Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 25 février 2014 à 19h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Le 27 avril dernier, notre commission a examiné une proposition de résolution européenne tendant à « la création d'un droit européen pour le consommateur à la maitrise et à la parfaite connaissance de son alimentation », qui traitait à la fois du sujet du « scandale de la viande de cheval » et de la question de la réintroduction des protéines animales transformées dans l'alimentation des poissons d'élevage.

Suite aux débats autour de cette proposition de résolution, la commission des affaires européennes a décidé de l'élaboration d'un rapport d'information sur ces sujets majeurs.

Il convient de rappeler que le scandale de la viande de cheval constituait une tromperie sur la nature et la qualité des aliments vendus mais n'était pas une crise sanitaire posant problème au plan de la sécurité des aliments et de la santé des consommateurs.

Pourtant, l'information du consommateur et la lutte contre la fraude alimentaire ne doivent pas être considérées seulement sous l'angle de la sécurité sanitaire. Il s'agit ici d'une question éthique : les produits alimentaires ne sont pas des marchandises comme les autres, et la réglementation européenne se doit de donner aux consommateurs les moyens de faire leurs choix nutritionnels, gustatifs, environnementaux et sociaux de la manière la plus éclairée possible.

La multiplication des fraudes s'inscrit dans un contexte économique plus général caractérisé par la recherche permanente d'une production toujours moins chère, au détriment de la qualité. Elle est facilitée par l'existence d'intermédiaires de plus en plus nombreux dans la production agro-alimentaire, dont certains se comportent comme des « traders ». Aujourd'hui, on estime que le chiffre d'affaires généré par la fraude alimentaire pourrait être supérieur au trafic de drogues !

C'est ce qu'a mis en lumière ce scandale, qui a profondément ébranlé la confiance du consommateur dans l'industrie agro-alimentaire, notamment en ce qui concerne le parcours des viandes utilisées dans les plats préparés. Il est primordial de retrouver cette confiance.

Évidemment, ces fraudes sont, par définition, le fruit d'une volonté délibérée d'agir dans l'illégalité afin d'obtenir des produits à moindre coûts. La priorité doit donc être de s'assurer de la véracité de toutes les mentions apposées sur les denrées alimentaires, grâce à des contrôles complets et réguliers au niveau de toute la chaîne alimentaire.

C'est pourquoi nous nous sommes tout d'abord intéressés au renforcement des contrôles et des sanctions à la suite de ce scandale.

La réglementation européenne impose en effet des obligations nombreuses en matière de traçabilité alimentaire, alors que l'organisation des contrôles relève de chaque État membre.

Dans ce cadre, dès les premiers jours qui ont suivis la découverte des fraudes, la Commission européenne a recommandé la mise en oeuvre d'un plan de contrôle coordonné. En France, dans le cadre de ce plan, 353 contrôles ont été effectués par les services du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'agriculture.

À plus long terme, les filières viande et poisson ont été placées sous surveillance renforcée pour les années 2013 et 2014, c'est-à-dire que les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ont renforcé leurs contrôles sur tous les maillons de la chaîne.

Par ailleurs, le commissaire européen en charge de la santé et de la consommation Tonio Borg a présenté en mai 2013 une proposition législative dans le cadre du paquet législatif « santé animale et végétale », visant à renforcer les outils de contrôle et de sanction en cas de fraudes. Cette proposition prévoit notamment l'exécution régulière de contrôles officiels inopinés, l'application de sanctions financières compensant « au moins l'avantage économique motivant cette violation » et le renforcement des pouvoirs de la Commission qui pourrait exiger des États membres -et non plus simplement recommander- des contrôles dans le cadre d'un plan de contrôle coordonné.

Le Parlement européen, en votant le rapport de Mme Esther de Lange sur le sujet, a estimé que la Commission devait aller plus loin dans ce renforcement des contrôles et des sanctions, en proposant notamment que les sanctions soient équivalentes au moins au double de l'estimation de l'avantage économique recherché par l'activité frauduleuse, et non pas seulement à l'avantage économique retiré comme le propose la Commission.

Parallèlement, en France, le projet de loi relatif à la consommation définitivement adopté le 13 février dernier prévoit déjà de renforcer les sanctions en cas de fraude économique de manière à rendre plus dissuasives les peines relatives à ces infractions.

Nous souhaitons aussi que la programmation des contrôles et leur réalisation soient et restent d'un niveau suffisant pour en garantir leur caractère dissuasif par rapport aux éventuelles fraudes ou non conformités, la qualité des produits devant être garantie autant que possible.

Le deuxième sujet auquel nous nous sommes intéressés est celui de l'étiquetage de l'origine de la viande. En effet, actuellement, l'étiquetage de l'origine est obligatoire seulement pour la viande bovine fraîche, mais il est aujourd'hui question de l'étendre à d'autres viandes et à la viande utilisée en tant qu'ingrédient dans les plats préparés.

Le règlement de 2011 relatif à l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires - dit « INCO » - prévoit que l'indication du pays d'origine soit obligatoire pour les viandes porcine, ovine ou caprine ainsi que pour les volailles, après l'adoption par la Commission européenne de mesures d'exécution. Ce règlement a été adopté en décembre dernier.

Selon ces nouvelles règles, la viande d'animaux nés, élevés et abattus dans le même État pourra être étiquetée comme suit : « origine : État membre », alors que, dans les autres cas, les lieux d'élevage et d'abattage, mais pas de naissance, devront figurer sur l'étiquette.

Pour les porcs, un animal sera considéré comme ayant été élevé dans un pays s'il a passé les quatre derniers mois avant son abattage dans ce pays. Pour les volailles, cette durée est abaissée à un mois.

Pour les viandes hachées et les garnitures, des dérogations sont introduites : il sera possible de simplement préciser l'origine UE ou non UE de la viande.

Le Parlement européen a considéré que ce règlement était insuffisamment ambitieux, et nous partageons cet avis. Un étiquetage mentionnant le lieu de naissance, le lieu d'élevage et le lieu d'abattage de ces viandes doit être exigé, afin de ne pas induire en erreur le consommateur. Ainsi, une étude menée par le BEUC ( bureau européen des consommateurs ) a montré que si l'origine du pays est indiquée sur une viande fraîche, 62,1 % des consommateurs français pensent que cela signifie que cette viande est née, a été élevée et abattue dans le pays indiqué.

La dérogation introduite par ce texte pour les viandes hachées n'est pas non plus acceptable.

Mais le sujet qui provoque le plus de débats est celui de l'étiquetage de l'origine de la viande dans les plats préparés.

Le règlement INCO prévoit qu'au plus tard le 13 décembre 2013, la Commission européenne présente un rapport concernant l'indication obligatoire du pays d'origine de la viande utilisée en tant qu'ingrédient, cette disposition englobant toutes les viandes.

Dès le mois de mars 2013, Tonio Borg a souligné que le scandale de la viande de cheval n'était pas lié à une lacune dans la réglementation, et que la question des fraudes et celle de l'étiquetage devaient être traitées séparément.

Toutefois, face à la pression exercée par les exécutifs nationaux, la Commission européenne avait initialement accepté d'anticiper la remise du rapport. Ce projet de rapport a été soumis à l'approbation du collège des commissaires mais la Commission européenne a annoncé le report de la publication faute de consensus. Il a enfin été adopté le 17 décembre 2013.

Dans ce rapport, la Commission plaide clairement contre un étiquetage de la mention d'origine de la viande utilisée comme ingrédient dans les plats préparés.

Pourtant, la Commission reconnaît l'importance de ce sujet aux yeux des consommateurs : 90 % des consommateurs européens seraient intéressés par une telle mesure.

Cependant, selon la Commission, les consommateurs sont attachés à une meilleure traçabilité et à la mention d'origine, mais privilégient avant tout d'autres facteurs, en particulier le prix des produits. Pour des hausses de prix inférieures à 10 %, la volonté du consommateur de payer davantage diminuerait entre 60 et 80 % selon le rapport !

Le rapport met en avant les risques que comporterait un tel étiquetage pour la compétitivité des pays européens et pour le marché intérieur, soulignant le risque de renationalisation du commerce, et insiste sur le coût de cette mesure pour les autorités publiques chargées du contrôle des denrées alimentaires.

À titre personnel, je m'interroge sur cette argumentation. Il est étonnant que les services de la commission si sourcilleux de l'application du principe de libre concurrence justifient par une question de compétitivité le refus de l'information due au consommateur, information nécessaire pour qu'il choisisse librement.

S'il est envisageable que des contraintes renforcées en matière d'étiquetage soient facteur d'un surcoût pour les exploitants, les chiffres avancés par le rapport de la Commission manquent considérablement de précision : selon le rapport, « les coûts d'exploitation supplémentaires des exploitants du secteur alimentaire pourraient se situer dans une fourchette allant de 15 % ou 20 % à 50 % ».

Nous appelons à une grande prudence envers cette étude d'impact. Il est en effet apparu lors des auditions que nous avons menées que la Commission s'est principalement appuyée sur les données transmises par les fédérations européennes des industriels de la viande. Ces chiffres sont vivement contestés par les associations de consommateurs mais également par les représentants français de la filière.

En effet, je tiens à signaler que nous avons été agréablement surpris par la position des producteurs français sur ce sujet lors de notre audition d'INTEBEV, l'interprofession du bétail, qui s'est montré extrêmement favorable à un étiquetage du pays d'origine et très critique de la position de la Commission.

Il convient enfin de rappeler la situation particulière dans laquelle se trouve la France à ce sujet, puisqu'un amendement du rapporteur Fauconnier au projet de loi consommation a été introduit en septembre dernier au Sénat, prévoyant l'obligation de mentionner l'origine des viandes sur l'étiquetage des plats préparés. Cet amendement prévoit un mécanisme de validation par la Commission européenne.

Pour finir, nous faisons état dans notre rapport de la nécessité de défendre le respect des préférences collectives des européens en matière d'alimentation, qui va bien au-delà de la question des contrôles et de l'étiquetage.

Dans ce sens, nous avons poursuivi lors des auditions les travaux de notre commission sur le risque d'une réintroduction des protéines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage.

Par ailleurs, la majorité de nos interlocuteurs nous ont fait part de manière spontanée de leurs inquiétudes sur l'impact que pourrait avoir le partenariat transatlantique sur le commerce et l'investissement – le TTIP - sur la viande consommée par les Européens.

En effet, il ne suffit pas de s'assurer que les producteurs européens respectent des normes très strictes en matière sanitaire et phytosanitaire : les produits importés sur le sol européen doivent répondre aux mêmes exigences, non seulement pour protéger la santé des consommateurs européens mais également pour respecter leurs choix éthiques.

Or, les États-Unis et l'Union européenne ont une approche totalement différente de l'hygiène et de la sécurité sanitaire des aliments. L'Union européenne impose aux producteurs européens une approche dite « de la fourche à la fourchette », qui demande à ce que soient mises en oeuvre, à chaque étape de la chaîne de production, les bonnes pratiques d'hygiène qui permettront d'obtenir un produit sûr et propre. À l'inverse, les États-Unis ont une réglementation beaucoup moins stricte sur les mesures d'hygiène à respecter tout au long des étapes de production. Pour compenser ce laxisme en matière d'hygiène, les producteurs américains ont recours à des traitements dits de décontamination pour les carcasses de viande, en particulier à base de solutions chlorées.

Alors que les États-Unis ont fait le choix d'une position très offensive sur ce volet depuis le début des négociations, défendant leur modèle de production, la position de la Commission européenne sur le sujet manque de fermeté.

Déjà, en mai 2008, elle avait proposé de lever l'interdiction des solutions chlorées dans l'Union européenne. La majorité des ministres de l'agriculture européens s'étaient opposés à cette autorisation. Dans le même sens, suite à la pression très forte des États-Unis qui avaient déposés en 2010 une demande d'autorisation auprès de la Commission européenne, l'utilisation de l'acide lactique pour la décontamination de la viande est autorisée dans l'Union européenne depuis février 2013.

Ces produits ne sont peut-être pas dangereux pour la santé, mais ils remettent radicalement en cause la conception européenne de l'alimentation, et c'est pourquoi nous appelons la Commission européenne à faire de ce sujet une véritable ligne rouge au cours des négociations.

Enfin, nous considérons que l'étiquetage nutritionnel doit faire l'objet de nouvelles réflexions.

Cet étiquetage tend aujourd'hui à l'exhaustivité. Toutefois, cette exhaustivité, si elle est évidemment une avancée dans le sens d'une information complète du consommateur, peut rendre l'information difficilement compréhensible.

La mise en place d'autres systèmes, plus lisibles, doivent être étudiés, en s'inspirant par exemple du système des « feux tricolores » qui existe depuis 2006 au Royaume-Uni, tout en en améliorant la pertinence en matière d'apport calorique.

C'est dans ce sens que vont les conclusions que nous vous proposons.

Arnaud Richard : Un an après la crise de la viande de cheval, la confiance du consommateur a été largement affaiblie. Nous considérons que la lutte contre la fraude alimentaire ne doit pas être considérée seulement sous l'angle de la sécurité sanitaire, et que les produits alimentaires ne sont pas des marchandises ordinaires : la réglementation européenne doit donc donner aux consommateurs les moyens de faire des choix nutritionnels, gustatifs, environnementaux et sociaux de manière éclairée. La volonté des citoyens européens de connaître le pays d'origine des produits carnés qu'ils consomment doit être respectée,

On peut tout de même se féliciter que la Commission européenne ait fait du renforcement des contrôles et sanctions visant à lutter contre les fraudes alimentaires une priorité en proposant un nouveau règlement relatif aux contrôles officiels ainsi qu'en mettant en place un réseau d'experts et un système informatique d'alerte rapide dédiés.

Nous approuvons la position exprimée par le Parlement européen à travers sa résolution du 14 janvier 2014 en ce qui concerne l'harmonisation de la définition de la fraude alimentaire au niveau européen, sur la nécessité de fixer des sanctions plus dissuasives que ce que propose actuellement la Commission européenne et sur la mise en place d'une législation rendant obligatoire l'indication du pays d'origine pour la viande utilisée comme ingrédient dans les plats préparés ;

Par contre, on ne peut que déplorer que le rapport de la Commission européenne sur l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance pour la viande utilisée comme ingrédient dans les plats préparés n'ait pas été accompagné d'une proposition législative.

Nous avons dans nos travaux rencontré le Gouvernement, et nous ne pouvons que soutenir sa position sur le sujet, exprimée en partie dans le texte porté par Benoît Hamon, notamment en ce qui concerne le renforcement des sanctions.

Nous considérons que la Commission européenne doit adopter une proposition législative à ce sujet prévoyant à court terme l'indication du pays d'origine de la viande bovine et ovine utilisée comme ingrédient dans les plats préparés et pour toutes les viandes utilisées comme ingrédients dans les plats préparés à plus long terme.

Nous regrettons que le règlement d'exécution de la Commission européenne relatif à l'indication du pays d'origine ou du lieu de provenance des viandes porcine, ovine, caprine et des volailles n'impose pas la mention obligatoire du lieu de naissance, d'élevage et d'abattage pour toutes les viandes concernées.

L'objectif de réduction des barrières non tarifaires prôné par l'accord de libre-échange avec les États-Unis ne doit pas remettre en cause ni les préférences collectives des consommateurs européens en matière d'éthique et de sécurité alimentaire ni la qualité des produits qui leur sont proposés, et nous considérons qu'il faut s'opposer à l'utilisation de produits de décontamination des viandes.

Nous avons également travaillé sur la réintroduction des sous-produits animaux dans l'alimentation des animaux d'élevage et nous considérons qu'un étiquetage obligatoire « nourris sans farines animales » doit être mis en oeuvre au niveau européen.

Enfin, nous estimons l'Union européenne doit mener une réflexion plus ambitieuse sur un renouveau de l'étiquetage nutritionnel, afin de rendre celui-ci davantage lisible pour les consommateurs et de répondre ainsi aux enjeux d'une alimentation de qualité.

Voilà les conclusions qui sont celles de nos travaux, un an après cette crise grave qui a traversé l'Europe, et quelques jours après l'ouverture du salon de l'agriculture.

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