Intervention de Christophe Cavard

Séance en hémicycle du 24 février 2014 à 16h00
Redonner des perspectives à l'économie réelle et à l'emploi industriel — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Cavard :

…et de limiter les abus d’une spéculation qui nuit à nos emplois et à certaines de nos entreprises.

Ce texte est avant tout une réponse à un constat implacable : notre tissu industriel disparaît progressivement. Les chiffres le montrant sont bien connus et nous n’avons cessé de les répéter depuis le début des discussions sur cette loi. En trente ans, selon la direction générale du trésor d’emplois, le nombre d’emplois dans l’industrie française est passé de 5,3 millions à 3,4 millions. Cela représente une baisse de 36 %. Ce pourcentage fait de la France l’un des pays d’Europe connaissant le plus fort mouvement de désindustrialisation. Et, nous le savons, le processus s’accélère, puisqu’un tiers environ de ce chiffre concerne seulement les dix dernières années, ce qui correspond à un million d’emplois. C’est énorme ! Nous le savons tous : il est impératif que notre tissu industriel regagne de son dynamisme, du point de vue de l’emploi, mais aussi pour se moderniser.

Pourtant, pas de fatalisme ! Comme l’annonce son intitulé, le texte propose une piste qui se résume à ces deux mots : l’économie réelle. Si ce titre a pu sembler obscur, ses enjeux, eux, sont très clairs : stopper les comportements purement spéculatifs qui affaiblissent notre appareil productif et remettre l’intérêt général au centre de l’économie. Ces dernières années, les politiques ont délaissé l’économie réelle, comme s’ils baissaient les bras face à une financiarisation toujours plus grande de l’économie. Il en résulte une situation où le poids de la sphère financière est démesuré par rapport à celui de l’économie réelle. Alors que l’ensemble de la sphère financière représentait environ deux fois et demie l’économie réelle en 1990, ce rapport a quadruplé, puisque la finance représente désormais plus de dix fois l’économie réelle.

Je ne parlerai pas, une fois encore, du célèbre cas de Florange, un site rentable qui a dû fermer ses hauts fourneaux à cause d’une logique dirigée vers le profit maximal à court terme. Cette dictature de la rentabilité est d’autant plus grave que derrière ces noms d’entreprises, derrière ces acronymes comme celui d’OPA et derrière ces situations surmédiatisées, il y a avant tout des salariés et des drames personnels. Si dans le monde de la finance, les usines et les travailleurs sont des chiffres, des variables d’ajustement, les souffrances des salariés sont, elles, bien réelles, lorsqu’ils se retrouvent confrontés au chômage et à des projets d’avenir détruits.

À travers cette proposition de loi, nous affirmons qu’il est toujours temps de changer de cap, pour aller enfin dans le sens du maintien et du redéploiement de notre tissu industriel. À travers elle, nous interrogeons ces situations de perte de l’outil de travail sur des sites rentables. Nous le disons très clairement : fermer ces sites alors que des repreneurs étaient prêts à les racheter est insupportable socialement et inacceptable économiquement. Il est de notre responsabilité politique collective de prendre des mesures afin que les entreprises disposent d’outils efficaces pour se défendre lorsqu’elles font l’objet de tentatives de prise de contrôle et que les salariés disposent d’instruments leur permettant de reprendre la main sur l’avenir de sites industriels rentables qu’ils ont contribué à faire vivre par leur travail. Il est grand temps que la France prenne conscience de son retard par rapport à d’autres pays, qui ont déjà mis en place de tels outils, et qu’elle protège ses travailleurs et son industrie.

Le texte propose des mesures concrètes : elle pose des conditions à la fermeture d’entreprises, en obligeant un dirigeant souhaitant fermer un site à plus de transparence dans ses démarches. Cela est une bonne chose, d’autant plus que cette obligation de recherche d’un repreneur est assortie de sanctions pour les employeurs qui ne s’y plieraient pas.

Les mesures prises en faveur d’une meilleure information des salariés concernant leur possibilité de reprise de l’établissement sont importantes. Pour aller plus loin, dès la première lecture, les écologistes, grâce à un amendement que j’ai défendu, ont obtenu que soit facilitée la reprise d’entreprise par les salariés sous forme d’une société coopérative de production – ces fameuses SCOP. J’en profite d’ailleurs pour saluer le renforcement de cette proposition dans le texte sur l’économie sociale et solidaire que vous défendez, monsieur le ministre.

La logique est simple : en mettant les salariés aux manettes de leur entreprise, on évite les comportements opportunistes de profit, car on confie la gestion et la production à des personnes qualifiées qui connaissent leur activité et qui ont intérêt à ce que celle-ci perdure. On évite donc les délocalisations et le dumping social, mais c’est également une manière de promouvoir un mode de fonctionnement plus général défendu depuis longtemps par les écologistes : un modèle coopératif qui garantit la démocratie et l’égalité dans l’entreprise et donne de l’autonomie aux travailleurs.

De nombreuses mesures vont dans le sens d’une plus grande égalité entre les travailleurs et d’une plus grande transparence. Je pense notamment à la création d’un droit de vote triple pour les actionnaires détenant un titre depuis plus de cinq ans. Cela favorisera l’actionnariat de long terme plutôt que les intérêts purement spéculatifs.

Par ailleurs, la possibilité d’attribuer jusqu’à 30 % des actions, de manière gratuite, à tous les salariés parachève le dispositif. Afin de le renforcer, nos collègues écologistes au Sénat ont fait adopter un amendement précisant que la répartition des actions devait se faire de manière équitable, dans un rapport maximum de un à cinq, afin d’éviter des écarts trop importants entre employés. Le texte ayant été rejeté dans son ensemble au Sénat, nous défendons à nouveau cette position dans notre assemblée.

Cette proposition de loi limite en outre la prise de contrôle des sociétés par des groupes prédateurs, qui, bien souvent, font peu de cas des salariés travaillant au sein des entreprises rachetées. Les OPA devront déboucher sur un contrôle d’au moins 50 % du capital de la société cible, sous peine d’invalidation. Dans la même perspective, nous saluons le renforcement du rôle des comités d’entreprise et les sanctions prévues en cas de non-respect des obligations d’information ou d’association, qui responsabilisent les employeurs vis-à-vis de leurs salariés. Ces sanctions nous paraissent justes. Dans le cas où le tribunal de commerce juge que l’entreprise n’a pas respecté ses obligations ou qu’elle a refusé une offre de reprise sérieuse, elle sera soumise à des pénalités financières. Cette somme, réinjectée via la banque publique d’investissement dans le financement de projets créateurs d’activité et d’emplois dans le territoire de l’entreprise, va dans le bon sens, celui de la création d’emplois et du maintien des liquidités dans les circuits de l’économie réelle, afin de dynamiser les territoires.

Enfin, nous saluons la suppression de l’article 9 qui sanctuarisait les zones industrielles abandonnées, en empêchant leur reconversion vers un autre usage et leur réhabilitation. En effet, les dispositions de cet article nous paraissaient en contradiction avec le projet de loi ALUR, tout fraîchement voté, dont l’ambition est de lutter contre l’artificialisation des zones naturelles et agricoles, mais également de développer l’offre de logement. Vous l’avez compris, la lutte contre la désindustrialisation est pour nous une priorité. Néanmoins, les écologistes souhaitent qu’au-delà d’une simple défense du potentiel productif, nous ayons une vraie réflexion sur les modalités de son développement et de sa durabilité, à l’échelle des territoires locaux, de la France et de l’Europe.

Pour développer l’économie réelle et l’emploi, nous devons soutenir de nouvelles filières industrielles et une production de qualité. Je pense aux énergies renouvelables, aux transports ou à une agriculture de qualité – depuis le temps que l’on en parle, vous les connaissez aussi bien que moi, mes chers collègues ! L’innovation entrepreneuriale, écologique et sociale doit être notre atout, car elle créera de l’emploi en ouvrant de nouvelles opportunités de relocalisation des activités. Pour cela, misons sur la recherche et sur le vivier de chercheurs et d’ingénieurs que compte notre pays, ainsi que sur la formation professionnelle.

Enfin, au-delà des filières à vocation environnementale, nous plaidons pour une nouvelle révolution industrielle. Afin de s’adapter aux défis de demain, l’industrie devra intégrer les principes de l’économie dite circulaire : l’économie du recyclage. Elle devra être plus écologique, plus économe, non seulement en consommation de matières premières, mais aussi en flux comme l’eau ou l’énergie, et moins polluante. C’est là une opportunité de développement de nouveaux process industriels et de nouveaux facteurs de compétitivité, à l’heure où l’énergie et les ressources sont plus rares, donc plus chères. Ainsi cette proposition de loi permettra à nos entreprises de se doter d’instruments opérants pour faire face aux fermetures injustifiées. Si elle propose des premières pistes pour l’avenir industriel français, celles-ci doivent encore être confirmées. Tout reste à faire pour conduire cette nouvelle révolution industrielle que nous appelons tous de nos voeux.

Les écologistes, cosignataires de cette proposition de loi, voteront donc ce texte, prouvant ainsi – permettez-moi ce clin d’oeil, monsieur le ministre, chers collègues – qu’ils peuvent aussi être en phase avec le Gouvernement.

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