Intervention de Christiane Demeulenaere-Douyère

Réunion du 19 février 2014 à 17h00
Mission d'information sur la candidature de la france à l'exposition universelle de 2025

Christiane Demeulenaere-Douyère, conservateur général du patrimoine :

J'adhère à cet exposé éloquent, dont je soulignerai certains points. Le premier est le lien étroit que Paris a entretenu avec les expositions universelles : cinq expositions se tiennent dans la capitale entre 1855 et 1900. À cela s'ajoutent d'autres expositions bien connues : l'Exposition des arts décoratifs de 1925 et l'Exposition internationale des arts et techniques de 1937, ainsi que l'Exposition coloniale internationale de 1931, qui a laissé un souvenir très vif à ceux qui l'ont visitée. Les Anglais, inventeurs des expositions universelles, y ont renoncé beaucoup plus tôt que les Français : après en avoir organisé deux, ils sont passés à une autre formule dès 1870.

J'insiste sur le rôle marqué de l'architecture qui, souvent, rejoint la prouesse technique. La Tour Eiffel, monument qui sort de l'ordinaire, est construite pour marquer les esprits, mais c'est essentiellement un bâtiment technique. De même, le contenu des « galeries des machines » est important mais la technique du contenant est frappante en soi, avec une architecture de métal et de fer dont ces galeries contribuent à faire la publicité.

Bien qu'internationales et même si leur organisation est dictée par une philosophie humaniste – on pense que la prospérité partagée permettra au monde de vivre dans la paix et la concorde –, les expositions universelles sont aussi des manifestations dans lesquelles on attache un grand prix à la mise en valeur du savoir-faire national ; de ce point de vue, il s'agit souvent d'une concurrence entre les nations. Ainsi l'Exposition des Arts décoratifs de 1925 a-t-elle été décidée pour mettre en valeur les savoir-faire des artisans d'art français – couturiers, parfumeurs, joailliers – et une tendance architecturale, le mouvement Art Déco, qui a ensuite rayonné à travers le monde.

Un autre élément déterminant est la place faite, dès les premiers temps, au secteur privé. Les expositions universelles sont des initiatives publiques, mais elles fonctionnent selon le système de la concession : une partie de l'espace est louée à des industriels, des manufacturiers et des commerçants qui sont censés l'animer. La place des concessions a grandi au fil du temps, car il faut aussi entendre par là les spectacles, forte dimension des expositions universelles et internationales. Les visiteurs veulent surtout se distraire, se dépayser, rêver ; comme les organisateurs souhaitent rentabiliser la manifestation au mieux, l'intérêt de tous est de faire venir le public le plus nombreux possible, grâce à des attractions. C'est le sujet de l'exposition consacrée à l'exotisme dans les expositions universelles que j'avais organisée aux Archives nationales. L'exotisme était très marqué dans la culture du public du XIXe siècle, comme le montre l'empreinte de l'orientalisme. Au fil des expositions, on est allé vers des attractions de plus en plus sensationnelles et grandioses – mais cela a pour limite qu'un moment vient où l'on ne peut aller plus loin !

Comme l'a indiqué M. Pascal Ory, une exposition universelle est aussi l'occasion d'un renouvellement urbain, par l'aménagement de nouveaux quartiers, de nouvelles infrastructures – la création de la gare d'Orsay, par exemple, est liée à l'Exposition universelle de 1900 –, de nouveaux hôtels – tel le Grand Hôtel du Louvre, construit par les frères Pereire à l'occasion de l'exposition universelle de 1855 – ou de nouveaux musées, qu'il s'agisse de Musée d'ethnographie du Trocadéro, inauguré à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, ou du Musée de l'Homme, ouvert au Palais de la découverte au moment de l'Exposition internationale de 1937.

Autre aspect des expositions universelles, et non le moindre : leur dimension géopolitique. Elles permettent d'une part à la puissance invitante de compter ses alliés et, dans certains cas, d'en acquérir, d'autre part de se faire légitimer. Ce fut le cas pour Napoléon III, arrivé au pouvoir dans des conditions contestables et qui a profité de deux expositions universelles pour se légitimer et pour légitimer sa dynastie. C'était aussi l'occasion pour certains pays d'exprimer une revendication nationale, politique ou même indépendantiste ; ainsi l'Égypte et la Tunisie se sont-elles très habilement servies de l'Exposition universelle de 1867 pour prendre leurs distances avec la puissance suzeraine de l'époque, l'Empire ottoman.

Mon approche des expositions universelles est particulière, puisque je suis conservateur général du patrimoine. Pendant douze ans, aux Archives nationales, j'ai eu le grand honneur d'être responsable des archives produites par les commissaires des expositions universelles, une production très nombreuse et très chaotique, car si les organisateurs ont toujours besoin de leurs archives, ils n'ont jamais le temps de les classer. Ces fonds sont extrêmement riches. Je ne sais si, dans l'hypothèse où une exposition universelle aurait lieu en France en 2025, on produira des documents qui donnent de quoi rêver comme le font ceux que j'ai eu la chance de conserver et d'essayer de préserver. Quoi qu'il en soit, le patrimoine est une dimension très importante des expositions universelles.

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