Pour autant, je peux comprendre que l'on reporte sur le futur système une demande de contreparties qui, dans le cas du CICE, n'avait pas été satisfaite. C'est d'ailleurs en partie de ma faute, puisque j'avais estimé qu'elles seraient très difficiles à mettre en place. En particulier, il paraît malaisé d'exiger un volume global d'embauches. Sur ce point, l'exemple du secteur de la restauration doit nous inciter à rester prudents.
En revanche, le pacte de responsabilité pourrait être employé comme levier pour obtenir, dans chaque branche, une négociation sur ce que j'appellerais des « contrats de progrès » – car ils seraient conclus au bénéfice de tout le monde – sur l'apprentissage, la formation professionnelle, le recrutement de jeunes, de seniors ou de chômeurs de longue durée, etc. L'État pourrait ainsi définir une liste de thèmes sur lesquels il souhaite voir les partenaires sociaux négocier.
Il me paraît en effet plus réaliste d'inciter ainsi chaque branche à négocier sur des sujets précis plutôt que de fixer des engagements en termes de recrutements. En effet, qu'appelle-t-on une création d'emploi dans une branche ? M. Gattaz a évoqué le chiffre d'un million : c'est à peu près le nombre d'emplois créés chaque année en France. Mais dans le même temps, il s'en détruit à peu près autant – le solde net est de 20 000 à 25 000 emplois. Pour définir une contrepartie, il faudrait donc se donner un point de comparaison, par exemple le nombre d'emplois existant au 1er janvier. Mais le connaît-on vraiment ?
Je suis donc personnellement sceptique quant à la possibilité de poser des exigences en matière d'emplois. En revanche, des engagements précis pourraient être pris sur les thèmes que j'ai déjà évoqués, ce qui, de surcroît, irait dans le sens d'un développement du dialogue social, au niveau des branches comme à celui des entreprises.
Dans mon rapport, j'avais suggéré que chaque dirigeant soit amené à expliquer devant le comité d'entreprise ce qu'il compte faire de l'argent obtenu. Bien sûr, dans cette hypothèse, rien ne permettrait aux sceptiques de distinguer les mesures déjà prévues des projets rendus possibles par les allégements de charges supplémentaires. Mais au moins, un débat serait organisé sur ce sujet. Plus généralement, il ne m'apparaîtrait pas malsain de prévoir dans chaque comité d'entreprise une discussion sur l'application à l'entreprise de l'accord de branche.
En ce qui concerne les économies budgétaires, je n'ai pas, sur ce sujet non plus, de compétences particulières. Mais s'il faut les réaliser avant 2017, je ne vois pas comment on pourrait éviter le coup de rabot. Car M. Morange a raison : une réforme structurelle – la fusion entre département et région, par exemple – a des coûts immédiats, mais ses effets en termes d'économies réalisées sont lointains. Le Gouvernement va donc se retrouver dans une situation extrêmement déplaisante, consistant à promouvoir des réformes structurelles désagréables sans espérer pouvoir tirer profit de leurs effets financiers. C'est en tout cas vrai pour les années 2015 et 2016, car il n'est pas impossible que des réformes structurelles engagées dès aujourd'hui puissent porter leurs fruits dès 2017. Mais les seules mesures à effet rapide relèvent du coup de rabot : déremboursement de médicaments, application de conditions de ressources à certaines prestations sociales, plafonnement des primes des fonctionnaires, etc. Ce qui est certain, c'est que nous ne devons pas attendre : les réformes structurelles doivent être lancées, ne serait-ce que pour mettre le pays sur une trajectoire d'économies.
Comment financer la suppression des cotisations familiales patronales si ce n'est par des économies budgétaires ? Je suis frappé de voir s'exprimer en France une telle résistance à l'idée d'augmenter la TVA. Le taux actuel, 20 %, n'est pourtant pas le plus élevé d'Europe, loin de là – la moyenne s'établit à 21 %, me semble-t-il. Or, en tenant compte des 20 milliards d'euros du CICE, il ne faudrait trouver que 6 ou 7 milliards d'euros pour financer le pacte de responsabilité, soit l'équivalent d'un point de TVA. Mais, je le répète, la résistance est très forte. Curieusement, une augmentation de la CSG paraît plus indolore, alors qu'elle n'est pas beaucoup plus juste. Pour en faire un impôt de « plein exercice » et compte tenu de sa puissance, il faudrait sans doute rendre cette contribution plus progressive, et peut-être réfléchir à la façon dont elle s'applique aux retraités.
Encore une fois, la somme à trouver pour compléter le financement de la suppression des cotisations familiales n'est pas très élevée, surtout si on la compare aux plus de 50 milliards d'euros d'économies que la Cour des comptes appelle à obtenir d'ici à 2017.
Pour ma part, et bien qu'il m'ait fallu du temps pour me convertir à cette idée, je crois également nécessaire de réduire la dépense publique, même s'il faut éviter de le faire de façon trop brutale. D'ailleurs, réaliser 50 ou 60 milliards d'économies revient moins à réduire la dépense qu'à enrayer son augmentation. Il est en effet indispensable de maîtriser l'augmentation de l'endettement, car lorsque la dette d'un pays dépasse 93 ou 94 % de son produit intérieur brut, il devient extrêmement fragile, se met dans la main des marchés financiers et perd toute autonomie dans la gestion de sa politique économique. Il faut donc amener le déficit des finances publiques à un niveau tel qu'il n'entraîne plus un accroissement de la dette, soit environ 2 % du PIB.
J'avais d'ailleurs expliqué à M. Gattaz – et cela ne lui avait pas fait plaisir – que les entreprises ne pouvaient espérer bénéficier de la plus grosse part des économies réalisées. Sur les 50 milliards d'économies, au moins 40 doivent en effet être consacrés en priorité à la réduction du déficit plutôt qu'à la baisse des charges. Le Gouvernement n'aura pas le choix. C'est d'ailleurs le schéma qui semble avoir été retenu.
Je finirai par le crédit d'impôt recherche, un mécanisme auquel je suis personnellement très attaché, et dont toutes les analyses montrent qu'il constitue un succès remarquable. Ainsi, sachant que l'industrie, outre-Rhin, est deux fois plus importante qu'en France, l'intensité de recherche des entreprises françaises est comparativement supérieure à celle des entreprises allemandes. En outre, le CIR a permis à notre pays de traverser la crise sans connaître un effondrement de la recherche privée.
Dans les grandes entreprises – comme celle que j'ai dirigée, EADS –, le crédit d'impôt recherche n'a pas tant permis d'accroître l'effort de recherche qu'à le maintenir en France. En effet, dans la compétition très forte à laquelle se livrent les pays pour attirer les centres de recherche, le CIR représente un des rares atouts dont dispose la France. Sans lui, nous aurions été en grande difficulté par rapport à la Grande-Bretagne, qui n'hésite pas à dérouler le tapis rouge : terrain gratuit, formation professionnelle des personnels, etc. Il est donc important de ne pas déstabiliser ce crédit d'impôt – je crois d'ailleurs savoir que le Président de la République s'est engagé en ce sens.