Intervention de Clotilde Valter

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClotilde Valter, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, chers collègues, enfin, nous y sommes ! Ce lundi 24 février, nous arrivons au terme du processus d’élaboration de cette proposition de loi dite « Florange », devenue proposition de loi « visant à reconquérir l’économie réelle », initiée en février 2012 par François Hollande et Jean-Marc Ayrault, à l’époque députés d’opposition.

Leur initiative a été reprise début 2013 par François Brottes, président de la commission des affaires économiques, qui a animé, avec toute la détermination que nous lui connaissons, le travail du groupe de députés qui a mis au point le texte. Cette proposition de loi a été déposée le 30 avril 2013 par Bruno Le Roux, président du groupe socialiste, républicain et citoyen et j’ai commencé mes auditions de rapporteure début juin 2013.

Depuis cette date, ce texte, fruit d’une élaboration collective, a été sans cesse amélioré grâce aux auditions et aux contributions qui nous ont été apportées. Les auditions ont permis d’asseoir les fondamentaux du texte avec la mise au point de l’articulation nécessaire avec la procédure prévue par la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi ; avec l’analyse de cas concrets, parmi lesquels M-real et Pilpa dont nous avons entendu longuement les salariés ; notre collègue, Jean-Louis Destans, y reviendra.

Nous nous sommes également appuyés sur l’expérience de terrain de nombreux députés confrontés à ces situations. Le travail en commission nous a ensuite permis de traiter plusieurs sujets importants comme le remboursement des aides publiques et l’information des élus. Le débat ici même en septembre dernier a tiré les conséquences des positions contradictoires exprimées quant à l’efficacité d’une nouvelle réduction du seuil de déclenchement des OPA. De même, nous avons modifié la procédure de consultation du comité d’entreprise en cas d’OPA pour en réduire significativement la durée. L’examen du texte par le Sénat a été un moment important même s’il n’a pas adopté le texte. Nos collègues, la rapporteure de la commission des affaires sociales saisie au fond, Anne Eymery-Dumas, et les rapporteurs pour avis ont, je tenais à le souligner, réalisé un travail important d’amélioration du texte.

Plusieurs amendements du Sénat ont été ainsi repris par la commission des affaires économiques a l’occasion de la nouvelle lecture qu’ils soient rédactionnels, de forme ou qu’ils portent sur le fond, donc sur les offres techniques et surtout, et je tiens à le souligner, sur les conditions de remboursement des aides publiques. En effet, la première version du texte prévoyait que le tribunal, au moment où il prononçait la pénalité pouvait, en même temps, exiger le remboursement des aides publiques. Le Sénat a significativement amélioré le texte dans la mesure où il donne aux collectivités publiques la possibilité d’émettre, dans l’année suivant le jugement du tribunal, un titre de recettes.

Ce sont donc ces dernières qui prennent l’initiative, ce qui est une bonne chose. La nouvelle lecture, ici même lundi dernier, a encore permis quelques améliorations. Je veux, une fois encore, remercier tous ceux qui ont travaillé sur ce texte avec moi : François Brottes, bien sûr, Guillaume Bachelay, Dominique Chauvel, Jean-Louis Destans, Jean-Marc Germain, Jean Grellier, Michel Liebgott, Patrice Prat, Marie-Françoise Bechtel, Christophe Borgel, Cécile Untermaier et Christophe Léonard, entre autres. Ce texte traduit notre volonté de reconquête de notre économie et, notamment, de notre industrie.

La logique trop exclusivement financière qui fait prévaloir les intérêts financiers de très court terme en sacrifiant les stratégies de long terme de développement des entreprises a causé des dégâts considérables dans nos territoires, pour les salariés et nos filières industrielles. Nombre d’entre nous ont été, depuis plusieurs années, confrontés à des fermetures de sites, drames industriels et humains, mais aussi sources d’appauvrissement de nos territoires et, souvent, disparition de savoir-faire industriels acquis de très longue date.

Notre pays, il convient de le rappeler, a perdu 750 000 emplois industriels en dix ans. C’est pourquoi nous pensons tous aujourd’hui aux salariés des entreprises qui se sont battus pour conserver leur entreprise : ceux de Petroplus, Pilpa, ArcelorMittal, d’Aucy, Moulinex, Plysorol, Goodyear et beaucoup d’autres que je n’ai pas le temps de citer. Face à cette logique financière dévastatrice et parce que l’État doit être le protecteur des entreprises et des salariés, nous avons voulu réagir en déposant cette proposition de loi et ce, comme vient de le préciser Benoît Hamon, après le silence de nos dirigeants sur ce sujet, silence qui a duré bien trop longtemps.

Nous avons voulu que la reprise des sites rentables soit systématiquement recherchée. Dès lors que l’on ferme un site rentable, les salariés, les élus et les habitants sont confrontés à l’incompréhensible, à l’absurde, à l’inacceptable. C’est pourquoi il fallait réagir et marquer que l’on ne peut fermer impunément un site rentable, en imposant à l’entreprise qui veut cesser son activité des obligations à l’égard des salariés et du territoire et d’abord celle de rechercher un repreneur. Nous avons mis au point une procédure spécifique à cet effet.

Il convenait également de disposer d’un mécanisme de dissuasion avec une sanction financière prononcée par le tribunal de commerce pour l’entreprise qui refuserait une offre de reprise sérieuse. Avec ce texte, nous voulons aussi, et j’insiste sur ce point, aider les entrepreneurs qui s’engagent pour le développement économique et l’emploi. Ce texte favorise la liberté d’entreprendre et l’activité économique. Nous avons voulu aussi construire un nouveau modèle de gouvernance des entreprises qui les protège des excès de la finance. Le ministre est intervenu sur ce point. Avec ce texte, nous avons voulu poser les bases d’un nouveau modèle de gouvernance des entreprises.

La logique financière met en danger notre système économique, car, trop souvent, les intérêts des actionnaires vont à l’encontre des intérêts de long terme de nos entreprises, de nos filières industrielles, donc des salariés et des territoires. En France, nos entreprises sont d’autant plus exposées aux risques d’instabilité que l’actionnariat de long terme est particulièrement faible. Il nous faut donc rechercher le bon équilibre entre l’attractivité indispensable pour assurer le financement de notre économie par l’apport de capitaux notamment étrangers et la protection des investisseurs qui s’engagent dans la durée et qui, de fait, protègent mieux nos entreprises, nos filières industrielles, nos salariés et nos territoires.

C’est pourquoi la proposition de loi conforte les actionnaires de long terme avec le droit de vote double ; donne aux entreprises des moyens de résister aux OPA hostiles et aux prises de participation rampantes ; associe, enfin, les salariés aux procédures d’OPA à travers la consultation du comité d’entreprise, fidèle en cela au dialogue social voulu par le Président de la République et le Premier ministre. Pour nous, ce texte n’est qu’une étape pour préparer l’économie de demain. Nous l’avons nous-mêmes constaté au cours de notre travail parlementaire, la finance a sa propre logique, une force sans limite dans l’économie mondiale.

En Europe et dans notre propre pays, elle refuse d’admettre que nous fassions des choix différents. Nous défendons des valeurs qui nous font placer l’homme au coeur de l’économie et nous voulons imposer des règles. Nous avons construit depuis des années un modèle social auquel nous sommes attachés et que nous voulons défendre. Notre conception de l’entreprise nous conduit à reconnaître son intérêt social et chacune de ses composantes, son capital, le travail des salariés, l’outil industriel construit au cours des années, le savoir-faire issu de l’expérience de tous, ainsi que l’engagement de nos territoires auprès des entreprises.

Dans ce contexte, il nous faut admettre que les entreprises sont, en France, et trop souvent en Europe, moins bien protégées que certaines de leurs concurrentes étrangères, américaines et asiatiques. Dans la guerre économique que nous connaissons, nos entreprises participent de l’image, de l’influence et du poids de notre pays dans le monde. Pour préparer l’avenir de notre économie, nous voulons développer aujourd’hui les entreprises qui créeront les produits et les emplois de demain sur notre territoire et nous devons nous doter des outils qui nous permettront de répondre à ce défi.

Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances et Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif, ont présenté, en janvier dernier en conseil des ministres, une communication relative à la stratégie de l’État actionnaire. Dans ce texte, sont identifiées les conditions de l’intervention en fonds propres de l’État. Un pas important a été fait à cette occasion, puisque sont intégrés dans cette démarche non seulement les entreprises à capitaux publics à caractère stratégique, mais aussi la nécessité de pourvoir aux besoins fondamentaux du pays, le développement et la consolidation d’entreprises nationales et, enfin le « sauvetage », lorsque la disparition d’une entreprise présente un risque systémique avéré pour l’économie nationale ou européenne.

C’est un premier pas important. J’insiste sur ce point, car nous avons exprimé ce souhait lors du débat du mois de septembre. Il pose, en effet, les bases d’une capacité de l’intervention publique, c’est-à-dire au nom de l’intérêt général, pour défendre nos fleurons industriels. Mais, tout comme le texte que nous allons, je l’espère, voter aujourd’hui, il n’est pas suffisant. Il nous faut, en effet, faire en sorte que nos entreprises innovantes, nos « pépites » des secteurs de pointe trouvent, en France, les moyens de financer leur croissance grâce à l’épargne afin d’éviter que les technologies mises au point dans notre pays ne soient acquises par des capitaux étrangers. Il nous faut incontestablement développer des outils à cette fin.

Comme vous pouvez le constater, une fois cette proposition de loi votée, ce vaste chantier de reconquête de notre outil industriel continuera de nous mobiliser. Nous concilierons, comme l’a précisé le ministre, attractivité économique et progrès social. Il y va de l’intérêt de notre économie et de l’intérêt de notre pays. Pour cela, monsieur le ministre, chers collègues, je compte sur vous.

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