Intervention de Benoît Hamon

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Présentation

Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l’économie sociale et solidaire et de la consommation :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires économiques, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, nous examinons aujourd’hui, en lecture définitive, la proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle.

Ce texte s’inscrit dans l’action plus globale du Gouvernement et de la majorité en faveur de l’emploi et de la compétitivité de notre économie. L’objectif principal du Gouvernement étant les créations d’emploi, l’inversion de la courbe du chômage et la reconstitution d’un tissu industriel digne de ce nom, il était légitime que le Gouvernement et, surtout, la majorité présidentielle, s’attaquent au problème réel de la destruction d’emplois par des entreprises qui sont, souvent, rentables. Il était indispensable de légiférer, comme vous l’avez fait, pour obliger l’employeur à rechercher un repreneur, lors de la fermeture éventuelle d’un établissement.

Pourquoi étions-nous quasiment obligés de légiférer ? D’abord, parce que nous avons été confrontés ces dernières années à de trop nombreux exemples d’entreprises qui fermaient, alors même que les citoyens ou le législateur n’avaient pas l’impression que tous les efforts avaient été réalisés pour maintenir l’emploi.

Lutter contre le chômage, c’est tout mettre en oeuvre non seulement pour créer de l’emploi, mais également pour éviter d’en détruire. Cette proposition de loi crée une nouvelle obligation pour les employeurs de rechercher un repreneur – j’en dirai quelques mots tout à l’heure.

Elle s’appuie sur une réalité cruelle, qui avait été identifiée depuis longtemps, non seulement par des responsables politiques et syndicaux, mais aussi par un certain nombre d’économistes, d’entrepreneurs, de grands patrons : le développement d’un modèle entrepreneurial organisant une dichotomie entre la propriété de l’entreprise et sa gestion, entre le pouvoir réel de décider du sort de l’entreprise et la responsabilité de celles et ceux qui l’animent tous les jours.

Les travaux extrêmement importants de Richard Sennett, historien et sociologue américain, ont mis en lumière cette dichotomie nouvelle entre la gestion de l’entreprise et le pouvoir de l’actionnaire : ce dernier exige une rentabilité extrêmement importante du capital qu’il a investi, ce qui entraîne un sous-investissement dans l’entreprise.

Ces travaux avaient été abondamment commentés et avaient fait l’objet d’un livre écrit par un grand patron, dont beaucoup, ici, se souviennent sans doute, Le Capitalisme total, de Jean Peyrelevade. Dans ce livre, il identifie cette évolution à l’oeuvre dans un certain nombre d’entreprises : le propriétaire ou l’actionnaire a une telle exigence de rendement du capital investi, que cela produit des effets tout à fait négatifs sur le développement de l’entreprise, l’investissement, et donc, naturellement, sur l’emploi.

Le constat de ces évolutions et les travaux réalisés par bon nombre d’économistes et d’observateurs de la vie économique ont conduit le législateur à s’emparer de la question du maintien de l’activité dans des établissements viables. Depuis maintenant plusieurs années, les pouvoirs publics conservaient un grand silence à l’égard de ces sites et entreprises qui fermaient, alors que nous savions qu’il était possible de maintenir de l’emploi et de l’activité ; mais le cédant ne voulait pas trouver un repreneur, et cherchait délibérément à fermer le site, quelqu’en fût le coût social.

Désormais, il y aura un texte de loi, grâce à la volonté politique de la majorité, volonté qui s’était déjà exprimée dans le document d’orientation envoyé aux partenaires sociaux par le Gouvernement, dans l’accord national interprofessionnel, l’ANI, et dans la loi de sécurisation de l’emploi. Visant à généraliser les bonnes pratiques, la présente proposition de loi n’est pas une loi de « contrôle tatillon » ou une cause de stress, comme j’ai pu l’entendre, mais bien une loi de vertu.

Pour avoir trop souvent entendu des responsables dire que tout nouveau progrès ou droit social affecterait l’attractivité de notre pays, j’ai bien compris que, pour eux, notre pays devait, pour être attractif, ressembler à un désert social. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de l’attractivité de notre pays. Nous pensons que c’est en conciliant progrès économique et progrès social que nous continuerons d’être attractifs, notamment dans le domaine des investissements directs de l’étranger.

De ce point de vue, à côté des initiatives prises par le Gouvernement en matière de réorganisation de l’appareil productif, de réforme du marché du travail, de réforme de la formation professionnelle, d’identification de trente-quatre filières industrielles que nous avons l’intention de développer, de la création de la Banque publique d’investissement, cette loi est une loi de progrès économique et social.

J’ajoute, en tant que ministre de l’économie sociale et solidaire, qu’elle est complètement compatible, et même qu’elle s’articule parfaitement bien, avec la création d’un droit d’information préalable pour les salariés dans les entreprises de moins de 250 salariés, droit qui sera prévu par la loi sur l’économie sociale et solidaire et qui permettra de faciliter – nous le souhaitons – la reprise, par les salariés, de leur entreprise, quand celle-ci est en difficulté.

Avec cette proposition de loi et ce droit d’information préalable, nous aurons un dispositif de nature à éviter ces cortèges de licenciements tout à fait inutiles dans des entreprises qui seraient ou qui sont, pourtant, tout à fait viables sur le plan économique.

En tant que ministre, je tiens à remercier la rapporteure, Mme Clotilde Valter, et le président de la commission des affaires économiques, François Brottes, pour leur travail remarquable.

Dans cette période où nous nous interrogeons sur la façon dont partenaires sociaux et Gouvernement peuvent s’entendre sur l’intérêt général – la création d’emplois, l’investissement, le pari du long terme –, cette proposition de loi est un des éléments propre à donner à nos concitoyens confiance de dans l’avenir. Nous sommes convaincus que servir l’intérêt général, c’est faire que les entreprises viables continuent à investir, à vivre, et que les salariés puissent continuer à y travailler. Il s’agit donc d’une proposition de loi tout à fait importante.

Je profite de cette intervention pour apporter quelques précisions s’agissant du deuxième pilier de cette proposition, qui concerne l’actionnariat de long terme et les OPA. En effet ce texte fournit aux entreprises françaises de nouveaux outils leur permettant de mieux maîtriser leur capital et privilégie l’actionnariat de long terme. Ces entreprises pourront ainsi, le cas échéant, mieux se défendre face à des OPA hostiles. Ces précisions, dont le Gouvernement souhaite qu’elles figurent au compte rendu de nos débats, concernent l’interprétation de quelques dispositions du texte modifiées par l’Assemblée nationale. Elles vont dans le sens de votre intention lorsque vous avez amendé ce texte.

À l’article 5, alinéa 13, vous aviez souhaité accorder une autorisation temporaire à un actionnaire d’une société de repasser la barre des 30 % des droits de vote après avoir successivement réduit sa participation en capital, puis bénéficié de la nouvelle règle sur les droits de vote doubles, sans avoir à lancer une offre publique obligatoire. Je souhaite, au nom du Gouvernement, préciser que cette disposition doit se comprendre comme permettant également de déroger, dans ce cas de figure et dans les mêmes conditions, à la règle prévue à l’article L. 433-3 du code monétaire et financier telle qu’elle résulte du présent texte.

À l’article 6, alinéa 14, vous avez précisé la capacité du juge de prolonger le délai accordé au comité d’entreprise pour donner un avis sur l’offre, afin d’éviter des manoeuvres dilatoires de la part de la société objet de l’offre. Là encore, afin de clarifier la compréhension du texte, le Gouvernement indique que le juge pourra évidemment prolonger le délai accordé au comité d’entreprise pour rendre son avis si la direction de la société qui fait l’objet de l’offre ne transmet pas certaines informations dans un autre but que de faire obstacle à cette offre.

À l’article 7, enfin, vous avez adopté une disposition, également votée au Sénat, permettant de fixer un rapport d’un à cinq entre les nombres d’actions gratuites distribuées à chaque salarié dans le cas, nouvellement créé dans le présent texte, d’une distribution d’actions gratuites à tous les salariés sous un plafond de 30 % du capital de la société. Le Gouvernement souhaite préciser, et telle était bien votre intention, que cette nouvelle règle encadrant la distribution d’actions gratuites ne s’appliquera pas de manière cumulative sur plusieurs résolutions successives d’autorisation d’attribution d’actions gratuites.

Elle ne s’appliquera donc que dans le cas où une assemblée générale extraordinaire a autorisé, pour un délai déterminé ne pouvant dépasser trente-huit mois, une attribution d’actions gratuites à l’ensemble des salariés. Dès lors, elle ne trouvera pas à s’appliquer si l’employeur décidait, comme c’est déjà possible aujourd’hui, d’une attribution d’actions gratuites à certains salariés dans la limite du plafond de 10 % du capital. Telles sont les précisions que je tenais à apporter sur ces différentes modifications apportées à l’Assemblée nationale.

Cette proposition de loi, et j’en termine, constitue l’un des leviers en faveur de notre ambition commune pour favoriser et protéger l’actionnariat de long terme. C’est d’ailleurs ce qui différencie bon nombre d’entreprises allemandes et françaises. On constate souvent que le coût du travail diffère en Allemagne et en France. Il serait intéressant de connaître ce qu’il en est de la différence du coût du capital entre les deux pays. Des détenteurs du capital dans les entreprises allemandes étaient beaucoup plus sobres que les détenteurs français.

Il est également intéressant de noter que le capitalisme outre-Rhin a souvent privilégié les pactes de long terme entre actionnaires. C’est aussi ce que nous recherchons pour favoriser l’investissement de long terme et, ainsi, la création d’emplois durables. Ce texte offensif et pragmatique s’inscrit dans notre stratégie de lutte pour l’emploi et pour le renforcement de la démocratie de nos entreprises afin de protéger les intérêts stratégiques français. À ce titre, il sera tout à fait utile pour concilier, comme nous le souhaitons, croissance, progrès économique et progrès social.

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