Même si la discussion générale a déjà eu lieu, il ne me semble pas inutile, monsieur le président, de préciser à ce stade l'état de la réflexion des commissaires UMP.
« L'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics » : cette affirmation du préambule de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 doit rester toujours présente à notre esprit.
Parce que la transparence et l'humanité sont au coeur de nos valeurs et de notre conception de la République, la précédente majorité a institué, par la loi du 30 octobre 2007, un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité indépendante à laquelle a été confié le soin de contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s'assurer du respect des droits fondamentaux dont elles demeurent titulaires.
La République ne s'arrête pas aux portes des lieux privatifs de liberté : elle doit pouvoir rendre compte de ce qu'elle voit et de ce qu'elle fait. Elle doit, jusque dans ces lieux, s'assurer que sont respectés l'équité et les droits fondamentaux de ceux qu'elle a décidé d'isoler. Telles sont les exigences auxquelles obéissait notre texte. Il est à cet égard important de souligner que ce n'est pas un contrôle des lieux de privation de liberté que nous avons institué, mais bien un contrôleur. Conférer cette autorité à un homme – ou à une femme – contribue à l'humanisation des conditions de vie dans ces lieux d'enfermement.
En faisant entrer un regard extérieur dans un univers par nature isolé et en garantissant l'indépendance de ce regard, il s'agissait pour nous de prévenir d'éventuels abus. Oui, les lieux de privation de liberté sont, par nature, des lieux de violence, où s'exerce une coercition légitime, institutionnelle, qui doit néanmoins respecter certaines règles et le Contrôleur général a pour tâche de s'en assurer. Mais il existe aussi une violence non légitime entre les personnes privées de liberté ; c'est pourquoi il était – et demeure – impératif que soit levée la suspicion sur les conditions dans lesquelles ces personnes sont traitées. La loi de 2007 a donc permis un progrès sans précédent de l'État de droit, qui aurait tout à redouter du soupçon d'opacité auquel l'absence de contrôle exposerait le fonctionnement de ses institutions.
C'est à juste titre que nous n'avions pas souhaité limiter le champ de ce contrôle aux seuls établissements pénitentiaires, car la sanction pénale n'est pas la seule cause de privation de liberté : l'on peut également retenir quelqu'un contre sa volonté pour le protéger de lui-même et d'une fragilité qui le mettrait en danger à l'extérieur. Ainsi le législateur a étendu le champ de compétence du Contrôleur général à l'ensemble des lieux susceptibles d'accueillir des personnes privées de liberté par décision d'une autorité publique : des locaux de garde à vue jusqu'aux secteurs psychiatriques des établissements hospitaliers, en passant par les zones d'attente des aéroports et les centres de rétention administrative. Ces lieux qui n'ont pas les mêmes raisons d'être ont pourtant en commun d'être soumis à une exigence essentielle, à savoir celle d'y faire respecter la dignité humaine. Albert Camus a dit : « une société se juge à l'état de ses prisons » ; nous étions parvenus à étendre son constat éclairé à l'ensemble des lieux de privation de liberté.
Ce sont les raisons pour lesquelles nous nous félicitons tous de la loi du 30 octobre 2007 qui a institué cette fonction de Contrôleur général – bien que nous nous souvenions aussi des réserves émises à l'époque par le groupe SRC : celui-ci s'était abstenu lors du vote de ce texte, dans lequel il voyait un « objet juridique non identifié », source de confusion ; il avait regretté la création d'une énième autorité administrative indépendante, M. Jean-Jacques Urvoas déclarant qu'une « multiplication inconsidérée de tels démembrements de l'État [risquait] à terme de discréditer celui-ci ». L'opposition socialiste considérait alors que le Médiateur de la République pouvait parfaitement se voir confier les missions que notre projet attribuait au Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Certains parlementaires de gauche, telle Mme Alima Boumediene-Thiery, allaient même jusqu'à dénoncer « un projet en trompe-l'oeil », le préavis de visite revenant selon eux à « donner aux chefs d'établissement la possibilité de camoufler leurs propres carences et leurs propres négligences ».
Quoi qu'il en soit, je suis heureux de l'approbation unanime que recueille aujourd'hui cette fonction de Contrôleur général et il serait irresponsable de faire voler en éclats le consensus qui prévaut désormais sur le sujet !
Alors oui, au terme de cinq ans et demi d'application, il apparaît que la loi de 2007 peut encore être améliorée. Il convient d'abord de sanctionner les pressions dont peuvent être victimes les interlocuteurs du Contrôleur général. En effet, les représailles ne s'exercent pas seulement à l'encontre des personnes détenues : les personnels des lieux de privation de liberté peuvent eux-mêmes en être la cible de la part de leur hiérarchie. Nous sommes donc favorables aux mesures susceptibles de libérer leur parole.
De même, il apparaît nécessaire de consolider l'autorisation donnée aux collaborateurs du Contrôleur général de mener leurs enquêtes au nom de ce dernier, et de leur faciliter l'accès aux interlocuteurs comme aux documents nécessaires.
La plupart des dispositions de cette proposition de loi me semblent donc opportunes.
Cependant, plusieurs interrogations demeurent. Tout d'abord, j'estime qu'il n'est pas pertinent d'étendre le contrôle exercé par le Contrôleur général à l'exécution des mesures d'éloignement prononcées à l'encontre d'étrangers en situation irrégulière jusqu'à leur remise aux autorités de l'État de destination. En effet, une telle disposition me semble excéder la portée de la directive européenne censée la justifier, notamment s'agissant des ressortissants de l'Union européenne et ce, d'autant que le Contrôleur général peut déjà contrôler les zones d'attente et les centres de rétention administrative. De plus, les personnes concernées par les procédures d'éloignement peuvent déjà bénéficier de prescriptions médicales prohibant le voyage en avion pour des raisons de santé. Enfin, ces mêmes personnes ne passent que quelques minutes dans l'espace aérien français avant de rejoindre l'espace aérien international, ce qui pose la question de la pertinence territoriale du contrôle comme l'a relevé Philippe Goujon. Mme la rapporteure a elle-même souligné les difficultés pratiques d'application d'un tel dispositif et le manque de moyens financiers et humains dont s'est plaint le Contrôleur général ne peut que renforcer ce diagnostic. C'est la raison pour laquelle je défendrai un amendement supprimant un dispositif dont l'effectivité ne peut raisonnablement être garantie.
Notre seconde réserve porte sur la publication obligatoire des avis, recommandations et propositions du Contrôleur général, ainsi que sur la proposition de lui donner accès aux procès-verbaux de garde à vue, à l'exception du contenu des auditions. Je partage sur ce dernier point aussi le sentiment de mon collègue Philippe Goujon : une telle disposition est de nature à aggraver le formalisme au détriment de l'enquête. S'agissant du premier point, je relève que le Contrôleur général a déjà la faculté de publier ses avis et l'utilise d'ailleurs systématiquement. Rendre cette pratique obligatoire introduirait une rigidité excessive.
J'espère que nos réserves seront entendues et que le bon sens primera sur les calculs partisans. Il va de soi que si nos amendements étaient adoptés, nous voterions ce texte.