Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 18 février 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Cécile Duflot, ministre de l'égalité des territoires et du logement :

En effet, monsieur le président, je m'étais engagée lors du débat sur le projet de loi d'habilitation à venir vous présenter les ordonnances qui en seraient issues. Celle-ci est la dernière, puisque la disposition concernant les délais de paiement, elle aussi attendue par les professionnels, a finalement été intégrée au projet de loi relatif à la consommation.

L'ordonnance « logement intermédiaire » résulte du plan d'investissement pour le logement annoncé par le Président de la République le 21 mars 2013, qui comportait vingt mesures et visait notamment à modifier rapidement le cadre juridique afin de lever les entraves à la construction et d'accélérer la conduite des projets. L'ensemble des autres mesures prévues ont été prises. Moins de huit mois après que le Parlement a habilité le Gouvernement, toutes les ordonnances auront ainsi été élaborées et publiées.

Le principe consistant à légiférer par ordonnances a été débattu. Je vous l'avais dit, certaines dispositions ont vocation à suivre jusqu'au bout le parcours législatif ; tel était le cas du projet de loi ALUR. En l'espèce, il convenait d'aller plus vite, sur un domaine circonscrit.

L'objectif est de développer un parc et des loyers intermédiaires entre ceux du logement social et ceux du marché, dans les zones les plus tendues, où l'écart très marqué qui les sépare freine l'accès au logement ou la sortie du parc social pour les ménages de catégorie intermédiaire. Si chacun comprend ce qu'est le logement intermédiaire, celui-ci ne faisait jusqu'à présent l'objet d'aucune définition juridique ni d'aucune disposition fiscale encadrée. Voilà pourquoi le Gouvernement a décidé de créer ce dispositif.

Ce sont les leviers fiscaux qui ont été activés en premier lieu. D'abord à l'intention des particuliers, avec le dispositif de réduction d'impôt en contrepartie de l'engagement à louer pendant neuf ans à un prix inférieur de 20 % à celui du marché ; ensuite, depuis la loi de finances pour 2014, à l'intention des investisseurs institutionnels qui bénéficient, en miroir, d'une TVA à taux réduit de 10 % à condition de s'engager à pratiquer pendant quinze ans des loyers intermédiaires.

Afin de doter le logement intermédiaire d'un cadre unifié, la présente ordonnance complète ces dispositions fiscales, en trois temps : définition du logement intermédiaire ; création du bail réel immobilier, dédié à la production de ces logements ; enfin, possibilité offerte aux organismes de logement social de créer des filiales dédiées à la création et à la gestion de logements locatifs intermédiaires.

Sur le premier point, le logement intermédiaire est réservé aux zones dites tendues, caractérisées par une différence de prix très significative entre le parc social et le parc privé, conformément au projet de loi d'habilitation. Le législateur y avait délimité précisément ces zones, qui correspondent au périmètre de la taxe sur les logements vacants, composé de 28 agglomérations, auquel s'ajoutent les communes de plus de 15 000 habitants en croissance démographique, ce qui englobe au total plus de 21 millions d'habitants.

Le logement intermédiaire peut être un logement en location ou un logement en accession.

Enfin, pour être qualifié d'intermédiaire, un logement devra obéir à trois conditions. Premièrement, il fait l'objet d'une aide directe ou indirecte de l'État ou d'une collectivité locale, accordée en contrepartie d'un engagement du propriétaire à pratiquer des loyers modérés. Deuxièmement, il est destiné aux classes moyennes, définies par un plafond de ressources identique à celui qui s'applique aux locataires du « Duflot ». Troisièmement, son prix ou son loyer est plafonné à un niveau intermédiaire défini par décret ; pour les logements locatifs, le plafond de loyer sera identique à celui du « Duflot ». Comme pour le zonage, nous reprenons ainsi le plafond qui existe déjà, ce qui évitera de compliquer le dispositif.

Cette définition permettra d'unifier les différents régimes de logements intermédiaires – « Duflot particulier », « Duflot institutionnel », prêt locatif intermédiaire, accession à prix maîtrisés – sous un seul et même statut. Peut-être l'expression d'« investissement en logement intermédiaire » deviendra-t-elle ainsi générique, y compris pour les particuliers, ce qui aurait l'avantage de ne plus accoler au dispositif le nom du ministre du logement qui l'a vu naître !

Elle permettra en outre aux élus de faire référence à la notion de logement intermédiaire dans leur document de programmation ; en d'autres termes, les programmes locaux de l'habitat (PLH) pourront mentionner des objectifs de réalisation de logements intermédiaires.

Le deuxième volet de l'ordonnance est consacré au bail réel immobilier, qui vise à faciliter la dissociation du foncier et du bâti, comme dans nombre d'autres pays européens, afin de proposer des logements en location ou en accession à des prix moins élevés. Le principe est connu : plutôt que de payer ab initio l'acquisition du terrain, le bailleur ou le promoteur conclut avec le propriétaire foncier un bail par lequel il s'engage à verser une redevance sur une longue durée en contrepartie de l'autorisation de construire des logements abordables.

On retrouve ici le principe du bail à construction ou du bail emphytéotique logement, à ceci près que le nouveau contrat de bail, spécifiquement conçu pour ce type d'opérations, permet d'organiser la cession du bâti entre acquéreurs successifs tout en conservant au logement le statut de logement intermédiaire. En matière d'accession, le dispositif est particulièrement novateur : l'acquéreur bénéficiera d'un prix moins élevé mais sa propriété sera limitée en durée ; il disposera néanmoins d'un droit réel sur son logement, qu'il pourra revendre, ce qui permettra d'éviter les difficultés liées aux clauses anti-spéculatives applicables à une revente dans le cadre de l'accession à prix maîtrisé.

L'ordonnance prévoit bien entendu les garde-fous indispensables à de tels montages : encadrement des conditions de vente, encadrement du maintien dans les lieux des locataires, gestion des transmissions successorales, sanction en cas de non-respect du caractère intermédiaire des logements.

Le projet d'ordonnance crée donc un nouvel outil, en particulier à l'intention des collectivités qui souhaiteraient développer des opérations de logement intermédiaire sur leurs terrains, tout en assurant que les logements créés conserveront durablement leur statut.

La troisième partie de l'ordonnance concerne le cadre d'intervention des organismes de logement social : la création de filiales.

Pour développer ce type de logements, nous avons en effet besoin d'opérateurs dotés des compétences de maîtrise d'ouvrage et de gestion nécessaires pour mener à bien de tels projets. Or il n'existe quasiment plus en France de grands bailleurs privés détenant un parc important de logements locatifs. Les organismes de logement social possèdent toutes ces compétences ; certains d'entre eux gèrent déjà un parc de logements intermédiaires. Motivés non par des impératifs de rentabilité à court terme, mais par l'intérêt général, ils sont tout désignés pour développer le logement intermédiaire que nous appelons de nos voeux.

Ils sont toutefois limités par deux contraintes : premièrement, les logements intermédiaires réalisés ne peuvent représenter plus de 10 % de leur parc de logements locatifs sociaux ; deuxièmement, ils ne peuvent pas faire appel à des capitaux extérieurs pour financer ces opérations, auxquelles ils doivent donc consacrer un volume important de fonds propres. En les autorisant à créer des filiales dédiées au logement intermédiaire, le Gouvernement leur permet de surmonter ces deux obstacles tout en définissant un cadre clair et sécurisé évitant toute confusion entre l'activité de logement social et l'activité de logement intermédiaire. De ce point de vue, l'habilitation était parfaitement claire : l'hermétisme devait être total entre les fonds du logement social et l'activité de logement intermédiaire de la filiale. C'est le principe d'étanchéité.

Pour le respecter, le projet d'ordonnance prévoit les trois contraintes suivantes. Premièrement, les fonds nécessaires à la création des filiales ne peuvent provenir que des activités du bailleur social hors service d'intérêt économique général ou de son parc existant de logements intermédiaires. Pas un euro de l'activité de logement social ne peut être versé à la filiale. Deuxièmement, le ministre du logement peut s'opposer à la création d'une filiale de logements intermédiaires par un bailleur qui n'accomplirait pas correctement ses missions en matière de logement social, et notamment de construction et de rénovation. La priorité de ces organismes est et reste donc le logement social. Troisièmement, le préfet de région peut s'opposer à toute augmentation de capital ultérieure qui ne respecterait pas les règles précédentes.

Ces contraintes sont fortes, mais la volonté du législateur l'était aussi. Elles permettent de séparer de manière parfaitement claire les différentes activités des bailleurs. On peut s'attendre à ce que peu de bailleurs se saisissent de cette possibilité dès lors qu'ils peuvent déjà construire directement des logements intermédiaires, mais ceux qui souhaitent, notamment dans les zones les plus tendues, développer leur activité de logement intermédiaire sans empiéter sur leur activité de logement social pourront ainsi le faire dans un nouveau cadre, parfaitement sécurisé.

Une nouvelle définition du logement intermédiaire, un nouvel outil permettant de dissocier foncier et bâti, un nouveau cadre d'intervention dédié et séparé pour les organismes de logement social : ce projet d'ordonnance met la dernière main à la boîte à outils qui permettra de développer le logement intermédiaire dans notre pays. Si les élus, les bailleurs et les investisseurs s'en saisissent, une étape importante aura été franchie dans l'accélération de la production de logements abordables en France.

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