Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du 19 février 2014 à 9h30
Commission des affaires économiques

Nicolas Dufourcq, Directeur général de Bpifrance :

Je répondrai séquentiellement à chacun des députés. S'agissant des 34 plans de reconquête industrielle, nous en sommes les banquiers et participons à la rédaction des 34 feuilles de route avec nos représentants dans chacune des 34 plateformes. Le rôle de ces plans est de faire émerger des PME et des ETI, qui elles-mêmes pourront consolider des petites PME voire des TPE technologiques. Le rôle de Bpifrance est bien de financer cette politique industrielle.

Vous m'avez interrogé sur le bilan par région de Bpifrance. Vous allez tous recevoir un coffret dans lequel vous trouverez un ouvrage retraçant précisément notre bilan dans les 22 régions métropolitaines ainsi que dans les départements d'outre-mer. Vous pourrez y consulter également l'atlas de Bpifrance en région, une étude détaillée sur le capital investissement c'est-à-dire les 270 fonds que nous finançons dont 90 fonds régionaux mais aussi notre dernière enquête PME. Cette dernière montre que lorsqu'une entreprise ayant plus de 20 salariés innove et exporte, elle prévoit de croître rapidement en 2014. L'équation est très claire : exportation et innovation entraînent, pratiquement automatiquement, la croissance. Le coffret contient également une enquête sur les ETI françaises qui pointe les faiblesses sur lesquelles nous travaillons. L'une de ces faiblesses est que le chiffre d'affaires moyen des ETI françaises à l'export représente seulement 20% de leur chiffre d'affaires total. C'est beaucoup trop faible et l'objectif est bien de monter à 50%. Vous trouverez également dans le coffret le plan stratégique 2014-2017 détaillé, notamment sur les sujets de transition écologique et d'économie sociale et solidaire, le rapport d'activité 2013 et enfin un volume consacré à 19 entrepreneurs soutenus par Bpifrance.

Il est clair, pour nous, que la vie quotidienne des TPE françaises est difficile. Cependant, face à ces millions de TPE, une banque publique d'investissement avec seulement 2 200 salariés ne peut pas tout faire. Les réseaux de bancarisation des TPE sont les réseaux bancaires privés et mutualistes. Les différents fonds de Bpifrance doivent encourager les réseaux bancaires à attribuer des crédits aux TPE françaises en garantissant ces dernières. Notre système de garantie est simple : toutes les demandes de garanties portant sur des crédits de moins de 200 000 euros sont acceptées automatiquement par voie informatique. Les banques ne nous appellent même plus ! Ce système permet d'attribuer chaque année 15 000 prêts. Il est arrivé, de façon exceptionnelle et parce que les réseaux bancaires faisaient défaut, que nous intervenions directement en matière de préfinancement du CICE. La logique d'intervention de Bpifrance, qui va perdurer, est bien de combler les failles du marché. En revanche, il n'est pas certain que nous puissions faire plus en raison de nos faibles moyens humains : l'agence d'Annecy par exemple compte 6 personnes et celle de Paris-centre seulement 60. Avec ces effectifs, il nous est impossible de traiter tout le tissu capillaire des TPE françaises. C'est pourquoi nous travaillons de manière indirecte en garantissant les réseaux bancaires traditionnels. Ce constat n'enlève malheureusement rien au stress de trésorerie majeur que subissent les TPE françaises. Les statistiques de la Banque de France montrent que le niveau de trésorerie des TPE et des PME a chuté de 4% en 2013, voire même de 10% pour les seules TPE. J'ai d'ailleurs évoqué ce problème récemment avec la nouvelle présidente de la fédération bancaire française qui partageait cette inquiétude.

En matière de transition écologique, je vous informe que Bpifrance a accordé 400 millions d'euros de crédits et qu'elle est le premier financeur français du photovoltaïque et de la biomasse. Par ailleurs, nos premiers clients en termes d'encours sont des entreprises investies dans la transition écologique. Nous avons en effet financé de nombreuses petites entreprises qui ont ensuite été rachetées par Suez ou Veolia. Ces deux sociétés sont ainsi désormais dans les premières lignes de notre fichier clients. D'ici à 2017, nous souhaitons doubler le volume annuel de crédits pour atteindre 800 millions d'euros par an pour la transition écologique. En 2014, nous espérons franchir une première étape en passant de 400 à 600 millions d'euros de crédits. Ces derniers s'ajoutent à nos fonds d'investissements spécialisés dans les ecotechs, qui sont eux-mêmes dotés par les programmes d'investissements d'avenir.

Pour répondre à la question relative au milieu rural, je vous confirme que nous ne finançons pas les coopératives agricoles à l'exception des grosses structures. Nous avons à ce titre pris une participation dans Limagrain. L'entreprise agricole française de base est cependant hors du périmètre de Bpifrance car elle passe par d'autres circuits bancaires au premier rang desquels le réseau du Crédit Agricole. Je vous concède que nous connaissons mal le monde rural, comme c'était d'ailleurs le cas pour les organismes que Bpifrance a remplacé comme Oséo, la BDPME (Banque de développement des petites et moyennes entreprises) ou encore le CEPME (Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises). En revanche, nous accordons bien des crédits aux structures importantes de production agricole, et non d'exploitation. Nous pouvons même intervenir au niveau de leur capital selon des modalités particulières du fait de la faiblesse des liquidités dans le secteur des coopératives agricoles.

En matière de financement de l'économie sociale et solidaire, Bpifrance met en oeuvre les mesures annoncées dans le rapport que j'ai remis au ministre Benoît Hamon le 31 mai 2013. Nous avons créé un prêt participatif à l'économie sociale et solidaire de 50 000 euros qui est distribué par les réseaux Initiative France, France Active et l'ADIE (Association pour le droit à l'initiative économique). Nous mettons également en place le Fonds d'investissement social de 10 millions d'euros dont nous sommes le gestionnaire. Enfin nous avons décidé d'injecter des capitaux dans les fonds d'investissement spécialisés dans les « quartiers », avec par exemple 20 millions d'euros pour le fonds Business Angel des cités.

Pour répondre à la question sur les moyens humains, je vous informe que Bpifrance a recruté, en termes nets, 100 personnes en 2013 et prévoit 53 recrutements supplémentaires en 2014, ce qui est loin d'être négligeable pour une entreprise de 2 200 salariés. Il n'a pas été facile de convaincre le conseil d'administration d'accepter une telle augmentation de charges. Mais nous avons souligné l'ambition de notre plan de développement. Le recrutement des intérimaires s'explique, lui, par la saisonnalité du préfinancement du CICE qui se verse pour l'essentiel au cours du premier semestre de l'année.

J'en profite pour répondre à la question sur le préfinancement du CICE. Comme vous l'avez dit, nous avons reçu 12 000 dossiers de demandes dont 8 500 provenaient de TPE. Il est certes possible de signaler quelques gros dossiers émanant d'entreprises d'intérim mais nous avons surtout reçu des dossiers portant sur des petits montants. Je n'ai pas de chiffres précis à vous communiquer concernant la répartition des montants du préfinancement du CICE. En toute logique, les secteurs des services et de l'industrie sont majoritaires du fait qu'ils sont fortement employeurs de salariés rémunérés en dessous de 2,5 fois le SMIC.

La question de l'articulation entre le financement de l'innovation et la deuxième génération du programme des investissements d'avenir m'a été posée. Cette articulation est totale puisque le programme des investissements d'avenir « Saison 2 » (PIA 2) donne à Bpifrance une enveloppe de 3 milliards d'euros à gérer dans les années à venir. Dès 2014, nous allons passer de 750 millions d'euros à 1 milliard d'euros de financements pour l'innovation à gérer. Nous sommes ainsi le grand opérateur du plan d'exécution du PIA. L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) est également un opérateur qui compte mais de façon plus marginale.

J'en viens maintenant à la notion de psychologie positive qui a suscité des interrogations pour savoir notamment comment nous parvenons à entraîner les banques et si nous remplissons le rôle de médiateur du crédit. C'est exactement ce que nous faisons. En 2013, pendant que le marché du crédit décroissait de 4%, l'offre de crédit de Bpifrance augmentait de 10%. Or nous ne faisons jamais de crédit seul car cela entraînerait un transfert de tous les mauvais risques du marché bancaire dans notre bilan et menacerait à termes Bpifrance. Notre règle est bien celle du 1 pour 1 ou même du 1 pour 2. Lorsque Bpifrance augmente son offre de crédit de 10% pour atteindre, en 2013, 5 milliards d'euros de crédit, cela signifie que les banques privées ont accordé en face 10 milliards d'euros de crédit en plus. Sans l'intervention de Bpifrance, ces banques n'auraient pas prêté. En résumé, sur les 250 milliards d'euros de crédits accordés en 2013 aux entreprises, 25 milliards d'euros, soit 10% sont liés à notre force d'entraînement et à notre participation directe. C'est ce que l'on peut appeler la force de la psychologie positive. Concrètement, lorsqu'un entrepreneur a un projet d'investissement, deux cas de figure sont possibles : soit il contacte sa banque qui nous saisit car elle a besoin de partager son risque, soit il nous saisit directement grâce aux contacts noués avec nos antennes locales. Il peut alors lui être proposé un crédit de développement, par exemple de 3 millions d'euros, à la condition que sa banque lui propose un crédit d'un montant au minimum identique, qu'il s'agisse d'un crédit-bail, d'un crédit portant sur des investissements matériels ou immatériels ou encore d'une ligne de trésorerie. Dans ce cas, les services de Bpifrance appellent la banque pour favoriser la création d'un consortium ou d'une syndication de crédit.

Sur la question des critères en matière de responsabilité sociale des entreprises, je rappelle que Bpifrance accorde 60 000 garanties et 5 000 à 6 000 prêts directs par an. Il est impossible de fixer des critères pour chacune de ces opérations. Nous pouvons tenir un discours mais pas fixer des contreparties ou des conditions fermes. En revanche, dans l'investissement en capital, nous sommes beaucoup plus influents. Sur les tickets significatifs, c'est-à-dire supérieurs à 5 millions d'euros, nous signons avec les entreprises des lettres de progrès dans lesquelles nous leur demandons de dire comment elles progressent sur les critères comme le recrutement des jeunes, la parité, la qualité de la gouvernance, la structuration de leur conseil d'administration, la dimension de transition écologique dans leur processus… Cette pratique des lettres de progrès a été lancée l'année dernière par M. Yves Barou lorsqu'il était en charge de ces activités au sein de Bpifrance avant de prendre la présidence de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

J'en viens maintenant à la question des moyens. S'ils sont aujourd'hui suffisants, il n'est pas encore certain que ce sera le cas dans les années à venir. Nous entamons donc notre campagne de conviction auprès de la direction du budget pour alimenter nos fonds de garantie entre 2015 et 2017. Il faut, pour ce faire, prévoir absolument 250 à 300 millions d'euros par an pour conserver notre activité de prêt au développement que j'ai évoquée tout à l'heure. Pour 2014, notre budget montre que nos moyens seront employés pour l'innovation à travers nos fonds de garantie, en forte progression, et pour augmenter nos fonds propres. Mais sur les fonds propres, nous sommes limités par la demande. En 2013, nous aurions pu investir 1 milliard d'euros de plus mais il n'y a pas eu suffisamment de dossiers. Ces dossiers, nous devons les construire, les sécréter avec les entrepreneurs. Dans notre budget pour 2014, nous sommes par ailleurs en mesure de réaliser un gros investissement d'un milliard d'euros. Cela ne veut pas dire que c'est une cible, cela pourra être moins ou plus en fonction des situations. Ce chiffre permet simplement de rappeler que l'objet social de Bpifrance n'est pas exclusivement réservé aux PME-TPE mais également à la faculté de participer à un grand ticket stratégique avec une grande entreprise française. Cet investissement est donc mis au budget et pourra être ou non réalisé. Ainsi en 2013, nous n'avons pas réalisé de grand investissement contrairement à 2012 où nous avions investi dans Eramet.

Pour répondre à la question posée sur Alsace Croissance, sachez que Bpifrance finance ce fonds aux côtés du Crédit mutuel d'Alsace et du conseil régional. Cette participation ne nous empêche pas d'avoir un fond direct à côté comme nous l'avons dans toutes les régions françaises. Ce qu'il faut avoir bien en mémoire, c'est que nous n'investissons jamais seul mais nous nous inscrivons dans une stratégie de co-investissement. Il n'y a donc pas de concurrence potentielle avec Alsace Croissance.

Je réponds maintenant à l'interrogation sur les frais facturés aux entreprises pour nos crédits. Les taux d'intérêt s'élèvent, en fonction de la notation Banque de France de l'entreprise, entre 3 et 7 %. Une partie significative de notre encours bancaire total, soit 5%, se situe sur des entreprises très mal notées par la Banque de France, autrement dit sur des entreprises en difficulté ou qui sont déjà inscrites au titre du livre VI du code de commerce. S'agissant des frais de dossier, ils sont supprimés pour le préfinancement du CICE, ce qui a suscité des questions de la part de la commission européenne ou de nos concurrents bancaires. Ces derniers n'étant pas intéressés par l'opération de préfinancement du CICE, nous n'avons pas été particulièrement inquiétés.

Concernant la question du coût de la garantie proposée par Bpifrance, je vous rappelle qu'elle consiste en la garantie implicite de l'État qui nous est donnée. Cette garantie nous permet de lever des capitaux sur les marchés comme pour les 500 millions d'euros d'obligations qui ont été évoqués tout à l'heure. Bpifrance lève 5 milliards d'euros par an sur les marchés mondiaux pour pouvoir accorder des crédits. L'État fait payer cette garantie implicite qui est ensuite refacturée aux entrepreneurs en totalité au moment de l'obtention du crédit. Je conviens que le coût de cette garantie peut être élevé. Mais le fait de facturer la totalité de la garantie au début de l'opération de prêt s'avère beaucoup plus simple en matière de gestion que de la faire payer mois par mois. Notre obsession est de simplifier les procédures pour raccourcir les délais. À ce titre, la décision pour un préfinancement du CICE est rendue en moins d'une semaine, et une quinzaine de jours est nécessaire pour une décision concernant un prêt de développement. La rapidité fait partie intégrante de nos valeurs et nous souhaitons la diffuser dans le domaine des fonds propres qui est un monde plus lent. En effet, ce secteur est beaucoup plus risqué que celui du crédit car il implique presque de se marier avec l'entrepreneur. J'ai demandé aux équipes en régions de ne pas dépasser un délai de six semaines pour donner une réponse.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion