Intervention de grand rabbin Haïm Korsia

Réunion du 12 février 2014 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

grand rabbin Haïm Korsia, aumônier militaire en chef du culte israélite :

Monseigneur, lorsque vous faites référence au mariage, vous en parlez en théorie, alors que nous autres pouvons en parler d'expérience… Vous soulignez cependant à juste titre qu'il est difficile de faire vivre ensemble deux personnes, deux peuples, deux mondes. La problématique levinassienne insiste sur le respect de la dignité égale de l'autre : ce que je veux pour moi, je vais me battre pour que l'autre l'ait aussi. La traduction juive du « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » est : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse ». De même que je ne veux pas qu'on m'impose quelque chose, je n'ai pas à l'imposer aux autres. La théorie de l'emploi ou du non-emploi de l'arme nucléaire est qu'elle nous permet d'être autonomes, c'est-à-dire de décider nous-mêmes de ce que nous voulons.

Je compléterai ce que vous avez dit de la brisure du coeur en citant Rabbi Nahman de Braslav, qui déclarait qu'il n'y a pas de coeur plus fort qu'un coeur brisé. Puisque nous allons commémorer la Première Guerre mondiale – je préfère le verbe « remémorer », qui indique que l'on revit la force, l'engagement, les espérances, la déception, l'amertume, la souffrance et la réconciliation –, je rappelle que Maurice Barrès, évoquant enfin la réconciliation, dans Les diverses familles spirituelles de la France, paru en 1917, cite en exemple le grand rabbin Abraham Bloch, qui meurt le 29 août 1914 à Tintrux, dans les Vosges en tendant un crucifix à un militaire catholique mourant qui l'avait pris pour un prêtre, et voit dans ce geste quelque chose de cette fraternité où chacun veut pour l'autre ce qu'il attend pour lui. À la différence d'autres pays, nous avons connu la guerre sur notre sol en 1870, en 1914 et en 1940 et nous savons ce que c'est : je vois dans la spécificité française en matière d'utilisation de l'arme nucléaire la détermination de protéger tous nos concitoyens – mais, en même temps, il n'y a pas de coeur plus fort qu'un coeur brisé.

Permettez-moi un exemple plus personnel : lorsque je me suis marié et suis allé acheter des alliances, la vendeuse m'a expliqué que l'on comptait chaque année 12 000 ou 13 000 doigts arrachés à cause des bagues et que l'or de la mienne comportait donc un point de faiblesse censé céder avant mon doigt en cas de traction sur l'anneau. J'ai compris à cette occasion que la faiblesse était une force. C'est l'acceptation de la faiblesse humaine et de la souffrance que nous devrions imposer à nos populations et aux autres, c'est-à-dire l'idée qu'on ne peut infliger de souffrance sans conséquences pour nous, qui fait que nous sommes forts. Il n'y a pas de coeur plus fort qu'un coeur brisé.

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