Intervention de Seybah Dagoma

Réunion du 26 février 2014 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSeybah Dagoma, rapporteure :

Définir les conditions et les contours de la mise en oeuvre d'« un juste échange » comme principe de régulation du commerce international revêt aujourd'hui une importance majeure.

En effet, en Europe, et singulièrement dans notre pays, la mondialisation, fondée sur la doctrine du libre-échange, est fortement contestée. « Délocalisations », « accroissement des inégalités », « dérégulation financière », « concurrence déloyale » : tels sont les mots qui lui sont régulièrement associés. Sur notre continent, nos concitoyens perçoivent majoritairement l'Union européenne non plus comme un rempart contre une mondialisation non maîtrisée, mais, au mieux, comme un spectateur passif et inutile, et, au pire, comme le cheval de Troie d'un libéralisme international sans contrepoids, dont ils seraient au premier chef les victimes.

S'il est indiscutable que la crise qui sévit depuis 2008 a renforcé cette défiance, le basculement du monde est une réalité qui a précédé la tornade déclenchée par l'éclatement de la bulle immobilière américaine et l'effondrement de la banque Lehman Brothers. Depuis deux décennies, les contours de l'économie mondiale ont été transformés, et de nouveaux acteurs de premier plan sont progressivement apparus. La conséquence en a été la fin d'une forme d'hégémonie occidentale, et le déplacement du centre de gravité économique de la planète vers d'autres régions, en particulier vers la zone Asie-Pacifique.

Quelques chiffres suffisent à illustrer ce bouleversement. Les pays du Sud qui assuraient le tiers de la production mondiale en 1990 en produisent près de la moitié aujourd'hui. En 1950, la Chine, l'Inde et le Brésil ne représentaient que 10 % de la production économique mondiale, alors que les six puissances traditionnelles du Nord comptaient pour plus de la moitié.

Les échanges commerciaux, qui ont explosé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, représentent désormais 30 % du PIB mondial. Il y a vingt ans, 60 % de ces échanges s'effectuaient entre les pays du Nord, 30 % étaient orientés du Nord vers le Sud et 10 % concernaient les pays du Sud entre eux ; aujourd'hui, ces proportions sont devenues équivalentes, soit un tiers du commerce mondial pour chacun des flux concernés.

À l'évidence, cette nouvelle donne internationale remet en cause les positions acquises. Elle s'est accompagnée de plusieurs transformations.

Une nouvelle division du travail a eu lieu, c'est-à-dire une nouvelle spécialisation des économies nationales dans des activités particulières. En effet, la division internationale du travail traditionnelle reflétait la domination et l'avance des pays occidentaux qui achetaient des produits primaires et exportaient des produits issus de leur industrie. Autrement dit, les pays pauvres étaient spécialisés dans les produits agricoles et les matières premières alors que les pays riches fabriquaient, pour la majorité d'entre eux, des produits manufacturés. Avec la libéralisation croissante du commerce international, les échanges intrabranches se développent et, désormais, les échanges croisés de produits différenciés se sont banalisés : un pays peut désormais exporter et importer le même type de produits. Les pays émergents exportent progressivement des produits manufacturés, et l'organisation des entreprises multinationales et le développement des échanges de services contribuent à ce changement.

La nouvelle donne internationale s'est également accompagnée d'une fragmentation des chaînes de valeur. La fragmentation géographique du processus de production consiste à décomposer la fabrication d'un produit dans différents lieux, puis à réunir les éléments épars pour l'assemblage final. Par cette pratique, les entreprises, le plus souvent multinationales, exploitent les avantages comparatifs propres à chaque pays au sein d'une stratégie élaborée à l'échelle mondiale, en ayant recours à des entreprises partenaires ou à des filiales. Cela a notamment eu pour conséquence d'augmenter la part des biens intermédiaires dans les importations mondiales de biens. Les biens et services sont désormais composés d'intrants provenant de divers pays, et une part importante des importations intermédiaires est utilisée pour produire des exportations. Selon les chiffres avancés par l'Organisation mondiale du commerce (OMC), près de 30 % du total des échanges consistent en réexportations de biens intermédiaires, ce pourcentage ayant augmenté de dix points depuis le milieu des années quatre-vingt-dix.

Ce mode de fonctionnement des chaînes de production retire à peu près toute pertinence au vieux concept mercantiliste en vertu duquel les exportations sont un élément positif et les importations, un élément négatif. En réalité, les pays qui exportent le plus importent le plus, et ceux qui importent le plus tirent de leur participation au commerce international la plus grosse partie de la croissance de leur économie.

Il est en conséquence difficile d'envisager une augmentation du coût des importations par la voie exclusive d'une augmentation des droits de douane car celle-ci se répercuterait de facto sur le prix des exportations. S'agissant de l'Europe, deux tiers des importations sont constitués de matières premières et de composants nécessaires au processus de production européen. Le fait que la fragmentation internationale de la production ait progressé moins rapidement en France qu'en Allemagne explique en partie les écarts de performance constatés entre les deux pays. S'agissant de la France, on estime à 25 % l'utilisation d'intrants intermédiaires étrangers dans nos exportations. Au Japon, près de 40 % des importations intermédiaires totales de matériel de transport finissent en exportations. Le terme de Made in world décrit bien le phénomène.

Dans ces conditions, les mesures classiques des échanges internationaux ne reflètent pas les mouvements des biens et services qui circulent au sein de ces chaînes de production mondiales. Les balances commerciales bilatérales peuvent ainsi être assez différentes si elles sont calculées sur la base de la valeur ajoutée : pour l'année 2009, l'excédent commercial de la Chine avec les États-Unis régresserait de plus de 40 milliards de dollars, c'est-à-dire de 25 %.

Il convient toutefois de noter que cette approche par les valeurs ajoutées comporte des limites dans la mesure où elle ne prend pas en compte les paramètres qualitatifs tels que l'intensité en emplois des échanges, l'empreinte environnementale ou le degré d'élaboration des normes sociales.

Transformation encore plus évidente : la mondialisation et la libéralisation des échanges ont contribué à l'affaiblissement des États, au profit d'une puissance nouvelle conférée aux entreprises multinationales en mesure de jouer des avantages comparatifs qu'elles trouvent dans les différents pays du globe pour optimiser à la fois fiscalité, coûts de production, et efficacité commerciale. Bien souvent, elles ne sont pas mises face à leur responsabilité en matière sociale et environnementale.

Ce constat étant fait, les premières questions auxquelles nous devons répondre, sont des questions de principe sur les résultats etou les conséquences de cette libéralisation des échanges internationaux. Le libre-échange a-t-il bénéficié à l'ensemble de la population mondiale, ou existe-t-il des vainqueurs et des perdants ?

Il est indiscutable que la mondialisation a eu des effets positifs. Elle a permis à plusieurs centaines de millions d'individus dans le monde de sortir de la pauvreté et d'accéder à un niveau de vie plus élevé. C'est notamment le cas dans les pays émergents regroupés sous l'acronyme anglais BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud –, qui sont généralement considérés comme les grands gagnants de la mondialisation, moteurs de la croissance économique des années à venir. L'enrichissement global de ces pays ne doit toutefois pas occulter le fait que le libre-échange a également été un formidable facteur d'inégalités à l'intérieur même de ces ensembles. Le coefficient de Gini, indicateur synthétique des inégalités de salaires, de revenus et de niveaux de vie, qui varie entre 0,2 pour les pays les plus « égalitaires », et 0,6 pour ceux qui le sont moins, s'élevait, en 2010, à 0,61 en Chine et 0, 54 au Brésil !

D'autres catégories de pays en « pré-émergence » ont été établies telles que les CIVETS – Colombie, Indonésie, Vietnam, Égypte, Turquie et Afrique du Sud –, pays dont le taux de croissance annuel moyen est évalué à 5 % pour les vingt prochaines années, ou encore les BENIVM – Bangladesh, Éthiopie, Nigeria, Indonésie, Vietnam et Mexique – qui ne représentent pas une catégorie homogène. En Asie du Sud-Est et en Afrique de l'Est, plusieurs États apparaissent comme de nouveaux eldorados potentiels. Pourtant, les inégalités y sont également criantes, et le prix à payer pour le développement environnemental et économique est parfois prohibitif. Les délocalisations des activités les plus polluantes des entreprises des pays industrialisés dans ces pays contribuent à les transformer en « havres de pollution ». Nous nous souvenons tous de l'effondrement du Rana Plaza, en avril 2013, au Bangladesh, qui avait causé la mort de plus de 1 100 personnes travaillant dans de dramatiques conditions d'insécurité pour plusieurs grandes marques internationales.

Une dernière catégorie, au sein des pays en développement, est composée de ceux dont il est clair qu'ils sont encore aujourd'hui les laissés-pour-compte de la mondialisation. Ainsi, les quarante-neuf pays les moins avancés (PMA) réalisent à peine plus de 1 % du commerce mondial. Cette faible participation au commerce international est symboliquement illustrée par le fait qu'aucun de ces pays n'a jamais saisi l'Organe de règlement des différends de l'OMC faute d'expertise juridique, d'avocats et d'équipes techniques. S'ils ont accru, en moyenne de 7 à 8 %, le volume de leurs exportations au cours des dix dernières années, en valeur, celles-ci n'ont en revanche que peu augmenté, d'où une diminution sensible du taux de couverture des exportations par les importations et une très forte dépendance aux prix des produits de base, en particulier des denrées alimentaires. Proposé à ces pays par les organisations internationales, le modèle d'une croissance tirée par les exportations a abouti à un échec.

Dans les pays industrialisés, la mondialisation a permis aux consommateurs d'avoir davantage de choix ; elle est à l'origine d'un réel enrichissement. Elle a accompagné les Trente Glorieuses, au cours desquels l'Europe de l'après-guerre a rattrapé le niveau de vie des États-Unis. Pourtant, aujourd'hui, elle est perçue par de nombreux citoyens européens comme une menace pour les industries locales, avec des pertes d'emplois, et pour le modèle social. Son coût est jugé trop élevé dans un contexte de concurrence internationale exacerbée.

L'Europe a souvent été considérée comme « l'idiot de la mondialisation », selon l'expression de M. Hubert Védrine. Pour brutale qu'elle soit, cette assertion n'est pas, loin s'en faut, dénuée de fondement. Elle repose en effet sur deux constatations. Sous la houlette d'une Commission idéologiquement très attachée au libre-échange, il faut d'abord reconnaître que l'Union européenne se comporte comme le « bon élève » de l'OMC. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne ses marchés publics, ouverts à plus de 85 %, alors que ce taux n'atteint que 32 % aux États-Unis, 28 % au Japon et 16 % au Canada. C'est pourquoi nous vous avons présenté l'année dernière avec Mme Marie-Louise Fort une proposition de résolution européenne sur la création d'un instrument de réciprocité sur les marchés publics, pour laquelle plaide également l'alinéa 38 du texte qui vous est soumis aujourd'hui. Ensuite, il faut bien reconnaître que les États, y compris les membres de l'Union, se livrent entre eux à une concurrence souvent déloyale, fondée notamment sur des pratiques de dumping social et fiscal, parfaitement illustrées par l'actualité récente relative aux travailleurs détachés.

Il s'agit là du véritable effet pervers de la doctrine libre-échangiste : faute de règles claires, et d'instance qui soit en capacité de les faire respecter, la mondialisation a engendré des pratiques contraires à la mise en oeuvre du multilatéralisme régulé que la création du GATT puis de l'OMC devait promouvoir. Cette institution suscite de nombreuses interrogations sur sa capacité à imposer le multilatéralisme. En la matière, la Conférence de Bali n'a sauvé que les apparences.

Les pratiques défavorables au multilatéralisme sont de plusieurs ordres. Elles consistent tout d'abord à adopter une politique protectionniste à rebours des préceptes de l'OMC qui visent à « garantir une concurrence ouverte, loyale et exempte de distorsions ». Dans mon rapport, j'analyse sous cet angle les cas de l'Inde, du Brésil et de la Chine.

Elles se traduisent également par des manquements aux engagements pris dans le cadre de l'OMC. Concrètement, alors que les barrières tarifaires sont historiquement basses et ne concernent que quelques secteurs sensibles, comme l'agriculture, de nombreux pays mettent en oeuvre des dispositifs non tarifaires entravant le commerce.

Enfin, elles se manifestent par un dumping monétaire destiné à améliorer la compétitivité-prix, en contradiction avec l'article XV du GATT, repris par l'OMC, qui dispose que les pays doivent « s'abstenir de toute mesure de change qui irait à l'encontre des dispositions du commerce international ». Force est de constater que l'OMC n'a aucune compétence régulatrice en la matière, et qu'elle est tenue de renvoyer à l'avis du FMI toute question relative aux régimes de changes, aux réserves et à la balance des paiements. Or, si les statuts du FMI interdisent de manipuler les taux de change pour obtenir des avantages comparatifs, la réalité est bien décevante. Selon une note publiée le mois dernier par le Conseil d'analyse économique : « Un taux de change est considéré comme “manipulé” si le pays a mis en oeuvre des interventions ou des contrôles de change destinées à maintenir durablement une sous-évaluation du change par rapport à son niveau fondamental, et si l'objectif de cette sous-évaluation est de stimuler les exportations. Ces deux conditions sont très restrictives, d'autant qu'il est recommandé d'accorder à l'État membre le bénéfice du doute. En outre, le FMI n'a pas sur ce sujet de pouvoir de sanction. Finalement, aucun pays n'a jamais été sanctionné pour manipulation de son taux de change […] » Il est manifeste que le dispositif en place n'est pas efficace.

À l'évidence, il apparaît donc que le libre-échange, voulu comme un vecteur de développement international partagé, a trouvé ses limites et n'a pas permis de créer à l'échelle du monde les conditions d'échanges justes fondés sur la réciprocité, l'équité et le respect de normes sociales et environnementales. Pourtant, il n'est nullement dans mon intention de défendre l'idée d'une « démondialisation ». Nous savons que le commerce constitue un des vecteurs de croissance pour le monde d'aujourd'hui et de demain.

Quelques chiffres, tableaux et graphiques permettent de rappeler des données fondamentales en la matière.

En 2013, environ 60 % des échanges commerciaux de la France s'effectuent à l'intérieur de l'Union européenne alors que, selon l'OCDE, 90 % de la croissance attendue d'ici à 2020 devrait être le fait de pays extérieurs à l'Union.

En 2030, la Chine, l'Inde et le continent africain disposeront chacun d'une population de 1,5 milliard d'êtres humains alors que l'Union européenne ne comptera que 520 millions d'habitants. Cette donnée est essentielle sachant que les ressources humaines seront l'un des principaux déterminants du succès économique.

En 2030, 175 millions de Chinois auront entre 15 et 24 ans. Les Indiens de cette tranche d'âge seront 250 millions, et les Africains, 300 millions, alors que l'Union européenne ne comptera à la même date que 80 millions de jeunes. On peut craindre que de nombreuses entreprises délocalisent vers des bassins d'emplois où des millions de jeunes accepteront de travailler à bas coûts.

À l'horizon 2050, il apparaît que l'Afrique, l'Inde et la Chine représenteront 50 % du stock de capital humain mondial, qui tient compte du nombre moyen d'années d'études des plus de quinze ans.

À terme, 70 % de la classe moyenne mondiale se trouvera dans la zone Asie-Pacifique où de fortes opportunités seront donc à saisir.

Au regard de ces perspectives d'avenir, une régulation du commerce international doit être mise en oeuvre dans l'intérêt de tous. Il revient à l'Europe d'aider à la mise en place d'un commerce loyal, équitable, respectueux des normes internationales, en un mot, conforme aux exigences d'un « juste échange ».

Il convient de s'arrêter quelques instants sur la définition même de ce concept. Évaluer ce qui est juste ou injuste dans les rapports commerciaux n'est pas aisé. D'aucuns considèrent que, dans les affaires, ce qui est juste est ce sur quoi les parties prenantes se sont mises d'accord ; le contrat constitue pour eux une référence. Le juste échange a assurément une connotation morale et même philosophique, renvoyant à la théorie de Saint Thomas d'Aquin de l'égalité dans l'échange selon laquelle personne ne doit en tirer profit au détriment d'un autre. Cette vision idéale est souvent éloignée de la vision empirique du marché, lieu des rapports de forces, et des comportements égoïstes et intéressés.

Le juste échange s'appuie sur trois principes majeurs. Tout d'abord, la notion de juste échange implique que chacun prenne la part qui lui revient dans l'effort commun et suppose l'émergence d'un accord sur des « règles du jeu universelles ». Cette conception s'appuie notamment sur la notion de biens publics mondiaux, au nombre desquels figurent la préservation de l'environnement, un système monétaire stable, la protection de la biodiversité ou des conditions de travail décentes. Il est nécessaire de concilier cette conception avec le principe des « responsabilités communes mais différenciées », fondé sur l'idée qu'il serait inéquitable de soumettre les pays en développement aux mêmes obligations que les pays développés.

Ensuite, le juste échange suppose la loyauté dans les échanges et le respect des règles internationales, principalement celles de l'OMC qui compte en son sein la quasi-totalité des nations, y compris la Chine depuis 2001, et la Russie depuis 2011. La notion de justice rejoint alors celles de réciprocité dans l'échange et d'équité dans les concessions mutuelles. Trop souvent, l'Europe et les grands émergents ne combattent pas à armes égales. Les gouvernements de ces pays protègent leur marché intérieur, imposent des taux de contenu local et des transferts de technologie et constituent des oligopoles compétitifs de firmes publiques auxquels sont consacrées des capacités d'investissement considérables. Il est temps de rééquilibrer les choses ! C'est la raison pour laquelle la proposition de résolution européenne invite la Commission européenne à se montrer moins tatillonne en matière de politique d'investissement ou de concurrence afin de ne pas faire obstacle à la création en Europe de champion d'envergure internationale.

Enfin, l'Europe doit s'affirmer comme la figure de proue d'un multilatéralisme rénové, qui permettrait de rééquilibrer les bénéfices des échanges internationaux au profit des nations jusqu'alors restées à l'écart de la mondialisation. À l'évidence, cela suppose que les États membres de l'Union parviennent à mettre de côté leurs intérêts individuels, et s'engagent à ne plus adopter de stratégie gagnants-perdants et à parler d'une même voix sur la scène internationale.

La tâche n'est pas aisée. Il faudra surmonter les divergences d'appréciations entre les partisans d'un renforcement de la régulation, d'un côté, et, de l'autre, les ayatollahs du libre-échange, que leurs motivations soient idéologiques ou qu'ils aient peur de représailles. Pour ces derniers, le juste échange, expression que l'on doit à Henri Weber, n'est rien d'autre qu'une tentative française d'un néo-protectionnisme.

À ce clivage idéologique se superposent les déséquilibres entre des pays du Nord, dotés d'un appareil productif efficace, et qui fondent notamment leur prospérité sur les exportations, et des pays du Sud, en prise à de nombreuses difficultés structurelles.

La partie est loin d'être gagnée d'avance. Je rappelle que selon le rapport remis en janvier 2012 par M. Yvon Jacob, ambassadeur de l'industrie, et M. Serge Guillon, contrôleur général économique et financier, l'écart de coût horaire moyen de la main d'oeuvre en euros varie de un à quinze entre la Bulgarie et la Suède. La part de l'industrie dans la valeur ajoutée s'étale de 8 % au Luxembourg à plus de 25 % en Slovaquie et en République tchèque. Pour l'emploi, cette part va de 10 % à Chypre à plus de 27 % en République tchèque. De plus, une récente étude de l'INSEE montre que les destinations privilégiées des délocalisations des entreprises françaises se situent à hauteur de 55 % dans l'Union européenne.

L'Europe a toutefois d'indéniables atouts. Elle reste aujourd'hui la première zone d'exportations et d'importations, et le premier destinataire des investissements mondiaux. Le nombre et le pouvoir d'achat de ses consommateurs, ainsi que la capacité de production et d'innovation qu'elle conserve lui assure la masse critique qui peut lui permettre de jouer un rôle moteur dans les transformations du commerce international.

À l'heure où l'europhobie succède à l'euroscepticisme, la promotion déterminée du « juste échange » est indispensable. Elle constitue la condition d'une croissance mondiale moins destructrice de ressources et moins créatrice d'inégalités. Pour l'Europe même, et pour chacun de ses membres, elle conditionne le maintien d'une influence économique et commerciale dans le monde de demain. Elle envoie un signe fort pour que l'Europe joue enfin son rôle de protection des citoyens.

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