne tant qu'elle se posera cette question. Il nous faut protéger nos citoyens et notre société, mais nous ne pouvons pas le faire en nous en lavant les mains, sans considérer que cela nous touche. Il faut trouver même dans celui qu'on est obligé de frapper un visage humain.
Dans La Bible, lorsque les Égyptiens s'engagent derrière les Hébreux qui passent la mer Rouge, la mer se referme sur eux. Les Hébreux et les anges se mettent alors à chanter et se tournent vers Dieu en s'étonnant qu'il ne chante pas avec eux alors que son peuple est sauvé. Dieu répond alors : « Vous voulez que je chante, alors que mes enfants sont en train de mourir ? ». Malgré tout le mal que les Égyptiens avaient fait aux Hébreux pendant 400 ans d'esclavage, ils n'en étaient pas moins des enfants de Dieu. Même si l'on ne croit pas en Dieu, on espère au moins en l'homme et nous devons toujours retrouver dans le visage de l'autre notre reflet, notre propre visage.