Intervention de Claude Turmes

Réunion du 30 janvier 2014 à 10h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Claude Turmes, député européen :

Je vous remercie, monsieur le président, de m'avoir invité. Je précise que j'ai été rapporteur sur la directive relative à l'efficacité énergétique, mais également sur le marché européen de l'électricité et la directive relative aux énergies renouvelables. J'espère pouvoir vous convaincre qu'il existe bien une politique énergétique de l'Union européenne et que celle-ci est cohérente, notamment avec les objectifs fixés par votre Président de la République.

Aujourd'hui, le marché carbone et le marché de l'électricité de gros ne fonctionnent pas. C'est donc sur ces points que je vais vous faire part de l'analyse de mes collègues du Parlement européen.

Pourquoi nous sommes-nous engagés dans la transition énergétique ? Pour faire face au changement climatique, certes, mais également pour réduire la dépendance géopolitique et l'énorme dette énergétique de l'Union européenne. Le déficit de la balance commerciale de la France est ainsi dû pour 90 % aux importations d'énergie, et celui de l'Union européenne pour 80 %.

L'Union européenne a importé l'année dernière pour 500 milliards d'euros de gaz, de charbon et de pétrole, soit près de 4 % de son produit brut. Cette manne permet à M. Poutine d'acheter l'Ukraine, ou tout au moins les oligarques russes et une partie du gouvernement ukrainien. En important des énergies fossiles, nous affaiblissons l'Europe sur les plans géopolitique et économique.

Pourtant, l'Europe détient le leadership technologique en matière de réseaux intelligents et d'énergies renouvelables. Schneider est ainsi l'un des meilleurs du monde en matière d'efficacité énergétique – et même les écologistes de Bruxelles reconnaissent le savoir-faire d'Areva et de quelques acteurs du nucléaire français.

Si le débat sur l'électricité est aussi passionné depuis quelques années, c'est que nous sommes à la fin d'un cycle d'investissements : les deux tiers du parc de production européen doivent être remplacés d'ici à 2025-2030. En outre, la Commission européenne nous a fait savoir que la modernisation des lignes à haute tension et des réseaux de distribution nécessiterait quelque 200 milliards d'euros.

Le marché actuel, avec une surcapacité en base et un manque de production flexible, permettra-t-il de gérer cette situation ? Je ne le crois pas et cette complexité fait apparaître les contradictions du groupe Magritte et de GDF Suez.

Si l'industrie du charbon se porte bien, à l'inverse de celle du gaz, c'est que le marché carbone européen s'est effondré. En 2008, le prix d'un certificat d'émission de CO2 se situait aux alentours de 30 euros. À l'époque, le charbon lignite était très bon marché, mais les industries de hard coal ne tournaient pas car elles étaient remplacées par les industries du gaz, moins intensives en CO2 et donc moins pénalisées par le prix du certificat.

Depuis, le prix du carbone s'est effondré, ce que certains attribuent au développement des énergies renouvelables. En réalité, l'effondrement du marché est dû au surplus de certificats, estimé à 2,6 milliards, ce qui correspond à 7 % des émissions européennes. Sur ces 2,6 milliards, 40 millions seulement correspondent aux énergies renouvelables, soit une part légèrement plus élevée que ce qui était prévu dans la modélisation.

Quant à la crise, on lui doit une baisse de 600 millions de quotas. Elle n'est donc que très partiellement responsable de l'effondrement du prix du CO2.

Le reste est dû aux crédits internationaux. En 2012, les grands industriels intensifs et les électriciens ont acheté, en Chine et ailleurs, un milliard de certificats d'émissions de CO2 d'une valeur de 0,30 centime d'euro. En 2012, le système a été totalement submergé de certificats, ce qui a causé la mort du marché carbone. Après la décision prise la semaine dernière à Bruxelles de laisser 7 % des émissions dans le système, il est très probable que, d'ici à 2025, le prix du carbone restera extrêmement bas, ce qui signifie que les unités de production de charbon tourneront à plein régime et que le gaz sera hors jeu.

Cette décision prise à Bruxelles ne va pas dans le bon sens. Il n'existe qu'une solution pour financer l'efficacité énergétique, c'est que la France et l'Allemagne décident, comme l'ont fait les Anglais, d'instaurer un prix plancher du carbone. Cela permettra de gagner de l'argent et de financer ainsi l'efficacité énergétique.

En outre, les subventions aux énergies renouvelables dépendent du différentiel entre leur coût de production et le prix du marché. En Allemagne, en 2008, le différentiel entre l'éolien et le prix du marché était faible – de 90 à 60 euros. Aujourd'hui le prix de l'éolien est inférieur à 40 euros, mais le différentiel a augmenté. Relever le prix du carbone résoudra le problème de l'opposition entre charbon et gaz, apportera des revenus à l'État et affaiblira la distorsion de concurrence entre le charbon et les énergies renouvelables.

Ne nous leurrons pas : si le charbon ne paie pas la pollution qu'il génère – et à 10 euros par tonne, il ne la paie pas – l'éolien, le solaire et le nucléaire ne pourront jamais le concurrencer.

C'est la première des urgences. Je sais que l'entourage de François Hollande travaille sur cette question ; j'espère qu'une solution sera trouvée sous peu.

J'en viens aux prix de l'énergie.

Les industries du gaz et l'industrie chimique sont aujourd'hui confrontées à la shale gas revolution, ou plutôt, comme le considèrent certains, à la bulle du gaz de schiste qui a entraîné une baisse du prix du gaz aux États-Unis, ce qui incite les industriels chimiques à s'y implanter. Cela étant, depuis 2008, le prix du gaz en Europe a augmenté beaucoup plus qu'il n'a diminué aux États-Unis. C'est dû au fait que les contrats européens de gaz sont indexés sur le pétrole. Les contrats avec Gazprom, par exemple, stipulent qu'en cas d'augmentation du prix du pétrole, le prix de la fourniture de gaz est plus élevé.

Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), a relevé il y a plus d'un an que deux tiers des contrats à long terme passés entre l'Union européenne et ses fournisseurs pour la fourniture de gaz seraient renégociés au cours des six à huit prochaines années. Voilà une occasion en or de casser un mécanisme qui avait du sens dans les années 1970 mais n'en a plus aucun aujourd'hui. Combiner des infrastructures européennes de pipe-line de gaz, un marché de gaz liquide et une volonté politique de supprimer l'indexation sur le pétrole : voilà ce qui, à terme, permettrait au gaz de revenir dans le jeu.

Les objectifs de l'Union européenne pour 2020, le fameux « 202020 », sont en accord avec ceux de l'Allemagne, à savoir réduire les gaz à effet de serre de 40 %, porter la part des énergies renouvelables à 18 %, réaliser 20 % d'efficacité énergétique et abaisser la part du nucléaire de 22 % à zéro.

Les objectifs de la France sont du même ordre : 30 % de réduction des gaz à effet de serre, 20 % d'efficacité énergétique, 23 % d'énergies renouvelables – car votre pays avait pris de l'avance en investissant dans l'hydroélectricité – et diminution de la part du nucléaire de 75 à 50 %, comme le Président Hollande en émis le souhait. La France suit donc la même trajectoire que l'Allemagne, l'Espagne et le Portugal : elle augmente la part des énergies renouvelables, renforce l'efficacité énergétique et abandonne en partie de vieux outils que, de toute façon, il faudra remplacer.

Lorsque nous avons élaboré le paquet énergie-climat, nous pensions qu'il permettrait de fermer les industries du charbon, mais la défaillance du marché carbone entraîne la fermeture de nombreuses unités de production de gaz. Il faut donc corriger cette défaillance.

Pour aider le marché, il faut limiter l'offre, donc fermer les vieilles centrales. L'Allemagne devrait ainsi fermer six à huit centrales à charbon dont elle n'a plus besoin. La France, suivant le scénario voulu par M. Hollande de diminuer la part du nucléaire, pourrait elle aussi fermer un certain nombre de centrales nucléaires. Cela rassurerait les Luxembourgeois. Je rappelle à cet égard qu'André-Claude Lacoste indiquait dans un récent rapport que si des problèmes survenaient dans un réacteur situé près de la frontière, les procès intentés à l'encontre de la France auraient des retombées financières gigantesques. Le choix des centrales que vous déciderez de fermer fera l'objet de discussions entre vous. N'oubliez pas que les populations du Bade-Wurtemberg portent un regard différent sur la centrale de Fessenheim que celui que vous portez à Paris…

Enfin, si les marchés français et allemand de l'électricité n'existent plus, le marché européen de l'électricité n'existe pas encore, quant à lui. Le marché réel de l'électricité est le marché pentalatéral, créé en 2005 pour des raisons politiques entre la France, l'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, rejoints ensuite par le Danemark, l'Autriche et la Suisse. C'est lui qui offre à nos pays la possibilité d'entreprendre des projets communs, notamment l'implantation d'éoliennes en mer. Je souhaite vivement que soit mis en place un régime commun d'éolien en mer entre les pays de la Mer du Nord. Une concurrence entre la Belgique et la France n'aurait pas de sens. Les marchés de capacité nationaux ont des effets pervers. GDF Suez ne saura pas si elle doit situer son nouvel outil à Strasbourg ou de l'autre côté de la frontière : cela n'a aucune importance dans le marché pentalatéral de l'électricité.

Je souligne à cet égard l'incohérence dont fait preuve GDF Suez en demandant la fin des subventions pour les énergies renouvelables tout en voulant les conserver pour les unités de production d'énergies fossiles. Toute aussi incohérente est l'alliance contre nature qu'elle a noué avec le lobby constitué par RWE et Vattenfall qui gagnent beaucoup d'argent grâce au charbon et veulent tuer le back loading. Cette alliance est une énorme contradiction et a pour premier objectif d'empêcher que l'Union européenne mène une politique forte en matière d'énergies renouvelables à l'horizon 2030.

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