Intervention de Bruno Le Roux

Séance en hémicycle du 25 février 2014 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en centrafrique débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Je veux aussi, à mon tour, rendre hommage aux soldats de première classe Nicolas Vokaer et Antoine Le Quinio, du 8e RPIMa de Castres, qui ont perdu la vie lors d’un échange de tirs au début de l’intervention, et au caporal Damien Dolet, du régiment d’infanterie chars de marine de Poitiers, qui a perdu la vie dimanche dernier. Je veux aussi dire à leurs familles toute la gratitude et la reconnaissance de la patrie tout entière à leur endroit.

Alors bien sûr, la situation sur le terrain reste fragile. Les communautés musulmanes, associées à tort aux ex-rebelles de la Séléka qui avaient porté Michel Djotodia au pouvoir, quittent les principales villes du pays, notamment à l’Ouest, sous la menace des milices anti-balaka qui, sous couvert de la religion, tuent, volent et pillent leurs concitoyens.

La bonne volonté des autorités de transition, des dignitaires religieux ou encore des ONG ne pourra mettre fin à elle seule au sentiment d’impunité dont jouissent ceux qui terrorisent des pans entiers de la population. L’arrivée au pouvoir de la présidente de transition Catherine Samba-Panza constitue une nouvelle donne pour la reconstruction politique du pays, mais ce processus sera long et difficile. Sans les ressources financières et matérielles suffisantes pour acheminer l’aide humanitaire, pour rémunérer les agents des ministères régaliens que sont la défense, l’intérieur, la justice, pour assurer le bon déroulement des élections prévues en 2015, le fonctionnement minimal d’un État de droit digne de ce nom ne sera pas garanti et les factions prédatrices jadis au pouvoir continueront de menacer le pays.

La France pare donc au plus pressé, sécurise autant que faire se peut la capitale et commence à se projeter dans le reste du pays. Afin de répondre au mieux aux urgences, le Président de la République a augmenté de 400 nos effectifs supplémentaires de militaires et gendarmes sur place. Ces renforts sont les bienvenus, car ils garantiront les premiers acquis à Bangui tout en augmentant notre capacité d’action en province. Mais ils ne sont que temporaires et ne doivent pas cacher la réalité du terrain : l’aide de tous est indispensable pour la reconstruction de la Centrafrique.

Nous avons besoin de l’aide des Centrafricains, de tous les Centrafricains, car la République Centrafricaine et ses institutions ne pourront se reconstruire sans la réconciliation de son peuple dans toutes ses composantes. Il faut désormais mettre de côté les ruines de la haine et du ressentiment pour poser les fondations d’une société pacifiée.

Nous avons besoin de l’aide des Africains. Les 6 000 hommes de la MISCA accomplissent un travail remarquable, mais leur manque de mobilité, de logistique et de transmission sont des freins réels à sa capacité de projection sur le terrain, malgré l’assistance des Américains.

Nous avons besoin de l’aide des Européens. Le déploiement de l’opération de l’Union européenne, l’EUFOR-RCA, censée rassembler près d’un millier d’hommes, doit avoir lieu rapidement avant que saison des pluies n’entrave les voies de circulation.

Je salue les pays qui ont d’ores et déjà annoncé leur participation à cette opération. Alors qu’un détachement de la brigade franco-allemande va rejoindre les effectifs présents au Mali plus d’un an après le lancement de l’opération Serval, je ne perds pas espoir quant à la participation future d’éléments de groupements tactiques européens en Centrafrique. Certains de nos partenaires freinent des quatre fers et je le regrette car à terme, ces outils n’ont pas été générés pour rien, mais bien pour servir les missions de Petersberg qui fondent la politique européenne de sécurité et de défense. À cet égard, il faudrait plus d’allant pour rejoindre le mouvement initié par notre pays.

Nous avons besoin d’une opération pour le maintien de la paix. Le Président de la République l’a fait savoir au secrétaire général des Nations unies : la Centrafrique a besoin de casques bleus. Une mission des Nations unies serait à la fois une bouffée d’oxygène pour les forces de la MISCA et de Sangaris et pour les ONG, mais aussi un levier inestimable pour permettre aux autorités de transition de mettre en oeuvre la feuille de route prévue par les accords de Libreville.

Enfin, et surtout, nous avons besoin du soutien des Français. Je sais que certains d’entre eux ont du mal à comprendre pourquoi nous nous engageons militairement à plus de 5 000 kilomètres de Paris. La tentation du repli sur soi est chose commune en période de difficultés. Mais nous sommes la France, le pays des droits de l’Homme, fondateur des Nations unies et membre permanent de son Conseil de sécurité. Nous avons la capacité militaire de couvrir un large spectre de missions. Nous avons des responsabilités sur la scène internationale.

Je le dis autant plus aisément que la République Centrafricaine est au carrefour de la région des grands lacs, de l’Afrique de l’Est et du Sahel. Toute incapacité prolongée pour la Centrafrique à contrôler son territoire serait une véritable aubaine pour les réseaux terroristes et mafieux, ainsi que des trafics en tout genre – ivoire, diamant, êtres humains, armes lourdes et légères, drogue. Car si la nature a horreur du vide, les criminels le chérissent plus que tout.

Empêcher l’effondrement de la République centrafricaine, c’est éviter la déstabilisation, par un effet « dominos », du Cameroun, du Soudan, de la République démocratique du Congo ou encore du Tchad voisins. Il me semble que la RCA est bien une poudrière en puissance, et l’aurait été si nous n’étions pas intervenus, pour l’ensemble du sous-continent, comme ont pu l’être les Balkans au siècle dernier.

Alors oui, cela peut nous sembler lointain. Mais l’Afrique se trouve aux portes de l’Europe, et tout embrasement de l’autre côté de la Méditerranée représente un risque stratégique majeur pour notre sécurité. Les destins de nos deux continents sont liés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre dispositif prépositionné doit évoluer pour faire face aux nouvelles menaces bien sûr, mais demeure essentiel pour prévenir et juguler l’éclatement de crises.

Nous partageons avec l’Afrique subsaharienne en général, et avec la République centrafricaine en particulier, une histoire commune. Au nom d’un long et sombre chapitre de cette histoire, certains estiment que nous n’aurions pas dû intervenir. Mais c’est précisément parce que cette période est révolue que nous avons pu lancer l’opération Sangaris, sous le mandat des Nations unies. C’est parce que nos relations avec la RCA sont désormais sans ambiguïtés que sa présidente peut demander que l’on accompagne jusqu’au bout le processus de transition.

Et puis, qu’aurions-nous pu faire d’autre que d’aider ce pays ami ? En décembre dernier, alors que nos forces se déployaient, mille Centrafricains sont morts en moins de vingt-quatre heures. Combien de vies auraient été perdues si nous étions restés les bras croisés et si le Président de la République n’avait pas décidé quelques heures après le vote de la résolution de l’ONU d’intervenir et de demander à nos troupes de s’engager sur le terrain ?

Il faut être clair, tourner la page de cette histoire, ce n’est pas tourner le dos à l’Afrique, ce n’est pas se rendre coupable de non-assistance à État en danger ! C’est prendre toute sa part de responsabilité, sa juste part, dans le respect du droit international et en étroite coopération avec les organisations régionales et les Nations unies.

Mes chers collègues, vous l’avez compris, notre intervention a permis d’éviter un drame humanitaire, mais le chemin à parcourir vers une situation sécuritaire stabilisée et un ordre politique reconstruit reste long et difficile.

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