Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 19 février 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Bruno Lasserre :

Je répondrai d'abord aux questions transversales avant d'en venir aux situations sectorielles.

M. Herth et M. Laurent m'ont interrogé sur l'articulation entre les niveaux français et européen. Ces deux niveaux fonctionnent aujourd'hui de concert, mais de manière différente. Pour lutter contre les pratiques anti-concurrentielles, depuis le 1er mai 2004, un réseau est en place. La Commission européenne et les vingt-huit autorités nationales de la concurrence se répartissent les affaires selon un critère simple : c'est l'autorité la mieux placée qui s'en charge. On vérifie ensuite que les décisions qu'on s'apprête à prendre sont cohérentes les unes avec les autres. Cette régulation souple, en réseau, permet à la fois de décentraliser l'application du droit européen et de s'assurer qu'il se construit de manière cohérente. L'Autorité française a été l'une des plus actives et a largement contribué aux débats européens sur les sujets qu'elle a abordés.

Pour ce qui est de la lutte contre les concentrations, la règle est différente : en fonction de critères liés au chiffre d'affaires et de sa part réalisée à l'international, on décide qui, de la Commission européenne ou de l'instance nationale, intervient. Si l'une estime ensuite qu'elle est mieux placée que l'autre, elle peut se dessaisir à son profit. Depuis 2009, Bruxelles nous a renvoyé plusieurs dossiers très importants, ce dont nous retirons une certaine fierté, car tel n'était plus le cas lorsque ces dossiers étaient auparavant traités par le ministère.

Ne proclamons pas de foi en la concurrence et ne faisons pas non plus acte de contrition. Pour moi, « une concurrence libre non faussée », c'est une concurrence régulée, c'est-à-dire qui n'est pas entravée par les comportements des entreprises, qui donne à tous des chances égales et profite bien à toutes les entreprises et à tous les consommateurs, notamment les plus vulnérables.

Il est naturel que les sensibilités puissent différer entre les instances nationales et la Commission européenne. L'Autorité de la concurrence française jouera son rôle : si elle n'est pas d'accord, elle le dira. Ainsi ai-je beaucoup milité pour que la direction générale de la concurrence de la Commission ait une approche plus souple dans le domaine agricole. Le nouveau règlement relatif aux organisations communes de marché (OCM), entré en vigueur le 1er janvier dernier, a abandonné le critère de la position dominante abusive qui interdisait jusqu'à présent de reconnaître les organisations de producteurs. L'Autorité française a pesé de tout son poids dans ce débat. Cette victoire est la preuve qu'il est des sujets sur lesquels nous pouvons influencer la doctrine européenne. Nous sommes l'une des autorités les plus engagées pour que le droit européen de la concurrence se modernise et que l'on ait une vision du marché, non pas abstraite et purement juridique, mais plus économique et réaliste – disant cela, je réponds à la question qui m'a été posée sur la part respective des aspects économiques et juridiques dans notre approche.

M. Herth et Mme Massat se demandent si l'Autorité dispose des moyens suffisants pour remplir ses missions et soutenir ses ambitions. Si nous avons pu fonctionner sans problème ces cinq dernières années et présentons donc un bilan, je le crois, honorable, j'avoue être préoccupé pour l'avenir. Un effectif de 185 personnes seulement et un budget de 20 millions d'euros, c'est très peu par rapport aux 800 personnes et aux sommes que peut déployer la Commission européenne dans le même domaine, mais aussi par rapport aux moyens de certains régulateurs sectoriels. Les moyens humains et financiers de l'Autorité des marchés financiers (AMF), de l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) ou bien encore du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sont sans commune mesure avec les nôtres, alors que ces instances ne s'intéressent qu'à un secteur précis quand nous avons, nous, compétence générale.

Prononcer des sanctions, dont le montant peut s'élever à plusieurs dizaines, voire centaines, de millions d'euros, expose à des contentieux dans lesquels les entreprises sont prêtes à engager des moyens considérables pour assurer légitimement leur défense. Le rapport de forces entre elles et nous est de plus en plus déséquilibré. Souvenez-vous de l'affaire dans laquelle les principales banques françaises souhaitaient rendre payant le traitement automatisé des chèques, ce à quoi nous ne voyions aucune justification économique. Eh bien, pour cette seule affaire, les banques ont dépensé en honoraires d'avocat, consultations d'économistes, publications… l'équivalent de notre budget annuel, soit 20 millions d'euros.

L'Autorité de la concurrence fonctionne comme une administration d'état-major, avec peu de moyens – tous les rapports parlementaires le soulignent. Pourra-t-elle défendre ses décisions dans des contentieux de plus en plus nombreux et de plus en plus complexes ? Je ne vous cache pas que la question me préoccupe.

Mme Got s'interroge sur la régulation de la concurrence en période de crise. Le pire serait de relâcher la vigilance à ce moment-là, au risque de fragiliser encore davantage les populations et les entreprises les plus vulnérables. Il faut en revanche faire preuve de pragmatisme, notamment pour fixer le montant des sanctions qui ne doivent pas menacer la pérennité même de certaines entreprises, et donc l'emploi de leurs salariés. Nous y veillons, en tenant compte de leurs capacités contributives. Lorsque certaines d'entre elles nous expliquent, documents fiscaux et comptables à l'appui, rencontrer des difficultés, nous le prenons en considération car il ne faut bien sûr pas que les salariés fassent les frais d'amendes au montant disproportionné.

Mme Massat me demande si j'ai un regret au terme de ce premier mandat. Mon regret, et je répondrai par là aussi à Mme Le Loch et à M. Chassaigne, concerne la grande distribution. Avant la création de l'Autorité, la grande distribution était déjà très concentrée en France, quatre enseignes seulement se partageant près des deux tiers du marché alimentaire. Cinq ans plus tard, la situation n'a pas changé. Elle s'est même plutôt renforcée. Comment lutter, zone de chalandise par zone de chalandise, contre cette concentration ? En effet, le niveau des prix dépend étroitement de l'intensité de la rivalité entre enseignes installées dans une même zone. Ce sujet touche aussi à celui des centrales d'achat et des relations asymétriques entre les grandes enseignes et des producteurs atomisés, qui pèsent peu dans la négociation des conditions d'achat et des prix. L'Autorité de la concurrence a certes posé des conditions à certaines opérations de concentration : lorsque Casino a racheté les 50 % du capital de Monoprix qu'il ne possédait pas encore, elle a exigé qu'il cède 55 points de vente, pour raviver la concurrence là où la part de marché du nouvel ensemble aurait été trop importante, notamment à Paris.

Mon regret est aussi que la législation sur l'équipement commercial n'ait pas été revue, alors qu'elle bride l'arrivée de nouveaux acteurs et l'introduction de modèles innovants dans la distribution. Nos propositions sur le sujet n'ont, hélas, conduit à aucune évolution législative significative. Nous nous sommes donc intéressés à la mobilité inter-enseignes. De plus en plus souvent, les enseignes de la grande distribution confient la gestion de leurs magasins non pas à des salariés, mais à des affiliés passant un contrat d'enseigne avec la chaîne. Nous avons rendu un avis sur ces contrats d'affiliation. Notre enquête a montré qu'à quelques exceptions près – notamment Système U, dont le dispositif est ouvert –, ces contrats ont une durée de trente à cinquante ans et comportent des clauses de non-concurrence, ce qui interdit de fait tout passage d'une enseigne à une autre… Les conditions de sortie de ces contrats ne sont non plus aucunement harmonisées. La commission des affaires économiques du Sénat avait réalisé un important travail lors de l'examen de la loi dite Lefebvre qui n'a, hélas, pas été jugée le véhicule législatif adapté. Je regrette que le chantier n'ait pas été rouvert à l'occasion du récent projet de loi relatif à la consommation. Comment favoriser la mobilité inter-enseignes, notamment dans les zones de chalandise où la concurrence est insuffisante ? Voilà un sujet dont le législateur devrait se saisir. S'il ne le fait pas, ce sont les juges qui se prononceront, mais sachant que leur intervention ne peut être à chaque fois que micro-chirurgicale, les choses mettront très longtemps pour avancer.

L'injonction structurelle prévue par la LME est un outil séduisant, dont les conditions d'emploi devraient toutefois être revues. En effet, pour y recourir, il faut démontrer l'existence d'un abus de position et la réitération de cet abus malgré une décision de condamnation. Or, nos sanctions sont si dissuasives qu'il est rare que les faits se réitèrent après condamnation. L'outil est donc très difficile à utiliser.

Monsieur Herth, je suis mille fois d'accord avec vous s'agissant des études d'impact. Nous entendons jouer un rôle d'experts au service du Gouvernement et du Parlement afin de mieux anticiper les effets, favorables ou défavorables, des mesures sur le plan économique de manière générale – sur le niveau des prix, l'innovation, l'emploi, l'investissement… Nous avons même publié un guide pratique pour aider les administrations à intégrer la dimension de la concurrence lors de la préparation des réformes. Madame Massat, si le Parlement souhaite faire appel à notre expertise, dans la mesure de nos moyens bien sûr, nous sommes tout à fait prêts à les mobiliser.

L'autorisation des actions de groupe constitue une réforme importante, qui était nécessaire. Jusqu'à présent, les consommateurs ne pouvaient que difficilement accéder à la justice pour obtenir réparation de préjudices d'un montant souvent faible au niveau individuel. Un bon équilibre a été trouvé entre l'équité à leur égard et le risque que pourrait faire courir une judiciarisation excessive de notre vie économique avec le développement de class actions à l'américaine.

J'en viens aux différents secteurs. Mme Massat a évoqué celui de la réparation automobile. Là aussi, j'ai un regret. En effet, notre enquête sectorielle a confirmé le prix extrêmement élevé des pièces détachées automobiles en France. Nos propositions pour faire bouger progressivement les lignes n'ont pas eu grande portée. Peut-être le lobby des constructeurs a-t-il été efficace, peut-être la question de l'emploi, que nous avions d'ailleurs soulevée dans notre enquête, mérite-t-elle plus ample réflexion. Mais le sujet aurait incontestablement dû être abordé de manière plus positive.

Le secteur du médicament nous intéresse bien sûr aussi beaucoup. Les dépenses de médicament sont lourdes pour l'assurance maladie et pèsent sur nos comptes sociaux. Mais il y va aussi de la compétitivité de toute une filière industrielle dont il est important, pour l'emploi comme pour l'innovation dans notre pays, qu'elle ne se délocalise pas. Nous avons pris des décisions courageuses en sanctionnant certains laboratoires qui avaient développé des stratégies de communication afin de dénigrer les génériques et décourager leur substitution aux molécules princeps. Deux décisions ont été rendues dans deux affaires phares en 2013, et une autre affaire est en cours d'instruction. Les laboratoires doivent savoir qu'une fois l'équivalence thérapeutique d'un générique reconnue, il ne sera pas admis qu'on en entrave le développement en France.

S'agissant de la dispensation des médicaments, nous prônons une évolution mesurée. Les déremboursements incitent nos concitoyens à recourir à des médicaments non remboursés, vendus sans ordonnance, et de façon générale, l'automédication se développe. Or, l'opacité est totale sur les prix des médicaments non remboursables – une enquête menée dans 220 officines a montré que le prix d'une même spécialité pouvait varier de un à quatre d'une pharmacie à une autre. Ces prix ne sont pas affichés, et comme les produits se trouvent derrière le comptoir, ce n'est qu'au moment de payer que le client découvre combien ils coûtent ! Face à cette situation, nous nous sommes demandés s'il ne fallait pas ouvrir quelque peu notre modèle de distribution en autorisant la création de corners dédiés dans les supermarchés ou les parapharmacies, placés sous le contrôle de pharmaciens et disposant de caisses distinctes, et s'il ne faudrait pas réfléchir à de nouveaux modes de rémunération pour les pharmaciens. Leur rémunération doit-elle être seulement fonction du nombre de boîtes vendues ou ne devrait-elle pas comporter une part forfaitaire rémunérant leur rôle de conseil et d'accompagnement dans le bon usage du médicament ? La question mérite d'être posée.

Vous regrettez, madame Dubié, que l'action de l'Autorité de la concurrence ne soit pas assez connue du grand public. Aidez-nous pour qu'il en aille autrement ! Nous consacrons beaucoup de moyens à faire oeuvre de pédagogie, à nous faire connaître, à rencontrer la presse, à expliquer aussi en région le sens de notre action. Mais notre institution est encore jeune, et il lui reste à gagner progressivement en notoriété. Lorsqu'en 2005, nous avons sanctionné l'entente entre les trois opérateurs de téléphonie mobile, on a quand même beaucoup entendu parler de nous. De même lorsque nous avons dénoncé le cartel des lessives. Nous souhaiterions nous aussi que notre action soit plus visible, non pour en retirer gloire, mais pour que les Français aient davantage confiance en leur économie et sachent qu'il existe un arbitre impartial, prêt à sanctionner les pratiques illicites dommageables à l'économie, à la hauteur des dommages causés.

Monsieur Chassaigne, toutes les marges de manoeuvre possibles ont-elles été exploitées dans le cadre des marchés publics, afin que ne soit pas nécessairement retenu le candidat le moins-disant mais qu'on veille à faire appel aux PME et à encourager les productions locales ? Ce souci doit être permanent. Le code des marchés publics n'est pas un monument intouchable. C'est un outil politique, qui doit être au service des politiques menées, notamment par les collectivités territoriales, dans un souci constant de plus grande efficacité de la dépense publique. Je pense que l'on n'a pas fait assez s'agissant des allotissements. Lorsque les lots définis sont trop importants, il est plus difficile aux PME d'accéder aux marchés. Diviser les lots est de nature à encourager davantage d'entreprises à soumissionner. C'est un élément essentiel du succès. Il faut aussi permettre le regroupement d'acteurs lorsqu'ils n'ont pas individuellement la taille suffisante pour se porter candidats. Je ne serais pas du tout opposé à des dispositions législatives avantageant les PME dans l'attribution des marchés, à condition bien sûr que le contribuable s'y retrouve toujours en matière de prix et de qualité, et qu'il y ait un bénéfice économique au sens large.

La question de l'assistance à maîtrise d'ouvrage est une autre question importante. La création d'un fonds d'animation de la concurrence, comme il fut proposé en matière de transports urbains lors de la fusion entre Transdev et Veolia, a permis que les candidats non retenus à l'issue des appels d'offres puissent être remboursés et que les collectivités qui recourent à une assistance à maîtrise d'ouvrage pour ces délégations de service public (DSP), puissent obtenir une aide financière. Déposer un dossier coûte cher. Si on ne peut pas être remboursé de ses frais, cela décourage les candidatures. Il en va de même si les appels d'offres sont mal rédigés. Pour les rendre plus attractifs, il convient de perfectionner la technique même d'allotissement et de définir des critères plus fins.

S'agissant de la réforme ferroviaire, que le Parlement examinera prochainement et pour laquelle l'Autorité de la concurrence sera certainement auditionnée, je vous invite, monsieur Chassaigne, à lire l'avis, constructif, que nous avons rendu sur le sujet. Nous reconnaissons le sens industriel de l'intégration recherchée par le texte ainsi que les bénéfices potentiels de l'unification des fonctions de gestion du réseau. Mais nous demandons aussi au Gouvernement et au Parlement d'aller plus loin dans la logique retenue. Nous sommes perplexes sur le rôle que la réforme entend confier à l'EPIC de tête. Nous nous interrogeons aussi sur les attributions de l'EPIC Réseau ainsi que sur la gouvernance de l'ensemble et la régulation. Sur ces trois points, nous avons fait des propositions concrètes.

Madame Erhel, cinq ans après la création de l'Autorité de la concurrence, quel regard portons-nous sur le secteur des télécommunications, ce secteur qui vous est cher ? Il est indéniable que l'on est passé du calme plat à la tempête et c'est un euphémisme de dire que le secteur est aujourd'hui agité. Il a connu des bouleversements et connaît toujours des turbulences. Et on ne sait pas bien quel équilibre final en résultera. En 2005, lorsque nous avons sanctionné l'entente entre un oligopole restreint, nous pensions que la solution résidait dans l'arrivée d'un nouvel entrant. Peut-être celle-ci n'a-t-elle pas été assez anticipée et assez préparée, mais qui pourrait nier qu'elle a fait bouger les lignes et incité l'ensemble des opérateurs à se surpasser en matière de prix mais aussi de qualité ? L'effet prix de l'arrivée de Free est à lui seul évalué pour l'an passé à 0,3 point d'inflation. L'incidence sur le pouvoir d'achat est donc considérable. En l'espèce, il serait vain d'opposer les consommateurs et les entreprises car ces dernières utilisent aussi les services de télécommunications. Les baisses de prix leur profitent également, leur permettant d'être plus compétitives sur leurs marchés aval.

La difficulté dans le secteur des télécommunications est double. Comment faire que cette plus vive concurrence permette de financer les investissements nécessaires pour le futur, comme le déploiement de la 4 G et de la fibre optique dans nos territoires ? Comment trouver un nouvel équilibre ? Je suis convaincu qu'on y arrivera, mais il faudra du temps. Et la difficulté politique qui est la nôtre aujourd'hui tient précisément aux ajustements nécessaires durant ce passage douloureux. Les rigidités de notre économie et de notre marché du travail sont source de frottements qui créent des difficultés en matière d'emplois et d'adaptation, des industriels comme des opérateurs. Mais, de grâce, ne condamnons pas la concurrence trop vite. Évaluons ses bénéfices à long terme, en nous fondant sur des cycles économiques plus longs, et surtout n'oublions pas qu'elle peut s'accommoder de coopérations. Il peut y avoir concurrence sur le marché aval et coopération en amont pour déployer les infrastructures et partager les réseaux, au bénéfice des territoires. Si le partage des infrastructures permet d'aller plus loin et plus vite dans leur déploiement, au profit notamment des zones d'habitat les moins denses, et d'améliorer la qualité de la couverture de l'ensemble du territoire, il faut l'encourager. Nous avons beaucoup fait sur le plan des prix. Faisons maintenant en sorte que les évolutions soient favorables aussi à l'emploi, à l'investissement et à l'innovation.

La question centrale aujourd'hui pour une autorité de concurrence comme la nôtre, mais elle se pose aussi au niveau européen et mondial, est de savoir quelle attitude adopter avec les acteurs over the top, les géants de l'internet. Comment s'assurer qu'ils n'acquièrent pas des positions de marché excessives ? Comment encourager l'innovation, seule à même de contrebalancer leurs pouvoirs de marché ? Comment vérifier que ces acteurs intégrés sur toute la chaîne de valeur ne confisquent pas notre économie ? Je crains que l'on n'aille, avec ces quelques plates-formes intégrées que sont Google, Apple, Facebook, Amazon…, vers une bataille féroce entre écosystèmes fermés. Une fois qu'elles auront bataillé pour attirer les consommateurs, ces derniers risquent de se retrouver prisonniers des choix qu'ils auront faits pour l'accès aux contenus et aux applications mobiles, ou encore pour les moyens de paiement. On aurait alors beaucoup perdu en matière de liberté de choix. La question se posera aussi de la possibilité pour l'Europe d'accéder à ces industries de contenus et ces services, qui constituent un élément clé de l'innovation.

S'agissant des taxis et des VTC, nous avons rendu en décembre un avis critique, négatif même, sur la règle proposée d'imposer un délai de quinze minutes entre la commande d'un VTC et la prise en charge du client. Les taxis font certes valoir de bons arguments : il est vrai par exemple que seule la revente de leur licence leur permet de s'assurer de revenus suffisants à la retraite. Mais depuis le rapport Rueff-Armand, remis en 1960, auquel ont succédé d'innombrables autres rapports sur les professions réglementées, le diagnostic n'a pas changé : nous n'avons pas su anticiper et lever au bon moment, notamment en période de croissance, les protections sans doute injustes existant au bénéfice de ces professions et qui ont créé des rentes de situation. Et la technologie aujourd'hui nous rattrape. C'est l'innovation qui rebat les cartes et rend ces protections réglementaires illusoires. Mais il est alors souvent trop tard pour parvenir à un bon équilibre. C'est une application de smartphone qui abat les protections érigées pour les taxis et que la profession a sciemment entretenues pendant des décennies. Au-delà de l'actuel conflit entre taxis et VTC, nous souhaiterions vraiment investiguer sur ce sujet des professions réglementées.

Il nous faudra également aborder le sujet des plateformes électroniques. Dans la banque, l'assurance, l'hôtellerie, des intermédiaires se mettent en place entre les clients et les prestataires. Quel rôle jouent-ils ? Quel est leur pouvoir de marché ? N'imposent-ils pas des prix ou des clauses tarifaires qui au final emprisonnent à la fois les prestataires et les clients ? Nous enquêtons actuellement sur les plateformes qui, dans l'hôtellerie, imposent une clause de parité tarifaire, interdisant aux hôteliers de vendre une nuitée moins cher qu'elles. Ces rigidités au final se retournent contre le consommateur.

M. Barbier a abordé le sujet de l'énergie, notamment du prix du gaz. Le secteur de l'énergie figure parmi nos priorités. Soyons honnêtes, le bilan de l'ouverture à la concurrence du marché de l'énergie est en demi-teinte. Les dépenses d'énergie représentent en moyenne 8 % du budget de nos concitoyens.

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