Intervention de Dominique Tian

Séance en hémicycle du 25 février 2014 à 15h00
Travail : sous-traitance et lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Tian :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, votre proposition de loi a l’ambition de répondre aux dérives constatées un peu partout en Europe en matière de détachement.

Le groupe UMP avait abordé ce débat avec un a priori favorable et voté la proposition de résolution que vous aviez déposée avec nos collègues Michel Piron et Françoise Guittet.

Sept mois plus tard, nous examinons votre texte qui anticipe une prochaine directive européenne, dont il faut noter qu’elle est toujours en cours de négociation à Bruxelles. Il s’agit donc un d’un texte franco-français concernant une directive européenne à venir, ce qui peut paraître un peu étrange ! En effet, la situation est loin d’être réglée, puisque l’accord conclu en décembre dernier a tout de même laissé de côté tout le secteur de l’agroalimentaire, pourtant l’un des principaux parmi ceux concernés par les abus liés au détachement.

Le texte que vous proposiez était loin d’être parfait, et nous avons essayé de l’enrichir ensemble dans un esprit consensuel à travers, notamment, l’adoption d’amendements UMP – ce qui fut fait.

Ainsi, le principe de responsabilité solidaire – que vous appelez « le coeur du réacteur » – a-t-il changé de nature : on parlera maintenant de « vigilance du donneur d’ordre », ce qui est juridiquement plus acceptable.

Toutefois, notons qu’en séance un amendement du Gouvernement a malheureusement élargi le principe de responsabilité solidaire du donneur d’ordre aux conditions d’hébergement indignes. Prenons garde à ce que le donneur d’ordre ne soit pas considéré comme coresponsable s’il n’arrive pas à trouver par lui-même des possibilités de relogement immédiat, ce qui n’est pas toujours évident.

Autre mesure qui pose problème : la création d’une liste noire des entreprises indélicates. Les entreprises condamnées à 15 000 euros d’amende pourront l’être également à figurer sur cette liste, consultable sur le site du ministère du travail.

Nous nous félicitons que vous ayez accepté de soumettre le décret d’application à l’avis de la CNIL, ce qui était tout de même la moindre des choses et que nous demandions avec insistance. Toutefois, le Gouvernement a profité d’un amendement prétendument rédactionnel pour faire passer d’un an à deux ans la durée maximale d’inscription sur la liste.

Notre groupe s’interroge sur l’objectif de cette mesure. C’est une peine dissuasive, certes, mais qui aura des effets pervers. Soit cette liste noire a pour conséquence directe d’interdire l’accès des entreprises fautives aux marchés publics, soit elle n’a pas d’effet direct – ce qui est actuellement le cas – et elle ne se justifie que difficilement.

Tabler sur une publicité négative nous semble quelque peu hypocrite. Ces entreprises seront inscrites sur une liste, mais cela n’aura finalement aucune importance, sauf à ce qu’elles soient montrées du doigt et fassent l’objet d’une très mauvaise publicité, ce qui soulève évidemment un problème de libre concurrence et leur interdira, de fait, de nombreux marchés. À notre avis, cela les condamne à mort – même si leurs dirigeants changent, ce qui peut paraître étonnant –, et des emplois seront supprimés. Cette liste noire est donc problématique.

Enfin, la possibilité donnée aux organisations professionnelles et syndicales, dont certaines ont parfois des positions assez antieuropéennes, d’ester en justice en lieu et place du salarié ne nous paraît pas pertinente. Le groupe UMP a protesté et réclamé qu’à tout le moins le salarié en soit informé et ne s’y oppose pas. Las, nous n’avons pas eu gain de cause.

Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité ajouter un volet relatif au secteur des transports, qui ne concerne absolument pas le détachement. Vous auriez pu parler temps de travail, cadences infernales ou salaires trop faibles mais vous avez choisi, assez bizarrement, de ne vous intéresser qu’à l’endroit où dormiront les chauffeurs routiers leweek-end,en les obligeant à trouver un hôtel ces jours-là. Leur a-t-on demandé leur avis, eux dont la cabine est très souvent bien équipée et peut les accueillir cinq jours sur sept à défaut, selon vous, du samedi et du dimanche ? Peut-être ignorez-vous que le principal problème des routiers, sur les aires d’autoroute, est de ne pas se faire voler la marchandise qu’ils transportent. Je vous indique d’ailleurs que l’article 8 du Règlement européen prévoit le libre choix du conducteur. Votre dispositif nous semble donc assez fragile sur le plan du droit.

Pour conclure, nous considérons donc que le texte est rempli de bonnes intentions mais qu’il est aussi, sans doute, quelque peu précipité. Il ne faudrait pas que, de surcroît, il contredise la directive européenne en préparation.

Les dérives du détachement continueront tant que nous ne réglerons pas – c’est une question nationale – les problèmes liés au coût du travail.

Pour toutes ces raisons, notre groupe s’abstiendra.

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