Intervention de Sandrine Doucet

Réunion du 26 février 2014 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Doucet, rapporteure :

Ce rapport d'information sur la démocratisation d'Erasmus vient clore deux années très riches concernant ce programme européen emblématique. Je suis déjà venue devant vous à deux reprises, en novembre 2012 et en juin 2013, pour vous alerter sur les nouveaux dispositifs qui se mettaient en place. La Commission des affaires européennes puis la Commission des affaires culturelles et de l'éducation ont toutes deux adopté mes rapports d'information et nous avons eu la grande satisfaction de voir la résolution qui en a résulté adoptée par l'Assemblée nationale, aux termes de l'article 151-7 du règlement.

Bien qu'il n'y ait donc plus, pour l'heure, d'actualité européenne de ce dossier, dans la mesure où le nouveau dispositif Erasmus + prend effet en ce moment – la commissaire européenne, Mme Androulla Vassiliou, en a inauguré l'ouverture officielle en Grèce, en janvier dernier –, je tenais à vous présenter les résultats de la mission d'information que j'ai effectuée sur le bilan du précédent dispositif Erasmus, plus particulièrement sur ses fruits en termes de démocratisation.

À l'issue de ce travail et des nombreuses auditions auxquelles j'ai procédé, en France comme à l'étranger, au Royaume-Uni et à Madrid ou encore à Bruxelles, je voudrais mettre l'accent sur deux aspects : le dispositif Erasmus, tant dans sa version précédente que dans sa nouvelle forme d'Erasmus +, s'inscrit explicitement dans une optique d'employabilité et d'incitation à la mobilité ; au-delà de son prestige et de ses succès remarquables, la pérennité d'un tel dispositif ne doit pas faire baisser notre vigilance.

Le nom d'Erasmus est tellement présent dans la carte d'identité mentale des Européens que je ne crois pas inutile de préciser ce que ce programme recouvre en réalité. La mobilité Erasmus, qui porte sur des périodes de six mois environ, s'inscrit dans le curriculum du pays d'origine, de telle sorte que l'étudiant obtient, à l'issue de son séjour à l'étranger, le diplôme de son université d'origine et non celui de son université d'accueil. Quelques chiffres l'illustrent.

Depuis 1987, jusqu'à 200 000 étudiants dans trente-trois pays expérimentent une mobilité principalement européenne. En vingt-cinq ans d'existence, ce sont ainsi plus de 3 millions d'étudiants qui ont pu avoir cette chance, auxquels il faut ajouter, depuis 1997, 250 000 professeurs et autres membres du personnel de l'enseignement supérieur. Aujourd'hui la quasi-totalité des universités européennes font partie du programme.

Dans la vitalité des échanges Erasmus, la France joue un rôle moteur. En valeur absolue, elle est en effet, derrière l'Espagne, le deuxième pays de départs d'étudiants en mobilité, avec plus de 33 000 dossiers en 2011-2012, et le premier pays de départ pour les stages, avec plus de 7 000 dossiers en 2011-2012, soit une hausse de 23 % par rapport à l'année précédente.

La vitalité de ce dispositif résulte de deux facteurs : la synergie de nombreux acteurs et le système de financement de bourses.

La mobilité Erasmus est tellement focalisée sur son bénéficiaire, l'étudiant, qu'on ignore bien souvent à quel point le dispositif entier, complexe, mobilise d'acteurs institutionnels et informels. Parmi eux, il faut mentionner les établissements d'enseignement supérieur qui organisent, préparent et gèrent les partenariats d'échanges universitaires, mais aussi les agences nationales qui distribuent les bourses, les associations sur le terrain, les collectivités locales et surtout les régions qui versent des compléments financiers, ou encore les entreprises au sein desquelles sont effectués les stages. Quant aux familles, elles poussent et aident financièrement leurs étudiants à pratiquer cette mobilité. Dans l'optique de favoriser la mobilité transnationale des étudiants, le programme Erasmus contribue ainsi à la réalisation d'un immense espace européen de l'enseignement supérieur. Il est à noter que le succès de la France est d'autant plus méritoire qu'il engage une quantité considérable d'établissements d'enseignement supérieur – près de 1 000, soit un quart du total européen ! C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle je milite pour une incitation des personnels administratifs et enseignants à pratiquer une telle mobilité : ils ont un rôle indispensable d'induction à la mobilité.

Cette mobilisation de tant d'acteurs est aussi ce qui permet ou rend nécessaires un certain nombre d'outils. Je n'en citerai que deux, les plus connus : la réforme des diplômes de la Déclaration de Bologne du 19 juin 1999, à l'origine du système Licence-Master-Doctorat (LMD) ; le système European Credits transfer system (ECTS), qui assure le transfert et l'accumulation de crédits pour permettre la reconnaissance académique des périodes d'études réalisées à l'étranger, et ainsi développer qualitativement la mobilité des étudiants en Europe. La mobilité d'Erasmus est donc une mobilité de crédits et non une mobilité de diplômes.

Le deuxième facteur du succès d'Erasmus résulte de son financement, succès d'autant plus remarquable que les moyens alloués sont relativement modestes. Sur un budget européen total de 975 milliards d'euros en prix courants pour la période 2007-2013, les crédits de l'Union européenne consacrés au programme Éducation et formation tout au long de la vie, auquel appartenait le programme Erasmus, s'est élevé à 7 milliards d'euros, soit 0,71 % du total. Dans ce cadre, l'Union européenne avait alloué 3,1 milliards d'euros au programme Erasmus, dont 480 millions d'euros au titre de 2012.

Le nouveau dispositif Erasmus + ne semble pas changer la donne en la matière. Dans le cadre pluriannuel 2014-2020, le budget est de 14,7 milliards d'euros, dont 63 % consacrés à la mobilité des étudiants et des personnels. En hausse de 40 %, il est l'un des deux domaines, avec la recherche et l'innovation, qui a vu une augmentation de ses crédits. L'objectif associé est que plus de quatre millions de jeunes et plus de 800 000 personnels enseignants et administratifs puissent expérimenter une mobilité à l'étranger. On ne peut que se féliciter de cette cohérence : ce budget est à la hauteur de l'enjeu que recouvre la mobilité dans une économie mondialisée et des attentes très fortes, dans un contexte de crise économique qui perdure et frappe tout particulièrement les jeunes.

Ce budget, vous le savez, a pour principal objet de couvrir le soutien financier à la mobilité que sont les bourses. Ce financement est en effet l'élément crucial de la mobilité des étudiants. En moyenne, les bourses vont de 123 euros pour les étudiants espagnols à 614 euros pour les étudiants chypriotes. En France, en 2011-2012, elles sont de 166 euros par mois pour la mobilité études et de 349 euros pour la mobilité de stage.

À la critique sur la modicité des bourses, s'ajoute celle sur leur opacité : non seulement les étudiants disposent de bourses de montants différents selon leur nationalité, mais, au sein d'un même pays, ce montant peut aussi varier. La problématique des bourses se trouve en effet obscurcie du fait que le dispositif Erasmus procède d'un cofinancement. À celles de l'Union européenne peuvent s'adjoindre des bourses nationales et locales. Les sources de financement cumulatives sont plus ou moins importantes et c'est l'empilement possible des bourses, leurs critères d'attribution et leur peu de coordination entre elles qui peuvent rendre le dispositif assez opaque. Paradoxalement, alors qu'au niveau national français, avec un budget total de 107,914 millions d'euros, dont 54,930 millions consacrés à Erasmus, la politique de l'agence Europe éducation formation France (2E2F) est de verser les bourses Erasmus stricto sensu sur un fondement égalitaire aux établissements d'enseignement supérieur, selon le type de mobilité, sa durée, son lieu d'exercice et les compléments nationaux ou régionaux obtenus, les étudiants pourront se voir attribuer au final des aides financières différentes !

Dans le succès d'Erasmus, le rôle des collectivités territoriales et principalement des régions est décisif mais peut-être insuffisamment souligné. L'Association des régions de France évalue la contribution financière des régions à 150 millions d'euros pour 150 000 jeunes envoyés en mobilité. C'est dire l'importance de leur action et c'est dire également combien il importe que leur voix soit clairement identifiée dans le processus d'élaboration de cette politique, ne serait-ce que parce que l'action non articulée de ces régions est susceptible de générer de fortes disparités, facteur d'inégalités. En d'autres termes, une politique régionale de la mobilité ne serait-elle pas souhaitable ?

J'ai été frappée par la philosophie véhiculée par Erasmus tant dans son ancienne mouture que dans la nouvelle. Son action s'inscrit en effet dans la stratégie de Lisbonne, adoptée en 2000, qui met l'accent sur la croissance et l'emploi et voit dans la connaissance et l'innovation qui en résulte les atouts les plus précieux de l'Union européenne. Précisément, le credo désormais bien ancré, qui sert à la fois d'objectif et de levier à la démocratisation d'Erasmus, est donc l'idée qu'un degré élevé de flexibilité et de mobilité doit permettre de surmonter les différences structurelles qui rendent l'administration et le fonctionnement du marché européen difficile. Promouvoir la mobilité étudiante, c'est permettre celle du travail.

Les attentes sont donc très fortes : lutter contre le chômage des jeunes en favorisant l'insertion professionnelle des étudiants dans un monde globalisé où l'internationalisation des compétences et des exigences de l'emploi demeurent incontournables. Dans ce cadre, il semble que la crise économique ait favorisé la démocratisation d'Erasmus. Typique à cet égard, le rôle des stages Erasmus depuis 2007. Plus ciblées et à forte valeur ajoutée, ces mobilités semblent en effet d'autant plus prisées par les étudiants qu'elles s'inscrivent dans une logique de professionnalisation de la mobilité. La France, leader de la mobilité de stage, s'inscrit déjà pleinement par ce biais dans la philosophie de l'Erasmus. Le succès des stages répond très concrètement à une orientation générale des cursus universitaires davantage portés sur l'employabilité future des étudiants.

Je me réjouis qu'Erasmus +, dans l'optique de lutter contre le chômage des jeunes, cherche ouvrir la mobilité à 650 000 apprentis et étudiants de l'enseignement professionnel dont le profil socio-économique et culturel est pourtant peu propice à la mobilité. L'apprentissage constitue en effet un modèle performant d'accès à l'emploi. Il s'agit de l'encourager, y compris dans l'enseignement supérieur même si les modèles nationaux valorisent plus ou moins ce type de formation. À ce titre, j'ai été fortement marquée par la manière dont les Centres de formation des apprentis (CFA) et les Maisons familiales et rurales (MFR) se mobilisent pour développer un accompagnement de la mobilité auprès de publics qui n'y sont pas a priori culturellement portés. L'expérience des Compagnons du devoir qui ont, pourrait-on dire, l'« ADN » de la mobilité dans leur tradition, m'a paru très éclairante. Il y a là un vivier de bonnes pratiques à imiter. Je milite à ce titre pour un statut européen de l'apprenti, au même titre qu'il existe un statut européen de l'étudiant.

Malgré une incontestable démocratisation du dispositif Erasmus, les données de ce succès ne doivent pas masquer que les motivations à la mobilité résultent de facteurs nombreux, complexes et interdépendants qui sont géographiques, économiques et sociaux mais également psychologiques et culturels. À côté des freins financiers, il existe des freins linguistiques et une autocensure qui touchent les publics les moins portés socio-culturellement à la mobilité. Les inégalités devant la mobilité qui, bien souvent, relève d'un profil étudiant « hypermobile » pour lesquels la mobilité Erasmus n'est qu'un dispositif parmi d'autres dans une stratégie concurrentielle, sont amenées à perdurer. Si la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) est riche de possibilités offertes aux universités françaises pour accroître leur politique d'attractivité, elle est aussi susceptible de faire le lit de disparités accrues, dans un contexte fortement concurrentiel où les accords de coopération avec d'autres universités prestigieuses constituent un enjeu crucial.

Enfin, la vigilance que je veux prôner concerne le financement d'Erasmus +, tout particulièrement le nouveau dispositif d'octroi de prêts. L'augmentation du budget Erasmus + témoigne des attentes fortes et des espoirs que l'Union européenne place dans la mobilité comme outil d'employabilité. Mais dans le contexte actuel de crise économique durable, Erasmus + pourra-t-il garder les moyens de son ambition ? Les précédents de 2012 ne se reproduiront-ils pas ?

Par ailleurs, le nouveau mécanisme de caution de prêts géré par le Fonds européen d'investissement mis en place par Erasmus +, bien que limité à 3,5 % du budget, reste un outil à surveiller. La France était très réticente à l'égard de cet outil car, s'il répond effectivement à un besoin de financement et à une défaillance du système en matière de mobilité de diplôme, tout particulièrement en master, la crainte de voir un public étudiant déjà fragilisé par la crise économique, exposé au surendettement n'est pas exagérée ; 12 000 euros pour un an, 18 000 euros pour deux, c'est bien mais cela reste insuffisant, surtout dans le contexte d'une hausse des droits d'inscription universitaires qui, déjà, freine la mobilité étudiante en général. À l'heure où Erasmus apparaît comme un remède anticrise, il faut espérer que le prêt n'ait pas, de manière contreproductive, un effet dissuasif sur la mobilité. Rendez-vous doit donc être pris, d'ici un ou deux ans, pour établir le bilan de ce dispositif, prévu, je le rappelle, pour allouer 200 000 prêts à des taux inférieurs au marché et remboursables après le retour au pays, mais dont les modalités exactes, pour l'heure, restent encore floues.

Ces deux dernières années, le programme Erasmus s'est trouvé placé sous les feux de la rampe. Même si les inquiétudes qui se sont exprimées se sont avérées en partie infondées, elles n'auront pas été vaines. Loin d'écorner un programme inscrit dans le paysage mental des Européens – ce qui est soi déjà remarquable dans une Europe toujours en quête de légitimité –, l'Union européenne a validé un dispositif plus ambitieux en augmentant les crédits et en doublant l'objectif de mobilité d'ici 2020. Dans un contexte de restrictions budgétaires généralisées, on ne peut que s'en féliciter !

Il convient cependant de ne pas méconnaître les zones d'ombre et de rester vigilants. Ainsi, l'effort de démocratisation doit encore être accru tant en quantité qu'en qualité, de telle sorte que l'accès au dispositif Erasmus soit possible quel que soit l'âge et le niveau de diplôme des bénéficiaires ; c'est notamment vrai pour les filières courtes ou les apprentis. Les structures d'accompagnement à la mobilité au sein des établissements doivent être renforcées, ce qui implique d'inciter les enseignants et les personnels des établissements d'enseignement à expérimenter eux-mêmes la mobilité. Enfin, du point de vue du financement, nerf de la guerre comme toujours, à côté du dispositif de prêts, il conviendrait, comme je l'ai proposé en juin dernier, d'augmenter le montant des bourses et de mieux les allouer en fonction de critères socio-économiques, afin d'attirer les publics qui n'y sont pas portés a priori.

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