Intervention de Geneviève Gaillard

Réunion du 26 février 2014 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Gaillard, rapporteure :

Au cours des derniers mois, deux événements sont venus donner une nouvelle actualité à la question de l'interdiction de la culture des organismes génétiquement modifiés dans notre pays.

Tout d'abord, le 1er août dernier, le Conseil d'État a annulé un arrêté du 16 mars 2012, signé du ministre de l'agriculture de l'époque, M. Bruno Le Maire, et suspendant la mise en culture du maïs résistant aux insectes ravageurs pyrales et sésamie MON 810.

Par ailleurs, en novembre dernier, la Commission européenne a soumis au Conseil européen une demande d'autorisation de mise en culture du maïs génétiquement modifié TC 1507, variété également résistante à la pyrale et tolérante à l'herbicide glufosinate. Alors que le Parlement européen avait recommandé de ne pas autoriser cette mise en culture, il ne s'est malheureusement pas trouvé au sein du Conseil la majorité qualifiée requise pour une telle interdiction. Je reviendrai tout à l'heure sur les conclusions à tirer de cette situation paradoxale.

Dans ce cadre, la présente proposition de loi rejoint des initiatives parallèles de M. Alain Fauconnier, au Sénat, et du groupe écologiste de notre assemblée. Elle est présentée par le président de notre commission du développement durable, celui de la commission des affaires économiques et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Elle vise très simplement, dans le prolongement du moratoire actuellement imposé par la France, à interdire la mise en culture de l'ensemble des variétés de maïs génétiquement modifié. Ce projet de loi n'est pas contradictoire avec les dispositions de la loi du 25 juin 2008 relative à la dissémination d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et à la production avec et sans OGM, qui vise à préciser les règles de coexistence entre ces cultures, dans le droit fil des débats du Grenelle de l'environnement et dans le respect de la charte constitutionnelle de l'environnement, notamment du principe de précaution – je pense notamment aux dispositions de l'article 2 de la loi de 2008, codifié dans le code de l'environnement à l'article L. 531-2-1, qui consacre le respect de l'environnement et de la santé publique et impose de garantir une évaluation préalable qui soit indépendante et transparente.

La question de la culture des OGM est controversée et il faut se féliciter que les pouvoirs publics, toutes majorités confondues, aient su résister, au cours des années récentes, aux appels qui leur étaient adressés en vue de sa libéralisation.

L'intérêt des OGM pour les exploitants et les semenciers est évident à court terme. Ces variétés présentent en effet une résistance accrue aux ravageurs et aux maladies, ainsi qu'une tolérance aux produits phytosanitaires, qui en font les supports idéaux d'une agriculture intensive dont on connaît par ailleurs le coût environnemental et sanitaire.

Même si elle a sa place, ce n'est pas cette agriculture-là que nous appelons de nos voeux pour l'avenir. Ce que nous souhaitons tous, j'en suis convaincue – et les récents débats sur le projet de loi d'avenir agricole l'ont bien montré –, c'est une agriculture durable, qui sache concilier un impératif légitime d'efficacité et de productivité avec le respect dû à l'environnement, à la biodiversité et à la santé humaine et animale.

Toutes les études dont nous disposons sur l'impact sanitaire des OGM montrent que les risques environnementaux induits sont réels, pour ne pas dire importants et manifestes, ce qui devrait nous permettre de nous affranchir des procédures de saisine des instances européennes prévues par le droit communautaire. Qu'il s'agisse, en effet, de l'apparition de biorésistances dans les populations d'insectes-cibles, de réduction des populations non-cibles ou de dissémination incontrôlée de pollens, les preuves s'accumulent.

Le cas de l'apiculture, sur lequel notre collègue Martial Saddier s'était penché il y a quelques années, est, de ce point de vue, particulièrement préoccupant, car la distance de butinage des abeilles varie constamment en fonction des sources de nourriture présentes. Il n'existe donc aucune solution technique satisfaisante pour éviter la présence de pollen génétiquement modifié dans les produits de la ruche.

Quant à l'impact à très long terme sur la santé et sur le patrimoine génétique des espèces consommatrices d'OGM, y compris nous-mêmes, il demeure pour l'essentiel, inconnu – ce qui, au nom du seul bon sens, appelle l'application du principe de précaution.

L'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) a publié des avis et des études concluant, sous réserve de mesures de précaution, à une toxicité limitée, mais on sait que des interrogations existent quant à l'indépendance et à l'impartialité des experts sur lesquels elle s'appuie. Je rappelle ainsi que la présidente du conseil d'administration de l'AESA a été accusée de conflit d'intérêts pendant plusieurs années et qu'elle a rejoint en 2012 l'International Life Science Institute, une organisation pro-OGM financée par le secteur alimentaire et agrochimique.

En France, l'étude conduite par le professeur Gilles-Éric Séralini sur des rats nourris au maïs transgénique NK 603 avait abouti à des conclusions très inquiétantes. Ces travaux avaient ensuite été critiqués, peut-être à bon droit, pour certaines faiblesses méthodologiques. Mais l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) elle-même avait noté l'originalité d'une étude qui abordait le sujet, jusqu'ici peu exploré, des effets à long terme des OGM associés aux préparations phytopharmaceutiques. L'ANSES appelait explicitement de ses voeux des études et des recherches menées sur ce sujet au moyen de financements publics et sur la base de protocoles d'investigation précis. De ce point de vue, la France et d'autres États membres ont légitimement demandé une révision de la réglementation européenne sur les protocoles scientifiques d'évaluation des risques. Il ne fait aucun doute que les choses évoluent, mais cela demande du temps et ne nous dispense pas d'anticiper, ni d'affirmer notre volonté de protéger nos intérêts environnementaux et sanitaires.

Dans le contexte que je viens de rappeler, la présente proposition de loi et le projet d'arrêté interdisant la commercialisation et l'utilisation du maïs MON 810, qui fait actuellement l'objet d'une consultation, représentent vraisemblablement des solutions conservatoires, car c'est au plan européen que la question a vocation à être traitée.

Le fait que la mise en culture du maïs TC 1507 risque d'être autorisée en dépit de l'opposition du Parlement européen et du vote défavorable d'une majorité simple d'États membres, grâce aux voix de pays qui ne cultiveront pas ce maïs, conduit en effet à se demander si le processus décisionnel ayant conduit à une telle décision s'avère pleinement satisfaisant sur le plan démocratique.

La question de la refonte des modes d'évaluation des OGM à l'échelle européenne se pose donc aussi du point de vue de la gouvernance démocratique, et le ministre de l'agriculture s'est exprimé sans ambiguïté sur ce sujet, la semaine dernière, devant le Sénat.

Partant du constat que la législation actuelle ne permet pas d'obtenir une majorité, la Commission européenne avait présenté en 2010 un nouveau projet de directive de « subsidiarité », permettant aux États membres qui le souhaiteraient d'interdire un OGM malgré une autorisation donnée à l'échelle européenne.

C'est là une proposition intéressante, même si je crois savoir que le Gouvernement estime qu'elle présente certaines fragilités dans un cadre multilatéral comme celui de l'Organisation mondiale du commerce. Des échanges sont désormais en cours avec l'Allemagne pour porter une autre proposition qui sécuriserait davantage les États.

Je prends cette proposition de loi pour ce qu'elle est : un texte de sauvegarde dont les visées sont strictement conservatoires et pragmatiques. Alors que la période des semis approche et que les maïs génétiquement modifiés suscitent des inquiétudes et des oppositions toujours vives, elle vient rappeler la volonté du législateur de ne pas laisser prospérer des pratiques controversées.

J'espère donc, mes chers collègues, que vous voterez cette proposition de loi, moyennant, le cas échéant, quelques amendements purement rédactionnels, et qu'elle pourra ensuite devenir, au terme de son examen par le Sénat, partie intégrante de notre droit.

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