Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Monsieur Fuchs, le groupe écologiste juge votre bilan à la tête du CNRS mitigé. À l'occasion de la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche, j'ai organisé de nombreuses auditions qui ont montré que la situation n'était pas brillante. Nous assistons à une précarisation toujours plus grande des chercheurs, notamment les jeunes ; le financement des équipes est en constante réduction. Ce constat est partagé au CNRS : quatre élus du personnel au conseil d'administration se sont prononcés contre le budget primitif 2014 au mois de décembre dernier.

Il pourrait paraître banal que les agents du CNRS s'opposent à des réductions de postes. Mais ils ont également dénoncé la distribution arbitraire et opaque de la prime d'excellence scientifique (PES), qui a coûté plus de 12 millions d'euros. Au-delà des difficultés budgétaires, ce sont bien les choix politiques opérés pour répartir les crédits alloués au CNRS qui posent problème. Le conseil scientifique est parvenu à une conclusion semblable, expliquant dans une adresse à Mme Geneviève Fioraso, votée à l'unanimité le 29 mai 2013, que la situation de l'emploi dans les organismes de recherche créait « les conditions d'une catastrophe annoncée et plonge dans le désarroi toute une génération de jeunes chercheurs ».

Ce constat doit être rapproché du rapport de la Cour des comptes publié en juin 2013, qui décrit un paradoxe : l'augmentation des dépenses de l'État dans le domaine de la recherche s'est traduite par une stabilité de l'effort de recherche. Cette augmentation s'explique en effet non par la croissance des crédits budgétaires ou extra-budgétaires consacrés à la recherche – ils n'ont augmenté que de 8 % entre 2006 et 2013 – mais par les pertes de recettes dues au crédit d'impôt recherche (CIR), qui a augmenté en euros constants de 244 %, culminant en 2013 à 5,8 milliards d'euros. Dans un rapport ultérieur, la Cour a estimé qu'en rythme de croisière, le CIR coûterait 7 milliards d'euros par an, alors qu'il était initialement estimé à 2,7 milliards d'euros lors de sa réforme en 2008. Ce choix politique n'a pas eu l'effet levier escompté : l'effort de recherche publique s'est maintenu à 0,82 % entre 2002 à 2011 ; l'effort privé est passé de 1,42 % à 1,43 % ! On est bien loin des 3 % du PIB que visait la Stratégie de Lisbonne.

Pour corriger ces mauvais résultats, il faut changer de politique. Or le Gouvernement a affiché, dans sa loi de finances pour 2014, un maintien de sa stratégie en matière de recherche : ainsi, la quasi-totalité des organismes de recherche, dont le CNRS, doivent encore une fois se serrer la ceinture alors même que la politique d'appels à projets et de mise en concurrence des chercheurs et des organismes est relancée. On installe ainsi un système à deux vitesses, notamment par le biais des IDEX dont vous faites pourtant la promotion. Je sais bien, monsieur Fuchs, que vous n'êtes pas directement responsable de ces choix politiques ; mais vous en êtes l'exécutant.

Pensez-vous que les difficultés du CNRS, dénoncées par son conseil scientifique ainsi que par les représentants du personnel au conseil d'administration, pourraient être résolues si une autre politique de soutien à la recherche était engagée ?

Comment expliquer le cloisonnement des instituts, alors que vous faites la promotion de l'interdisciplinarité ?

Je terminerai par un sujet beaucoup plus grave. Trois membres du personnel du CNRS se sont suicidés en janvier 2014 ; les causes de ces drames ne sont pas connues, mais nous devons nous interroger. Les syndicats dénoncent une dégradation des conditions de travail, notamment sous l'effet d'un management qui renforce le poids de la hiérarchie et des outils de contrôle, mais aussi de la course aux publications et à l'obtention des contrats. Les risques psycho-sociaux ont des conséquences néfastes connues : il faut supprimer leurs causes et non traiter les seuls symptômes. Que fait le CNRS pour prévenir les risques psycho-sociaux aux conséquences lourdes pour les personnels comme pour l'organisation dans son ensemble ?

Compte tenu de ce bilan mitigé, le groupe Écologistes s'abstiendra sur votre reconduction.

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