Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 18 février 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, rapporteure :

Nous sommes saisis du projet de loi autorisant l'approbation du protocole commun relatif à l'application de la convention de Vienne et de la convention de Paris, fait à Vienne le 21 septembre 1988.

De quoi s'agit-il ? La convention de Paris, adoptée en 1960 dans le cadre de l'OCDE, et la convention de Vienne, adoptée en 1963 dans le cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), ont instauré deux régimes internationaux distincts de responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Ces deux conventions ont pour objet de faciliter l'indemnisation des dommages éventuels en cas d'accidents survenus dans des installations nucléaires ou dans le cadre d'opérations de transport de matières nucléaires. Il s'agit notamment de permettre une indemnisation en cas de dommages transfrontaliers, lorsque l'accident a lieu dans un Etat et que les dommages sont constatés dans des Etats voisins qui sont Parties à la même convention.

La responsabilité civile nucléaire repose sur plusieurs principes de base, qui sont communs à la convention de Vienne et à la convention de Paris :

- la responsabilité objective de l'exploitant – il est responsable en cas d'accident, qu'une faute ou une négligence de sa part aient été prouvées ou non ;

- sa responsabilité exclusive – il est seul responsable des dommages causés par l'accident nucléaire, tous les recours étant juridiquement « canalisés » sur lui ;

- la limitation, en contrepartie, de sa responsabilité, à la fois dans son montant et dans sa durée ;

- l'obligation de couvrir cette responsabilité par une assurance ou une autre garantie financière ;

- enfin, la non-discrimination entre les victimes selon leur nationalité, leur domicile et leur lieu de résidence.

En dépit de ces principes communs, la convention de Paris et la convention de Vienne se distinguent par des champs d'application géographique différents. La convention de Paris, à laquelle la France est Partie, regroupe essentiellement des pays d'Europe occidentale. Ils sont aujourd'hui au nombre de 16. La convention de Vienne, quant à elle, concerne en particulier les pays d'Europe orientale. Elle est aujourd'hui en vigueur dans 39 Etats.

En l'absence de lien entre ces deux conventions « de base », s'il se produisait un accident dans un Etat Partie à la convention de Vienne de 1963, par exemple, les victimes de dommages dans un Etat Partie à la convention de Paris de 1960, ne pourraient pas être indemnisées. Cela pourrait être le cas de victimes françaises d'un accident nucléaire survenant en Ukraine. Sans le protocole commun, nous serions donc dans la même situation qu'au moment de l'accident de Tchernobyl.

Le protocole commun, dont il nous est demandé d'autoriser l'approbation, a pour principal objet de remédier à cette difficulté, en étendant le champ d'application géographique de chacune des deux conventions aux Etats Parties à l'autre convention. La convention de Vienne et la convention de Paris restent ainsi en vigueur, mais la distinction entre leurs Parties cocontractantes est abolie pour l'application de leurs stipulations fondamentales. Ne sont pas concernées, en effet, des stipulations procédurales s'appliquant spécifiquement à l'une ou l'autre des conventions.

En dépit de cette avancée, une difficulté pourrait résulter de la différence entre les montants à la charge des exploitants en vertu des deux conventions et des droits nationaux. En France, le montant de la responsabilité civile de l'exploitant s'élève aujourd'hui à 91,5 millions d'euros par accident, et demain à 700 millions d'euros lorsque deux protocoles modificatifs de 2004 seront entrés en vigueur – je reviendrai sur ce point. En Bulgarie, le montant de la responsabilité civile de l'exploitant se limite, en revanche, à 49,1 millions d'euros, et il s'élève à 75 millions d'euros en Slovaquie.

La victime française d'un accident nucléaire qui surviendrait dans un Etat Partie à la convention de Vienne et au protocole commun est donc susceptible d'être moins indemnisée qu'une personne de ce même Etat qui serait victime d'un accident survenu sur le territoire français.

Dans ces conditions, il est envisagé que la France assortisse l'approbation du protocole commun d'une réserve de réciprocité permettant de limiter l'indemnisation des victimes d'un Etat Partie à la convention de Vienne à la hauteur de ce que ce dernier offrirait dans une situation réciproque.

J'en viens au deuxième grand intérêt du protocole commun. Il a également pour objet d'éliminer les risques de conflit qui pourraient résulter d'une application simultanée des deux conventions à un même accident nucléaire.

Le protocole commun établit un principe simple : une seule convention doit s'appliquer en cas d'accident, à l'exclusion de l'autre convention. Ce principe se traduit par les deux règles suivantes :

- tout d'abord, en cas d'accident survenu dans une installation nucléaire, la convention applicable est celle à laquelle est Partie l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'installation concernée ;

- ensuite, en cas d'accident mettant en jeu des matières nucléaires en cours de transport, y compris des déchets, la convention applicable est celle à laquelle est Partie l'Etat sur le territoire duquel se trouve l'installation nucléaire dont l'exploitant concerné est responsable. L'exploitant d'une installation est responsable si l'accident met en jeu des substances nucléaires en provenance de son installation, tant qu'elles ne sont pas passées sous la responsabilité d'un autre exploitant selon des modalités définies par les conventions de base.

Pour ces différentes raisons, le protocole commun permettra de bien coordonner l'application de la convention de Paris et de la convention de Vienne, et d'améliorer les possibilités d'indemnisation pour d'éventuelles victimes d'accidents nucléaires.

Mais c'est aussi une étape importante sur la voie qui doit mener à un véritable régime mondial de responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire, conformément à l'objectif que s'est fixé l'AIEA dans son plan d'action de 2011.

Jusqu'à présent, une première difficulté est qu'un certain nombre d'Etats disposant d'installations nucléaires n'ont toujours pas adhéré à un régime international de responsabilité civile, quel qu'il soit. On estime que la moitié de la puissance nucléaire installée dans le monde n'est pas couverte.

La seconde difficulté est que les approches restent encore relativement divergentes. La France soutient ainsi l'établissement d'un régime universel reposant sur le système formé par la convention de Paris, associée à une convention complémentaire dite de Bruxelles, et par la convention de Vienne, toutes les deux reliées par le protocole commun. Les Etats-Unis, quant à eux, promeuvent un troisième régime, la convention sur la réparation complémentaire des dommages nucléaires. Cette convention a pour particularité d'être ouverte à des Etats Parties soit à la convention de Paris soit à la convention de Vienne, ainsi qu'à des Etats n'ayant adhéré à aucun régime international de responsabilité civile nucléaire, comme les Etats-Unis, mais respectant théoriquement un certain nombre de principes fondamentaux énoncés dans une annexe à la convention.

En approuvant le protocole commun dont nous sommes saisis, la France pourra plaider plus efficacement en faveur d'un régime mondial de responsabilité civile nucléaire, et en particulier en faveur du système formé par la convention de Paris et par la convention de Vienne, reliées par le protocole commun. Telle est la deuxième grande raison qui pousse à l'adoption de ce protocole.

Ma dernière série d'observations concerne le montant de la responsabilité civile des exploitants. Il peut paraître faible au regard des conséquences potentielles des accidents nucléaires, même s'il faut distinguer le préjudice économique général et le champ plus restreint des dommages couverts par la convention de Vienne et par la convention de Paris.

A cet égard, il paraît particulièrement nécessaire d'accélérer l'entrée en vigueur des deux protocoles modificatifs de 2004 que j'évoquais tout à l'heure. Ils modifient la convention de Paris et la convention complémentaire dite « de Bruxelles », adoptée en 1963, qui établit deux autres tranches de réparations, en plus de celle de l'exploitant : l'une à la charge de l'Etat, l'autre à la charge de l'ensemble des Etats cocontractants. Je présente cette convention de Bruxelles plus en détail dans mon rapport écrit.

Les deux protocoles modificatifs de 2004 portent notamment le montant minimal de la responsabilité de l'exploitant de 18 à 700 millions d'euros ; ils portent aussi le montant de la seconde tranche, à la charge de l'Etat, à 1,2 milliard d'euros, et celui de la troisième tranche, à la charge de la communauté des Etats Parties, à 1,5 milliard d'euros.

Ces protocoles modificatifs ont été ratifiés par la France, mais leur entrée en vigueur est bloquée par une décision du Conseil de l'Union européenne du 8 mars 2004, qui demande le dépôt simultané des instruments de ratification des Etats membres de l'Union européenne. A ce jour, trois Etats n'ont pas encore achevé leur processus de ratification – la Belgique, le Royaume-Uni et l'Italie.

Dans ces conditions, il est envisagé que la France fasse entrer en vigueur dans son droit national, par anticipation, les principales stipulations des deux protocoles modificatifs de 2004, afin d'améliorer les possibilités de réparations pour d'éventuels dommages. Il faut veiller à ce que l'effort que nous devrions consentir en approuvant le protocole commun se poursuive aussi sur cet axe.

Au bénéfice de ces observations, mes chers collègues, je vous invite à adopter le projet de loi qui nous est soumis.

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