Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Nicolas Dufourcq, Directeur général de Bpifrance :

Je vais vous donner des indications sur notre activité 2013, notre budget 2014, et vous rappeler quelques détails sur notre façon de travailler, notre organisation et nos projets. Vous avez eu un document, que je vais synthétiser : la BPI est une institution de place qui a un effet multiplicateur très important, mais elle est de taille modeste, avec 2 200 salariés. Tout est fait pour maximiser l'effet multiplicateur : nous ne faisons rien qui ne soit en collaboration avec d'autres acteurs. Nous cofinançons avec les banques de la place, nous co-investissons avec les fonds d'investissements de la place, nous accompagnons les entrepreneurs avec les structures d'accompagnement de la place, nous garantissons des crédits avec les fonds de garantie des conseils régionaux, et nous attribuons des subventions à l'innovation avec le programme des investissements d'avenir et les directions de l'innovation des conseils régionaux. Pour résumer, nous sommes une banque d'écosystème, qui met en mouvement les écosystèmes dans les régions et les territoires.

Nous sommes aussi une banque des territoires : 90% des décisions de financement étaient déjà prises en région, et - j'en ai pris la décision la semaine dernière - ce sera désormais le cas pour les décisions concernant les fonds propres. Toutes les décisions d'investissement inférieures à 4 millions d'euros seront désormais prises en région – ce qui représente environ 90% des décisions d'investissement.

Nous avons un rôle de plus en plus actif d'opérateur du programme d'investissements d'avenir : en 2013, nous avons distribué 750 millions d'euros de subventions ; en 2014, ce sera 1 milliard, et en 2017, 1,5 milliard d'euros - par an ! Ce sont des montants d'investissement très importants.

Nous avons six métiers :

- la garantie de crédits privés. Nous garantissons environ 60 000 crédits par an, pour environ 8 milliards d'euros ;

- un métier de prêteur direct, sur notre propre bilan – nous avons réalisé 9 milliards d'euros de prêts en 2013, soit une croissance de 10% par rapport à l'année passée, et nous allons poursuivre ce rythme d'augmentation dans les prochaines années ;

- l'investissement en fonds propres dans les petites et moyennes entreprises (PME), en direct. Nous investissons dans une centaine de PME par an ;

- le financement de l'innovation française. Nous distribuons 1 milliard d'euros par an aux entreprises françaises, à quoi s'ajoute la gestion de fonds de capital-risque, en direct, sur nos fonds propres, pour environ 1 milliard d'euros par an également. Cela fait une énorme structure de financement de l'innovation. La BPI est le grand opérateur du conseil général de l'industrie, de la direction générale de l'industrie et du ministère de la recherche ;

- un métier de fonds de fonds, qui est fondamental. Nous injectons des capitaux publics dans des fonds privés, sous gestion privée. Cela concerne environ 270 fonds, 1 500 personnes et 150 équipes de gestion françaises. Un fonds est une équipe de trois ou quatre investisseurs, qui gère 30 à 100 millions d'euros, et qui investit dans des entreprises sur une période de 5 à 7 ans. Il y a, là aussi, un effet multiplicateur : quand nous mettons 20% du fonds, les partenaires privés en versent 80%. Les équipes de gestion versent ensuite ces capitaux à des PME, qu'elles soient innovantes ou non, et qu'elles relèvent des secteurs d'avenir ou non. Cette activité de fonds de fonds est très structurante : elle finance tout le capital-risque français, tout le capital d'amorçage français, et une très grande partie du capital-développement des PME. Ces équipes interviennent dans 750 à 800 entreprises par an ;

- enfin, nous avons un dernier métier très important, que vous connaissez sous l'appellation de Fonds stratégique d'investissement, et qui est désormais la division « ETI et grandes entreprises » de Bpifrance. Ce sont des tickets de plus de 10 millions d'euros dans de grandes entreprises - des entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou de grandes entreprises françaises cotées, parfois même du CAC 40. Ces investissements visent à permettre à une ETI de prendre une autre dimension, ou bien constituent des investissements stratégiques dans de grandes entreprises françaises afin d'ancrer leur capital en France. Cela a été le cas sur Eiffage quand il était attaqué par les Espagnols, sur Valeo quand il était attaqué par le fonds d'investissement américain Pardus, sur Danone quand il était attaqué par Pepsi, et sur Gemalto – nous avons 8% de son capital. Cela peut être le cas également pour des participations dans des entreprises considérées comme fondamentales pour le pays – je pense à Eramet ou à Eutelsat, qui sont de grands noms de notre industrie.

Voilà quels sont nos métiers. S'agissant de notre stratégie, elle est contenue dans notre nom : nous ferons tout pour que l'investissement redémarre en France. Nous déployons donc de nouveaux efforts, de nouveaux produits, de nouveaux outils, de nouveaux capitaux, et une implantation régionale.

Nous avons quatre valeurs :

- la proximité. Bpifrance est une banque territoriale, très proche des entrepreneurs. C'est une banque de démarchage où il n'y a pas de guichet : nous sommes constamment dans nos voitures pour aller voir les entrepreneurs. Notre objectif en 2014 est d'aller voir 75 000 entreprises pour leur proposer nos services de crédits, de trésorerie, nos investissements en fonds propres ou en quasi fonds propres, et notre accompagnement à l'international et à l'innovation ;

- ensuite, la simplicité. Nous ne sommes pas là pour proposer des solutions de financement complexes, que les entrepreneurs n'ont pas le temps de comprendre. Il nous faut donc des produits extrêmement simples : des crédits à 7 ans sans prise de garantie sur le patrimoine de l'entrepreneur ni de l'entreprise ; des produits de mobilisation de la trésorerie, c'est-à-dire de la mobilisation de créances, de l'affacturage, donc des produits de court terme, simples à comprendre ; des produits de crédit-bail, matériel et immatériel ; enfin, des produits d'injection de capital, c'est-à-dire des augmentations de capital, des prises de participation, des obligations convertibles ;

- enfin, deux valeurs psychologiques, qui sont le fil rouge de toute notre stratégie dans les quatre à cinq ans qui viennent : l'optimisme et la volonté. Sur l'optimisme, nous constatons très simplement que nous sommes dans un marché d'offre : quand la banque fait ce qu'elle doit, en allant voir l'entrepreneur pour lui vendre de la dette, qui est le produit qui permet de préparer l'avenir, l'entrepreneur se remet à investir. Il n'investit pas quand on lui parle de Bâle III et de Solvency II ;

- la volonté. Nous avons des équipes de terrain extrêmement fougueuses. Ce sont aussi des banquiers très sérieux ! Vous verrez dans les chiffres que la sinistralité et le coût du risque sont contrôlés – la banque est absolument inaltérable. Mais elle n'hésite pas à vendre son produit, qui est un produit de dette, qui consiste à préparer l'avenir de nos entreprises.

En termes de croissance pour les années qui viennent, les chiffres sont faciles à retenir : en 2013, nous avons accordé 9 milliards d'euros de crédits sur nos fonds propres. L'objectif est d'augmenter ce montant d'1 milliard d'euros par an pendant les quatre ans à venir, soit une croissance d'environ 10% par an pour la production annuelle de crédits. C'est ce que nous avons déjà fait en 2013, puisque notre production a crû de 10%. En parallèle, en 2013, le marché de la dette aux PME a décru de 4%. Notre action est donc extrêmement contracyclique.

En 2014, je pense que le marché va cesser de décroître aussi rapidement. Supposons qu'il se stabilise, nous restons sur une augmentation de 10%. Nous sommes donc extrêmement volontaristes.

Parmi ces 10%, sur le crédit, nous avons deux priorités. D'abord la trésorerie, notamment celle des TPE, qui est particulièrement fragile. Le préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), qui est rapidement devenu un produit phare, a représenté 800 millions d'euros pour Bpifrance en 2013. Nous voulons atteindre 1,2 milliard d'euros en 2014, soit une augmentation de 50%. Ensuite, tous nos autres produits de court terme : affacturage, mobilisation de créances publiques et des crédits de court terme adossés sur des fonds de garantie dotés par l'État.

En 2014, le but est d'atteindre une croissance de 5 à 6%. Si nous pouvons faire plus, nous le ferons, mais nous serons sûrement limités par la dotation des fonds de garantie. En revanche, sur la mobilisation des créances, nous accompagnerons le marché. Nous avons fait une très belle année 2013, avec 9% de croissance sur le court terme, c'est-à-dire le chiffre de croissance le plus élevé des 70 ans d'histoire de la Caisse nationale des marchés de l'État, créée dans les années 1920 et dont provient notre activité de mobilisation de créances. On n'avait jamais vu une croissance aussi rapide que celle de 2013. Nous allons essayer de la maintenir au même rythme en 2014.

La question de la trésorerie nous amène à revenir au contact des TPE en direct, ce que ne faisait pas Oséo jusqu'à fin 2012. Tout se faisait de façon indirecte, par la garantie accordée aux banques privées, qui elles-mêmes disposaient d'un réseau de relations qui permettait de bancariser les TPE. Depuis le CICE et la suppression du plancher de 25 000 euros, nous sommes revenus aux prêts directs aux TPE : nous avons fait 8 500 prêts directs aux TPE en 2013. Nous allons continuer en 2014. Cela ne veut pas dire que nous allons, avec 2 200 salariés, - à comparer aux 35 000 salariés du réseau de BPCE en région - être la banque des TPE françaises. En revanche, sur le produit de trésorerie qu'est le préfinancement du CICE, nous le sommes. Nous avons vu des TPE venir chercher chez nous 900 ou 1 500 euros. Nous l'avons fait, et nous continuerons de le faire. À cette fin, nous avons recruté des intérimaires pour traiter ces demandes.

Dans le métier du crédit, notre deuxième priorité est le crédit à l'investissement, et surtout le crédit sans garantie prise sur l'entreprise ou l'entrepreneur. Ce sont des crédits de 2 à 5 millions d'euros, donnés « en blanc » à des entreprises pour qu'elles se développent. L'entreprise peut en faire ce qu'elle veut : de l'export, de l'innovation, des recrutements, de la structuration de son fonds de roulement, etc. Ce sont les « prêts de développement », qui sont fondamentaux. Nous considérons qu'ils peuvent contribuer à décoincer l'investissement français. Ils s'ajoutent toujours à un crédit bancaire classique, sur lequel il y a une prise de sûreté. Nous ne faisons jamais de prêts sans cofinancement avec les banques de la place. Mais notre apport spécifique est de faire des prêts sans garantie.

Nous souhaitons en porter la croissance à 30% en 2014, et rester sur cette tendance dans les années qui viennent, de façon à être capables, en 2017, d'accorder, chaque année, 3 milliards d'euros en nouvelle production de crédits sans garantie, ce qui équivaut à la totalité de l'encours actuel. Cela a été validé par notre conseil d'administration à la présentation de notre plan stratégique. Cela suppose que nos fonds de garantie soient correctement dotés par la direction du budget, car le risque est couvert par des dotations publiques.

L'effet multiplicateur est très élevé : pour 10 millions d'euros d'argent public, on peut accorder 100 millions d'euros de crédit. Et comme les banques privées suivent à 1 pour 1, ce sont en fait 200 millions d'euros de crédits qui sont accordés aux PME françaises. Les fonds de garantie seront suffisants jusqu'au premier semestre 2015 pour assurer les garanties. Au-delà, leur volume devra être augmenté.

En tout état de cause, la position de notre conseil d'administration, composé de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et de l'État, représenté par la direction du Trésor, l'Agence des participations de l'État et le ministère de l'industrie, c'est de relancer l'investissement français par les prêts de développement.

S'agissant de notre stratégie en matière de fonds propres, elle est également très ambitieuse : nous voulons augmenter nos investissements en fonds propres d'environ 30% dès 2014, et rester sur le même rythme de croissance dans les années suivantes. Sur les fonds propres, nous sommes également dans une logique de l'offre : pour convaincre un entrepreneur d'ouvrir son capital, il faut aller le voir et avoir avec lui un dialogue intime, où même les logiques généalogiques de succession sont abordées.

Ce travail de banquier de terrain est fondamental. Nous avons donné comme objectif à nos 1 000 chargés d'affaires en région de faire ce travail-là, qu'ils ne faisaient pas jusqu'à présent. Précédemment, les fonds n'étaient situés qu'à Paris, à la Caisse des dépôts et consignations. Il n'existait pas de banquiers territoriaux chargés de ce dialogue, sur les questions de structuration du capital, sur la manière d'aider l'entreprise à doubler de taille à l'horizon de cinq ans. Ce travail-là concerne donc les chargés d'affaires « Fonds propres », mais également les directeurs des BPI régionales comme les chargés d'affaires « Innovation », dans les secteurs d'avenir (eco-tech, med-tech, internet).

C'est un travail nouveau mais fondamental. Il existe aujourd'hui des places, comme celle de Grenoble, où nombre de start-ups, par ailleurs bénéficiaires de subventions, refusent d'ouvrir leur capital. Nous pensons que ce n'est pas sain : s'il est bon de recevoir des subventions, il faut absolument ouvrir le capital, pour ouvrir la gouvernance, se confronter aux clients, à des écosystèmes différents, car c'est la clé du succès d'une entreprise.

Cette politique d'« évangélisation » des entrepreneurs français, dans laquelle nous sommes très actifs, consiste à dire : ouvrir son capital, prendre de la dette, ce ne sont pas des gros mots. Nous aspirons à être cette banque convaincante, qui démarche, qui véhicule des messages forts.

L'activité 2013 montre que toutes nos lignes de produits sont en croissance, à l'exception, précisément, de celle des fonds propres. La mélancolie française de l'hiver 2012-2013 a été coûteuse pour l'activité économique, en points de PIB. De nombreux entrepreneurs refusaient d'ouvrir leur capital, et même d'engager le dialogue. L'activité « fonds propres PME » a ainsi décru, en nombre de tickets, de 30% en 2013. Au sein de la BPI, la baisse n'a été que de 22%, grâce à une logique contracyclique de résistance à cette baisse. Le premier trimestre 2013 a donc été faible, mais l'activité est repartie dès le second trimestre, avec une tendance intéressante pour 2014.

L'investissement a, quant à lui, décru pendant huit trimestres. La dernière fois qu'une croissance séquentielle, sur deux trimestres, a pu être observée, date du quatrième semestre 2011. C'est insupportable. Si la macroéconomie est cyclique, l'investissement doit repartir. Notre propos est donc de dire que si l'offre que nous présentons est insuffisante, il faut faire plus, rencontrer de nouveau les actionnaires que sont l'État et la Caisse des dépôts et consignations, et ce tant qu'une reprise de l'investissement n'est pas assurée. C'est d'ailleurs toute la logique du pacte de responsabilité.

La bonne nouvelle est que le quatrième trimestre de 2013 montre une croissance de l'investissement de 0,9% par rapport au troisième trimestre. On l'observe au mois de décembre 2013, qui a été particulièrement actif en France et se situe bien au-delà de nos perspectives. Le mois de janvier 2014, comme celui de février, semble être sur la même tendance, avec beaucoup de dossiers d'investissement et de crédit sur la table. Il se passe quelque chose en France en ce moment, et il faut renforcer ce mouvement, pour le rendre durable. Il faut agir sur les produits, sur la présence sur le terrain, sur l'accompagnement des entrepreneurs, et, particulièrement, sur la psychologie, paramètre clé – bien qu'encore fragile.

Elle n'est pas identique dans tous les territoires et dans tous les secteurs. Si les secteurs d'avenir (biotechnologies, transition écologique, internet) sont en effervescence, d'autres secteurs plus matures sont davantage dans une recherche de visibilité sur leur carnet de commandes à l'horizon du quatrième trimestre 2014. Si cette prudence est compréhensible, notre rôle est de dépasser cette peur d'investir, de les convaincre que le monde d'aujourd'hui ne permet plus une telle visibilité à quatre trimestres, et qu'une absence d'investissements aujourd'hui sera, et c'est une certitude, source de graves difficultés en 2016 ou en 2017.

Les entreprises ne devraient ainsi pas oublier que les taux d'intérêt réels actuels, à hauteur de 3%, sont les plus faibles jamais connus dans la période d'après-guerre, et doivent encourager la prise de dette avant que ces taux ne remontent, inévitablement. Notre discours consiste à dire : « Vos entreprises sont belles, investissez maintenant », ce qui n'est pas un discours courant dans le secteur bancaire. C'est notre fonction d'entraînement, que nous voulons tenir.

Nos partenaires bancaires commencent d'ailleurs à nous remercier de créer un tel entraînement de l'activité économique, qui leur apporte du volume : dans la règle du « 1 pour 1 », que j'évoquais précédemment, 10% de croissance de la BPI en 2013 et en 2014 permet de tirer vers le haut une partie du marché bancaire, dans une logique vertueuse.

Je pense que notre budget 2014 sera tenu, bien que je ne puisse vous le promettre, car je pense que l'investissement va repartir en 2014. L'économie, elle, repart, c'est certain. Nous observons, dans les séminaires, les déjeuners ou les dîners que nous tenons avec les entrepreneurs, que les choses sont en train de changer dans la bonne direction.

Les statistiques de l'INSEE sont d'ailleurs rassurantes : pour la première fois depuis 2 ans, les entrepreneurs déclarent vouloir investir de nouveau en 2014, avec un taux de croissance de 3%. En octobre 2013, ce taux de croissance déclaré de l'investissement était encore de -3%. Cela dénote un changement de psychologie majeur, mais encore fragile : il suffirait d'une cacophonie, d'événements imprévus, pour raidir de nouveau les entrepreneurs, et reporter de trois ou quatre mois la reprise de l'investissement. Il faut donc tenir sur ce sentier clé de la psychologie positive.

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