Intervention de Gérard Charasse

Séance en hémicycle du 25 février 2014 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en centrafrique débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Charasse :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, les événements qui se sont déroulés en Ukraine ces jours derniers ont quelque peu éloigné de l’information au moins ceux de Centrafrique. Mais le sujet reste présent ici. Présent, puisqu’en application de l’alinéa 3 de l’article 35 de la Constitution, le Gouvernement soumet la prolongation de la décision de M. le Président de la République de faire intervenir les forces armées à l’étranger à l’autorisation du Parlement. Présent également, puisque, avec huit autres parlementaires – quatre membres de la commission des affaires étrangères dont la présidente de ladite commission, Mme Élisabeth Guigou, et quatre membres de la commission de la défense – et leur accompagnateur, le colonel Audelet, je me suis rendu pendant un jour et demi, en tant que président du groupe d’amitié France-RCA, d’abord au Gabon, à Libreville, puis le 17 février 2014, en Centrafrique, à Bangui. Présent enfin, car le groupe Radical de gauche et apparentés a commencé à appeler l’attention sur la situation en RCA le 28 mai 2013 ici, puis à nouveau le 9 octobre 2013, le 11 décembre 2013 et le 15 janvier dernier.

Dans ce contexte, nous n’avons pu accueillir que favorablement la mise en oeuvre de cette mission qui nous a permis de confronter nos avis à la réalité du terrain. Nos avis, nous les tirons des comptes rendus qui nous sont donnés par la presse, mais aussi, pour de nombreux parlementaires dont je suis, de contacts fréquents avec des responsables politiques et des citoyens du pays. J’ai donc naturellement apprécié d’être reçu avec nos collègues par nos ambassadeurs au Gabon, et en RCA par le général Francisco Soriano, commandant de l’opération Sangaris en Centrafrique, qui a pu livrer à la représentation nationale à travers nous les informations indispensables à la compréhension de la situation locale. Une information d’abord sur l’état de nos forces, les moyens de commandement terrestres et aériens déployés, une information ensuite sur les objectifs à venir, celui de la stabilisation de la situation et celui du désarmement des forces en présence, une information enfin sur l’état de l’adversité. Cette mission a coûté la vie à trois de nos soldats ; aussi avons-nous apprécié que le général Soriano nous explique le soin qu’il apporte à s’avancer vers les objectifs en risquant le moins possible la vie de nos militaires. Nous avons d’ailleurs assisté à une arrestation, mais aussi pu voir un stock imposant d’armes saisies.

Au total, l’exécution de la mission s’inscrit dans les réponses que vous aviez pu nous faire, messieurs les ministres : renouer, sur ce sol, avec une sécurité minimale en tentant d’arrêter la spirale des crimes, mettre fin à une dérive confessionnelle source de violence, permettre le retour des humanitaires, rétablir des structures étatiques de base, encourager la montée en puissance de la mission internationale de soutien à la Centrafrique qui, même si elle date de septembre 2013, a des objectifs identiques et qui continuent d’être justes pour qui va voir la situation sur le terrain.

Au-delà de cette rencontre, nous sommes aussi allés dans le plus grand camp de déplacés de Bangui, le camp M’Poko, qui est, je veux le préciser, un camp parmi les cinquante-cinq répertoriés par l’UNICEF dans la capitale centrafricaine. Ce camp focalise l’attention par sa taille gigantesque : songez que les premiers déplacés sont arrivés le 5 décembre, jour de l’offensive des milices d’autodéfense chrétiennes, les anti-balaka. Aujourd’hui, ce sont plus de cent mille personnes qui sont massées au bord des pistes de l’aéroport M’Poko, dans une situation de chaos.

Nous avons aussi rencontré l’administration locale, la présidente Catherine Samba-Panza et son Premier ministre, ainsi que plusieurs ministres et le président du Conseil national de transition. Nous avons donc eu un autre récit de la situation, celui d’une guerre civile, d’un pays déchiré par le conflit, lequel installe une blessure profonde et durable entre des populations, des ethnies qui avaient jusque-là trouvé les moyens de travailler et de vivre ensemble.

Enfin, il nous a été donné de rencontrer les ONG françaises, qui ont complété ces récits de leur expérience de terrain, ainsi que le chef du Bureau intégré des Nations-unies pour la consolidation de la paix en République centrafricaine, le général Gaye, puis le général Michel Mokoko, commandant la mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine. Nous avons aussi rencontré les autorités religieuses.

Cela dit, mon premier mot va naturellement à nos trois soldats décédés ; le deuxième à nos forces présentes et actives sur le terrain qui, du soldat au commandant, ont une haute conscience de leur mission et du rôle de la France en République centrafricaine ; le troisième aux ONG françaises qui font un travail considérable et le quatrième à nos concitoyens qui, malgré le chaos, ont choisi de rester à Bangui.

La prolongation de la mission s’impose évidemment. La situation n’est pas stabilisée, loin s’en faut. La guerre civile rôde, avec son cortège d’outrances et les risques sécuritaires, sanitaires, encourus par une population qui, sans État et sans argent, serait livrée à elle-même mais surtout à ses éléments les plus extrémistes.

Au-delà, ce climat de haine communautaire se développe au coeur d’une région de conflits – Doba, le Darfour, l’Ituri, les enclaves –, dans un pays convoité pour ses richesses et dont la porosité des frontières a transformé en refuge. Mais surtout, monsieur le Premier ministre, c’est un territoire stratégique. Il le fut pour la France, dans un projet stoppé en 1898 ; pour les mêmes raisons, ce territoire est stratégique aujourd’hui pour des groupes terroristes : la fermeture de l’arc de cercle formé par les Shebab, Aqmi et Boko Haram, de l’océan Indien à l’Atlantique.

Personne ne peut nier cela. Personne ne peut nier non plus que cette éventualité n’est pas uniquement une menace pour la France ; elle l’est pour l’Europe entière. Voilà pourquoi j’avais, dans cet hémicycle, appelé l’Europe à adosser à la France des forces complémentaires. L’Union européenne a donné, fin janvier, son feu vert. Baptisée EUFOR-RCA, cette mission est en train de se constituer depuis la semaine dernière, pour un déploiement espéré au mois de mars 2014. L’intervention consiste à sécuriser le secteur de Bangui et ses populations, notamment l’aéroport M’Poko et les grands axes de la ville ; l’objectif final étant de conduire une transition en République centrafricaine pour contribuer, dans la zone de Bangui, à l’établissement d’un environnement sécurisé et de nouveau à un transfert d’autorité à la MISCA, qui est la force de l’Union africaine en République centrafricaine.

Il s’agit d’abord de contribuer à la protection de populations qui sont menacées, ensuite d’établir les conditions propres à soutenir autant que peut se faire la reprise économique et permettre le retour des populations déplacées. Cet appel qui a été entendu par l’Union européenne doit se concrétiser rapidement et sans doute être renforcé.

Il s’adresse aussi aux pays voisins, qui ont intérêt à voir se stabiliser cette région de l’Afrique.

Je veux enfin saluer le travail réalisé. Chacun dans son rôle, vous avez, messieurs les ministres, monsieur le Premier ministre, après la décision du Président de la République, su faire que la France joue son rôle devant les nations. Les difficultés que nous rencontrons encore aujourd’hui sont certes importantes : elles étaient attendues. Nous l’avons dit.

Nous devons persister dans une voie de justice, pas seuls cependant ; et c’est dans cette voie-là, avec l’Union européenne, avec les Nations unies, avec les États africains, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, que notre soutien vous est acquis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion