Intervention de Jean-Luc Bleunven

Réunion du 18 février 2014 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Bleunven, rapporteur :

Comme avec beaucoup de pays d'Amérique latine, les relations que la France et l'Uruguay entretiennent sont depuis longtemps excellentes. Avec ce petit pays de 3,3 millions d'habitants, d'une superficie de moins de 180 000 km2, coincé entre les deux géants que sont l'Argentine et le Brésil, elles tiennent en grande partie à l'histoire, la France, aux côtés des troupes de Garibaldi, ayant soutenu l'Uruguay dans les troubles fomentés par Buenos Aires au lendemain de son indépendance.

Depuis lors, la qualité des relations bilatérales ne s'est pas démentie, si ce n'est durant la période de la dictature militaire, entre 1973 et 1985, au cours de laquelle la France a accueilli de nombreux réfugiés politiques.

Les relations ont en tout cas été marquées par une francophilie particulièrement affirmée dont les manifestations sont multiples : ainsi, le fait que le 14 juillet a un temps été jour férié en Uruguay qui, en 1943, a en outre été le premier pays au monde à reconnaître le Comité français de libération nationale, ou encore que le français, jusque dans les années 1990, était la seule langue étrangère obligatoire enseignée.

Les exemples pourraient être multipliés. Le fait est que la France a eu une influence forte dans le pays. L'État uruguayen s'est ainsi fortement inspiré du modèle français, par exemple en adoptant le Code Napoléon ou, plus tard, la laïcité. L'étroitesse des liens s'est aussi traduite par le fait que, au milieu du XIXe, l'immigration française représentait le tiers de la population du pays, ce qui explique que, aujourd'hui encore, situation unique en Amérique latine, la majorité des Uruguayens ont encore une ascendance française.

Consécutivement, et comme c'est d'ailleurs le cas avec de nombreux pays de la région, nos échanges actuels, quels qu'ils soient, s'inscrivent dans une longue tradition que Montevideo souhaite voir perdurer. En témoigne par exemple son adhésion comme membre observateur à l'Organisation internationale de la francophonie, au sommet de Kinshasa, en 2012.

Aujourd'hui, la coopération bilatérale, culturelle, scientifique et universitaire, est toujours remarquable. De nombreuses manifestations ont lieu avec les plus grandes institutions culturelles françaises, le Louvre, la Comédie française ou l'Opéra de Paris ; le lycée français Jules Supervielle accueille plus de 1000 élèves, essentiellement Uruguayens, et les dix implantations de l'Alliance française sont très actives.

Sur le plan scientifique, l'Institut Pasteur de Montevideo, créé en 2006, fait figure de vaisseau amiral de notre coopération. C'est le seul Institut Pasteur sur le continent latino-américain. Il emploie d'ores et déjà plus de 150 personnes.

Au plan économique, les relations sont également des meilleures, même si elles ne sont pas d'un très grand volume, eu égard à la taille modeste du pays. Pour la petite histoire, on retiendra que la première chambre de commerce française à l'étranger est celle de Montevideo, qui date de 1882.

Si les échanges sont encore assez faibles, - l'Uruguay n'est que notre onzième partenaire commercial dans la région -, ils sont cependant en croissance forte depuis quelques années. Notre balance commerciale est excédentaire et les investissements français en Uruguay font de notre pays un acteur important de la vie économique. Plusieurs entreprises françaises, parmi la soixantaine qui y sont implantées, sont leader de leur secteur : c'est le cas de Casino, de L'Oréal, de Danone, de Havas, de Pernod-Ricard.

L'accord qui est aujourd'hui soumis à notre examen ne diffère pas fondamentalement des autres qui ont été conclus sur le même sujet, par exemple celui avec le Brésil que l'on a vu précédemment.

Il vient compléter un manque dans la mesure où il n'existait jusqu'à aujourd'hui aucun accord de sécurité sociale avec l'Uruguay. De fait, la sécurité sociale des travailleurs uruguayens comme français relève uniquement du droit interne ; ils doivent être affiliés au régime de sécurité sociale de l'État où ils exercent leur activité. En outre, l'absence de coordination entre les régimes des deux États ne permet pas la prise en compte des périodes d'assurance accomplies dans l'autre État ni le calcul de pensions coordonnées, susceptible d'améliorer le niveau de celles-ci. Ce sont ces questions que traite l'accord qui permettra par conséquent de faciliter la mobilité professionnelle entre la France et l'Uruguay en garantissant une continuité des droits en matière de sécurité sociale.

Il comporte les dispositions classiques relatives à l'égalité de traitement entre ressortissants français et uruguayens, à l'exportation et à la coordination des pensions d'invalidité, de vieillesse et de survivants, aux situations de détachement limité et à la coopération administrative, questions sur lesquelles je n'insiste pas, dès lors qu'elles s'apparentent à celles qui vous ont été présentées tout à l'heure. L'accord vise également à renforcer la coopération pour lutter contre les fraudes sociales et instaure un cadre général permettant le développement d'une coopération technique.

En conséquence, les ressortissants uruguayens et français appelés à exercer une activité professionnelle sur le territoire de l'autre État pourront désormais bénéficier de la coordination en matière de pensions avec la prise en compte, au moment de la liquidation de leur retraite, des périodes d'activité cotisées dans l'autre État. En outre, un travailleur salarié français ou uruguayen pourra, dans certaines conditions, bénéficier d'un détachement en restant soumis au régime de sécurité sociale de l'État d'envoi pour une durée maximale de deux ans. Cette disposition évitera les périodes d'interruption dans la constitution des droits à pension et la multiplication des affiliations à des régimes différents.

Pour autant, il faut aussi savoir que les entreprises françaises emploient peu d'expatriés et leurs salariés sont très majoritairement des nationaux. En d'autres termes, la population concernée est peu nombreuse. À l'heure actuelle, ce sont surtout les enseignants du lycée français qui sont au premier rang de nos compatriotes intéressés par la ratification de l'accord, et c'est sur cette question particulière que je voudrais terminer mon propos.

En effet, le premier intérêt de cet accord réside dans la situation qui est aujourd'hui faite aux professeurs résidents du lycée français Jules Supervielle de Montevideo. Ils tireront un bénéfice immédiat de l'entrée en vigueur de cette convention.

Aux termes de la législation uruguayenne, pour obtenir la carte de résident qui leur permet de travailler et de résider de manière légale dans le pays, les salariés étrangers doivent attester du paiement de leurs cotisations de sécurité sociale en Uruguay, à laquelle ils doivent être obligatoirement affiliés du fait de leur statut de salarié, à moins qu'ils ne puissent justifier de leur exemption. Dans le cas contraire, ils se voient refuser le bénéfice de la carte de résident.

C'est la situation qui est précisément aujourd'hui celle des professeurs résidents du lycée français de Montevideo, pour lesquels la sécurité sociale uruguayenne exige désormais le paiement de leurs cotisations dans le pays, dans la mesure où ce sont des enseignants qui travaillent sur le sol uruguayen sans bénéficier, à la différence des professeurs expatriés, de statut spécial les rapprochant de celui des diplomates. Au contraire : conformément au décret de 2002 sur la situation administrative et financière des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger, les professeurs résidents sont précisément amenés à demander une carte de résidence permanente aux autorités locales, et ils sont en conséquence considérés par celles-ci comme des personnels des droit commun devant s'acquitter de leurs charges sociales.

Cette situation n'avait semble-t-il pas particulièrement posé de problème jusqu'à une période récente, mais une nouvelle position a été prise par les responsables de la sécurité sociale uruguayenne qui a mis nos compatriotes dans une véritable difficulté administrative. Indépendamment du fait qu'ils se trouvent alors dans une réelle insécurité juridique, cette situation induit aussi des coûts, entre autres l'obligation de payer à chaque sortie du territoire uruguayen, sans exclure le risque de refus lors de la réadmission dans le pays.

Certains, dont le conjoint est Uruguayen, ont pu obtenir leur carte de résident de ce fait ; mais d'autres, en revanche, sont aujourd'hui dans l'illégalité, après avoir obtenu une carte provisoire d'une durée d'un an, dont le renouvellement leur a été refusé.

C'est la raison pour laquelle l'entrée en vigueur de l'accord bilatéral devrait leur permettre, en tant que fonctionnaires français, payés par la France, de bénéficier de l'exemption d'affiliation au régime uruguayen de sécurité sociale et pouvoir faire aboutir leur demande de statut de résident auprès des autorités locales.

Au-delà des considérations générales qui sous-tendent l'intérêt de l'entrée en vigueur de l'accord, il y a donc, en l'espèce, un certain nombre de cas particuliers qui justifient notre autorisation d'approuver cet accord, que je vous invite à donner sans réserve.

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