Enfin, si la France est intervenue, elle l’a fait dans la concertation, à la demande des organisations panafricaines, avec le soutien de l’Union européenne et sous le mandat que lui avait délivré le Conseil de sécurité des Nations unies.
Incontestablement, cette intervention était nécessaire et elle le demeure aujourd’hui. Pour autant, l’évolution de la situation en Centrafrique n’en est pas moins extrêmement préoccupante.
Malgré la présence de 1 600 soldats français – bientôt 2 000 – et de 6 000 militaires africains opérant dans le cadre de la MISCA, la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine, la crise centrafricaine a fait 2 000 morts, 100 000 réfugiés et un million de déplacés. Le risque d’une famine généralisée est réel et imminent. Les tensions confessionnelles sont à leur comble : les musulmans fuient Bangui pour rallier l’est centrafricain, parfois le Tchad, et l’hypothèse d’une partition de l’État est une crainte de plus en plus crédible. Les chrétiens, dénonçant une campagne de communication trop véhémente contre les milices anti-balaka, se retournent contre les autorités de transition et les militaires français. Les rares administrations qui fonctionnent encore sont débordées, l’aide humanitaire est insuffisante et les exactions à Bangui, mais surtout en province, sont quotidiennes.
Pour les écologistes, ce bilan doit conduire la France à faire évoluer son intervention et ses moyens. Je voudrais ainsi saisir l’occasion de ce débat pour formuler quatre propositions.
La première consiste à doubler nos effectifs militaires présents sur le théâtre centrafricain, en une fois et pour un délai de quatre mois, soit le temps de rotation d’une mission extérieure. Aujourd’hui, nous augmentons le nombre de soldats envoyés sur place progressivement, comme le montre la récente décision du président de la République d’augmenter de 400 hommes le dispositif Sangaris. Or de l’avis de nombreux experts militaires, cette tactique d’incrémentation est généralement inopérante dans la mesure où elle contribue à alimenter la résilience des groupes armés et échoue à produire un effet dissuasif massif.
La mesure que nous proposons porterait le nombre de soldats français sur le terrain à 4 000 et permettrait d’endiguer l’amplification de la violence en maillant le territoire, en protégeant les civils de façon plus efficace et en veillant au cantonnement des groupes armés. En effet, la Centrafrique est un pays de 623 000 kilomètres carrés, une superficie largement supérieure à celle de la France, et Bangui, la capitale, où sont stationnées la majorité de nos troupes, compte plus d’un million d’habitants.
Les experts militaires considèrent qu’en théorie, pour une mission de stabilisation telle que celle menée actuellement par la France en Centrafrique, il faudrait un ratio d’environ vingt soldats pour 1 000 habitants. En dessous de ce seuil, jamais une mission de cette nature n’a été correctement remplie. Si l’on additionne les 1 600 soldats français actuels et les 6 000 soldats africains, dont le niveau d’opérationnalité est très inférieur aux standards européens, on atteint péniblement un ratio de 7,6 soldats pour mille habitants. Souvenons-nous qu’en novembre 2013, alors que le niveau de tension était moindre, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, avait plaidé en faveur de l’envoi de 9 000 Casques bleus en Centrafrique.
Certes, l’action militaire ne résoudra pas tout. Mais elle constitue le préalable à la canalisation des violences et à la reprise de l’aide. Elle est la condition sine qua non à la transition politique.
À cet égard, une nouvelle présidente, Mme Catherine Samba-Panza, a été élue présidente du Conseil national de transition à la fin du mois de janvier. Elle devient temporairement l’interlocutrice de la communauté internationale et le dépositaire légitime de l’autorité en République centrafricaine. Il faut noter qu’elle demande d’ailleurs la poursuite de l’intervention française et internationale. Son gouvernement a par ailleurs annoncé la tenue rapide d’élections. Mais le paradigme électoral souffre de certaines limites qu’il convient de ne pas occulter. La reconstruction du tissu social, la sauvegarde de la souveraineté territoriale et la restauration de l’État appellent une transition politique qui s’inscrit dans la durée. Reconstruire les structures étatiques est un défi posé à la communauté internationale en République centrafricaine, comme il se pose dans d’autres pays : nous l’avons vu au Mali. L ’Organisation des nations unies doit relever ce défi de façon plus opérationnelle qu’elle ne le fait aujourd’hui.
Notre deuxième proposition consiste à interpeller davantage nos partenaires européens afin qu’ils apportent un soutien militaire et financier plus significatif à cette intervention qu’ils soutiennent politiquement et diplomatiquement. Si la France augmentait significativement ses effectifs en République centrafricaine, on peut estimer que cela créerait un effet d’entraînement à l’échelle européenne. Cela placerait les États membres face leurs responsabilités, la France ayant mis toutes ses capacités en jeu. Tout échec éventuel de l’intervention serait alors aussi la conséquence directe d’une absence de solidarité européenne.
Si, le 20 janvier, les vingt-sept ministres des affaires étrangères de l’Union européenne ont bien approuvé l’envoi de soldats européens en Centrafrique, la contribution de chaque pays reste encore indéterminée, et surtout très faible, puisqu’il ne s’agit que de 500 soldats. L’Allemagne et le Royaume-Uni ont refusé d’envoyer des troupes au sol. La Belgique, la Pologne et la Hongrie ont promis des renforts, sans donner de garanties quantitatives. L’Estonie a annoncé l’envoi de cinquante-cinq soldats… Une fois de plus, l’Union européenne se condamne à être un nain politique sur la scène internationale.
L’Union européenne a pourtant les moyens de soutenir la France en Centrafrique : elle dispose de deux groupements tactiques de haut niveau, les fameux battlegroups que les Britanniques refusent de mettre à disposition de leurs partenaires. Elle peut également assurer des missions de formation, à l’instar de ce qu’elle fait actuellement au Mali. Elle peut enfin contribuer à alléger la charge financière de l’opération pour la France. Rappelons que l’opération Serval au Mali, que toute l’Europe a approuvée, a déjà coûté à la France près de 500 millions d’euros. La stabilité de l’Afrique est partie prenante de la sécurité européenne et la France ne saurait indéfiniment en assumer seule le coût humain et budgétaire.
Pour le groupe écologiste, le troisième impératif est de rééquilibrer les relations avec nos partenaires africains en privilégiant un dialogue avec les organisations régionales et en réduisant notre dépendance vis-à-vis du Tchad en Afrique centrale.
La communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale et la communauté économique des États de l’Afrique centrale constituent aujourd’hui des structures qui doivent être davantage associées à notre politique africaine. Les initiatives fructueuses de la CEEAC dans la lutte contre les menaces maritimes dans le golfe de Guinée prouvent d’ailleurs que ces organisations peuvent mener des actions efficaces contre l’insécurité.
En revanche, la fragilité démocratique et politique des régimes en place implique de niveler notre coopération bilatérale avec les États d’Afrique centrale que sont le Cameroun, le Gabon, la Guinée Équatoriale, la République centrafricaine, les Congo et le Tchad pour ne pas dépendre lourdement de l’un d’entre eux.
Concernant le Tchad, le groupe écologiste s’étonne qu’aucune voix politique, à l’exception de celle de notre collègue Noël Mamère, ne se soit élevée pour questionner la lune de miel franco-tchadienne, qui n’est pas nouvelle mais qui semble avoir été réaffirmée depuis un an. En effet, le déclenchement simultané des opérations Serval au Mali et Sangaris en Centrafrique, dont le Tchad constitue le premier soutien africain, a placé la France dans une position de relative dépendance vis-à-vis de N’Djamena, faisant du président Idriss Déby le nouveau pivot de notre politique en Afrique centrale.
Cette orientation n’est pas sans susciter de nombreuses interrogations. Tout d’abord, il faut rappeler que le Tchad est en partie responsable de la déstabilisation de la Centrafrique. Sans la complaisance, voire le soutien actif du président tchadien Idriss Déby, les rebelles de la Séléka, dont un tiers sont eux-mêmes tchadiens, n’auraient pu s’emparer du nord-est centrafricain puis de Bangui. Et cette proximité, fondée sur des intérêts économiques et une appartenance religieuse commune, continue de faire des dégâts puisque les nombreux actes de collusion entre soldats tchadiens de la mission africaine et ex-rebelles de la Séléka alimentent les tensions. De par ses nombreuses imbrications et ingérences récentes en Centrafrique, le Tchad ne peut y être vu comme un État impartial.
Ensuite, il convient d’évaluer ce partenariat à la lumière des méthodes autoritaires, répressives et inégalitaires, du président Déby, qui continue de s’attirer les foudres des associations de défense des droits de l’homme. La contestation des quatre dernières élections par l’opposition, la disparition des opposants au régime comme M. Saleh ou encore le système de corruption généralisée qui mine ce pays mériteraient certainement que la France prenne davantage ses distances avec le pouvoir en place.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur le coût stratégique d’un tel partenariat dans la mesure où cette position de relative dépendance vis-à-vis du Tchad lui confère davantage de poids dans la conduite des opérations, alors même que ce relais a des intérêts évidents à faire valoir en Centrafrique. Au premier jour du désarmement, les autorités tchadiennes n’ont d’ailleurs pas hésité à faire entendre une voix discordante de celle de la France, alertant sur le risque d’une opération qui ciblerait majoritairement les populations musulmanes. Depuis cette date, force est de constater que l’objectif du désarmement érigé en priorité par la France a été relégué au second plan.
Enfin, même d’un point de vue budgétaire, la décision de faire du Tchad le premier relais de la France dans la sous-région ne va pas de soi. Car ce réchauffement des relations franco-tchadiennes a pour corollaire un choix : celui de faire du dispositif Épervier, situé à N’Djamena, le point d’appui des opérations menées en République Centrafricaine au mépris de toute logique économique. Traditionnellement la grande base militaire de la France en Afrique centrale est celle de Libreville, au Gabon, où la France dispose d’un contingent de 900 hommes et dont le financement est assuré par l’enveloppe de 800 millions d’euros dédiée aux forces permanentes stationnées en Afrique. À l’inverse, le dispositif Épervier, bien que déployé depuis 1986, reste considéré comme une force temporaire, et est donc financé par la dotation OPEX de 450 millions d’euros, déjà largement mise à contribution par les opérations Serval au Mali et Sangaris en République centrafricaine. De toute évidence, ce choix de financement inadapté risque de générer des surcoûts OPEX importants.
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste ne partage pas les conclusions d’une délégation parlementaire au Tchad qui estimait devoir exprimer la reconnaissance de l’Assemblée nationale aux autorités tchadiennes. Sans que cela remette en cause notre soutien à l’intervention en République centrafricaine, nous considérons que ces questions ne doivent pas devenir l’angle mort de la stratégie française en Afrique. De l’avis de nombreux observateurs, les services français doivent d’ailleurs tirer les conclusions de la non-anticipation de la crise centrafricaine et rompre définitivement avec la tradition des questions taboues. C’est à ce prix que nous parviendrons à bâtir une nouvelle politique africaine, pleinement respectueuse de la souveraineté et des intérêts de nos partenaires.
En définitive, monsieur le Premier ministre, chers collègues, c’est avec beaucoup de questions mais également avec beaucoup d’attentes et d’espérance que le groupe écologiste votera pour la prolongation de l’intervention en Centrafrique,…
Le 27/02/2014 à 12:08, chb17 a dit :
F. de Rugy, tout en appuyant la montée en puissance de l'opération Sangaris en RCA (République CentrAfricaine) malgré sa pertinente critique d'une incrémentation inopérante, requiert l'implication de nos partenaires européens. En passant, il mentionne les casques bleus. En effet ! Quelle étrange idée de mettre sur le terrain les forces de l'ancienne puissance coloniale, au risque de pérenniser les horreurs de la Françafrique, plutôt qu'une force de paix réellement internationale, sous l'égide de l'ONU dont c'est le rôle !
Le traitement, par les bombes ou par l'envoi de mercenaires, des crises libyenne puis syrienne prouve pourtant sans conteste que les initiatives unilatérales, même approuvées par l'ONU, sont excessivement meurtrières et aggravent tant la situation des peuples que le ressentiment à l'égard de l'hégémonie impérialiste.
Le député évoque l'aggravation du conflit depuis le début de notre OpEx :
"Les chrétiens, dénonçant une campagne de communication trop véhémente contre les milices anti-balaka, se retournent contre les autorités de transition et les militaires français."
Est-ce alors judicieux de renforcer cette opposition montante ? Le remède proposé, sous le nom de solidarité, n'opérera que par la mort de la RCA !
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