Intervention de Thierry Braillard

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Braillard, rapporteur :

Un contrat de travail peut être rompu de trois façons différentes. Tout d'abord, il peut l'être à l'initiative de l'employeur : c'est ce que l'on appelle le licenciement. Ce dernier peut survenir sans que le salarié ait commis de faute, par exemple en cas d'inaptitude à exercer son emploi à la suite d'une maladie. Lorsqu'il est prononcé pour un motif personnel, le licenciement doit reposer sur ce que le code du travail appelle une cause réelle et sérieuse, c'est-à-dire objective, exacte et d'une certaine gravité. Si ce motif est d'ordre disciplinaire, la faute peut être qualifiée de simple, grave ou lourde, avec des conséquences diverses en termes d'indemnités de départ.

Ensuite, le contrat de travail peut être rompu à l'initiative des deux parties. C'est ce que l'on appelait auparavant un « licenciement à l'amiable », devenu, depuis quelques années, « rupture conventionnelle ». Après signature par l'employeur et le salarié, et à l'issue d'un délai de réflexion, un tel acte doit être validé par l'inspection du travail, qui ne s'intéresse toutefois qu'aux modalités de la rupture et n'examine pas le dossier au fond. Cette procédure, qui a concerné près de 1,3 million de contrats entre 2008 et 2013, a l'avantage d'éviter les contentieux et de permettre au salarié de bénéficier d'une prise en charge par l'assurance chômage.

Enfin, l'initiative peut venir du salarié. Les formes de la démission n'ont pas été définies par le code du travail ; le salarié doit seulement manifester de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin à son contrat. Mais, dans ce cas, il doit respecter un délai de préavis, ce qui n'est jamais facile. C'est pourquoi la jurisprudence a créé la notion de la prise d'acte de rupture – par laquelle le salarié qui reproche des manquements fautifs à son employeur prend acte de la rupture de son contrat. Il appartient au conseil de prud'hommes de qualifier cette prise d'acte : si elle correspond à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié aura droit à des indemnités de départ et à sa prise en charge par Pôle emploi ; si elle est qualifiée de démission par le juge, il n'aura droit à rien.

Rappelons que la procédure prud'homale est divisée en deux étapes principales, la conciliation et le jugement. L'audience devant le bureau de conciliation ne vise pas à entrer dans le fond du dossier : elle consiste en une discussion sur les conditions d'un arrangement amiable pouvant mettre un terme à la procédure. Faute de conciliation – qui concerne aujourd'hui 10 à 15 % des cas –, l'affaire est renvoyée devant le bureau de jugement qui va statuer au fond. Toute cette procédure demande aujourd'hui des délais très longs. Sur ce point, je citerai l'exemple assez représentatif d'un cadre licencié en juillet 2013 pour des motifs qu'il jugeait très discutables : il a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en septembre de la même année et, le 10 février 2014, faute de conciliation, on lui a annoncé que son affaire serait plaidée devant le bureau de jugement le 8 septembre 2016. Et ce ne sera pas fini : suite aux plaidoiries, les juges mettront l'affaire en délibéré, ce qui demande un délai de huit semaines en moyenne. La décision ne sera donc pas prise avant la fin de l'année 2016, pour une affaire entamée en 2013. Tel est l'état actuel de la justice prud'homale !

Si un salarié décide, à la suite de manquements fautifs de son employeur, de prendre acte de la rupture de son contrat au sens donné par la Cour de cassation en 2003 et de saisir le conseil de prud'hommes, il risque donc d'attendre plus de trois ans pour savoir si son acte est qualifié de licenciement ou de démission par le juge. Le problème est que, dans l'intervalle, il ne bénéficiera pas d'une prise en charge de l'assurance chômage, car, au moins dans un premier temps, Pôle emploi considérera son acte comme une démission. C'est pourquoi les salariés dans une telle situation finissent souvent par vivre du revenu de solidarité active (RSA), à défaut d'autres ressources, et connaissent une grande précarité.

Lorsque les salariés concernés prennent conseil avant d'engager toute action, on les dissuade de recourir à la prise d'acte de rupture, jugée trop dangereuse pour leur situation personnelle. On leur conseille de ne pas quitter leur emploi et de formuler auprès du conseil de prud'hommes une demande de résiliation judiciaire du contrat. Ainsi, le temps que le conseil statue sur l'existence d'un manquement fautif de la part de l'employeur, le salarié reste au sein de l'entreprise. En théorie, il doit même conserver son emploi si sa demande est finalement rejetée, c'est-à-dire si le juge estime qu'aucun élément ne légitime la résiliation du contrat.

Bien entendu, la réalité est tout autre : la plupart du temps, les salariés qui entreprennent une telle démarche ne peuvent plus poursuivre leur activité sous le regard de l'employeur, au risque de subir des pressions. Beaucoup finissent en arrêt maladie pour syndrome anxio-dépressif. Et, à l'issue de l'affaire, qu'ils gagnent ou qu'ils perdent, il leur faut du temps pour se remettre de l'épisode et retourner sur le marché du travail.

La procédure actuelle paraît donc trop longue et inadaptée à la prise d'acte de rupture du contrat de travail. Il est nécessaire d'en instituer une autre, spécifique et plus rapide. C'est l'objet de la proposition de loi qui vous est présentée. Si elle est adoptée, en cas de prise d'acte de la rupture d'un contrat de travail par le salarié, l'affaire sera jugée par le conseil de prud'hommes dans un délai d'un mois suivant la saisine. Une telle procédure serait similaire à celle déjà applicable aux demandes de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI).

Cette proposition a reçu le soutien de l'ensemble des organisations syndicales. En ce qui concerne les organisations patronales, le Medef a exprimé son opposition, tandis que la CGPME s'est montrée plus mesurée. En effet, certains employeurs apprécient peu la procédure de prise d'acte de rupture qui les oblige à provisionner dans leur bilan la somme réclamée par le salarié pendant la durée de la procédure.

De même, cette proposition a reçu l'assentiment de tous les praticiens du droit du travail que nous avons pu consulter, qu'ils défendent des salariés ou des employeurs. Tous ont souligné le caractère inadéquat de la procédure de résolution judiciaire, tout en reconnaissant souvent que, faute de mieux, ils la conseillaient à leurs clients.

Le président du Conseil supérieur de la prud'homie, M. Merle, qui a participé à la rédaction du nouveau code du travail, a également apprécié cette proposition, tout en nous invitant à ne pas faire de la prise d'acte une catégorie de rupture du contrat de travail à part entière et à nous placer sur le terrain strictement procédural. Un amendement rédigé avec Denys Robiliard vous sera présenté pour tenir compte de ses remarques. Un autre amendement, rédactionnel, concerne le titre de la proposition de loi.

Ce texte est attendu par les professionnels du droit, les organisations syndicales et les juges prud'homaux. Il constitue une nouvelle occasion de discuter de la procédure prud'homale, laquelle mérite que notre assemblée se penche sur le sujet. On ne peut en effet admettre que des juges n'appliquent pas la loi. Or certaines dispositions, surtout d'ordre procédural, ne sont aujourd'hui pas appliquées. De même, on ne peut accepter de voir des questions de procédure empêcher certains salariés en détresse de relancer leur parcours professionnel.

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