Intervention de Georges Fenech

Réunion du 19 février 2014 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

Face au principe essentiel de l'autorité de la chose jugée, la procédure de révision des condamnations pénales constitue une nécessaire soupape de sûreté, « facteur d'ennoblissement pour la justice », selon l'expression d'un auteur. Cependant, force est de constater que, depuis la dernière réforme du 23 juin 1989, seules huit condamnations criminelles – neuf, depuis hier, avec l'affaire Iacono – ont été révisées, alors même que le nouvel article 622 du code de procédure pénale n'exige plus qu'un doute sur la culpabilité du condamné, au lieu, comme auparavant, de la certitude de son innocence, pour qu'une requête en révision soit admise.

Il convenait donc de s'interroger sur ce faible nombre eu égard au formidable progrès scientifique des modes de preuves. C'est de ce constat insatisfaisant qu'était issue la proposition de loi que j'avais déposée le 13 mars 2007, laquelle n'avait malheureusement pas reçu de traduction législative. C'est pourquoi je me réjouis aujourd'hui que notre collègue Alain Tourret reprenne le flambeau, et je lui sais gré de m'avoir associé à la conduite de la mission d'information, dont les conclusions ont recueilli l'approbation unanime de notre commission. J'exprime également toute ma reconnaissance au président Jean-Jacques Urvoas de nous avoir accordé toute sa confiance dans cette démarche, menée dans un esprit de consensus suffisamment rare pour être ici souligné.

Toutefois, je divergerai de la position d'Alain Tourret sur la question de la révision in defavorem. Je suis en effet intimement convaincu que, lorsque la preuve indubitable de la culpabilité est rapportée et non plus un simple doute comme en cas de condamnation, une décision d'acquittement doit pouvoir être remise en cause pour les infractions les plus graves.

Notre dispositif actuel est vicié par quatre défauts majeurs : la complexité de l'organisation juridictionnelle, l'appréhension jurisprudentielle trop exigeante de la notion de doute, l'insuffisante conservation dans le temps des scellés et l'absence d'enregistrement sonore des débats en cour d'assises. Ces quatre défauts, la proposition de loi d'Alain Tourret les corrige et je les aborde dans ma contribution écrite présentée dans le rapport en ma qualité de co-rapporteur sur la mise en application de ce texte.

Quant à ma divergence avec Alain Tourret, elle n'épouse guère les clivages traditionnels. Robert Badinter comme Michèle Alliot-Marie, anciens gardes des Sceaux, sont tous les deux hostiles à la révision in defavorem, tandis qu'au sein même de notre Commission les avis sont partagés. Il convient donc que chacun d'entre nous se prononce sur le sujet selon ses propres convictions. Je dois dire, par honnêteté intellectuelle, que je me suis rallié dans un premier temps à l'avis dominant selon lequel on ne peut revenir sur une décision d'acquittement. Or une récente affaire a démontré que, vingt-sept ans après la commission des faits, une expertise ADN pouvait remettre en question une telle décision, manifestement entachée d'erreur. J'ajoute que, si la majorité des personnalités auditionnées a rejeté le principe de la révision in defavorem, conformément à notre tradition et pour préserver la paix sociale, plusieurs hauts magistrats ainsi que le syndicat FO-magistrats et l'Institut pour la justice se sont prononcés en sens contraire. Une pétition lancée par cet institut en faveur de la révision d'un acquittement ou d'une relaxe a d'ailleurs recueilli plus de 80 000 signatures en quelques jours.

Lors de son audition devant la mission, Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, déclarait : « Le procureur général près la Cour de cassation pourrait se voir reconnaître la compétence de saisir cette commission [... en cas de] preuve indubitable de la culpabilité de la personne ainsi acquittée ou relaxée. » De même, l'ancien procureur général près la Cour d'appel de Lyon, Jean-Olivier Viout, s'est interrogé « sur le bien-fondé du maintien de l'actuelle prohibition de revenir sur une décision de relaxe ou d'acquittement qu'un fait ultérieur entache manifestement d'erreur ».

Je rappellerai également la position de notre éminent collègue Dominique Raimbourg, qui s'est, lui aussi, interrogé en ces termes devant notre mission : « Je suis sensible à l'ensemble de vos arguments à l'exception d'un seul : votre refus de permettre la révision en cas d'acquittement. Cette position ne pourra pas résister longtemps face à d'éventuels nouveaux éléments venant asseoir la culpabilité d'une personne acquittée. » Il concluait : « Cela me rappelle le débat que nous avions eu au moment de l'introduction de l'appel des décisions de cour d'assises. Certains avaient souhaité que cet appel ne soit possible qu'en cas de décision de culpabilité et non pas en cas d'acquittement. Finalement, l'appel a été ouvert tant à l'accusé qu'au procureur, mais pas à la partie civile. »

Il convient enfin de noter que la garde des Sceaux elle-même, Mme Christiane Taubira, interrogée sur une antenne radiophonique le 4 février 2014, déclarait avoir « demandé à la Chancellerie de travailler sur les textes internationaux et sur les textes européens » parce que, ajoutait-elle, « je pense que nous devons avec rigueur, regarder ce qui peut être fait ».

Pour votre complète information, je rappellerai enfin que la loi bat déjà en brèche l'impossibilité de réviser une décision d'acquittement ou de relaxe. En effet, quand bien même il n'existe pas, à ma connaissance, de précédent, l'article 6 du code de procédure pénale permet de rouvrir le procès si la décision d'acquittement ou de relaxe a été obtenue par la production d'un faux. Il est de même possible de revenir sur un non-lieu devenu définitif en cas de survenance de charges nouvelles.

Observant ce qui se pratique en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas ou en Allemagne, j'ai l'intime conviction que, compte tenu des progrès scientifiques des modes de preuve, une législation moderne ne peut plus ignorer une preuve qui remettrait en cause un acquittement ou une relaxe. Il en va du maintien de l'ordre public, de l'intérêt des victimes, de leurs familles et de la société en général.

Vous l'aurez compris, c'est dans un esprit de justice, de vérité et d'équité que je soumettrai à votre vote un certain nombre d'amendements ouvrant droit, de manière très restrictive, à la révision in defavorem – ce qui ne remet absolument pas en cause l'esprit très consensuel qui a animé notre mission d'information.

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