Intervention de Stephen Thomas

Réunion du 23 janvier 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Stephen Thomas, professeur en études énergétiques à l'université de Greenwich :

Une récente enquête a montré que les Britanniques accordaient aux fournisseurs d'électricité moins de confiance encore qu'à ces banques qu'il a fallu sauver à coups de milliards ! Pour ma part, je ne le cache pas, je vois d'un oeil très critique l'accord dont il est ici question. Ce n'est pas que je m'oppose par principe à l'énergie nucléaire, mais ses aspects économiques m'apparaissent défaillants. Il s'agit d'un accord à haut risque, non seulement pour les consommateurs et les contribuables britanniques, mais également pour EDF.

Les médias se sont fait l'écho du prix très élevé de l'électricité que nous devrons payer : près de deux fois le prix de gros actuel. Cet accord a été conclu pour 9,6 milliards d'euros par réacteur. Un mois auparavant, le prix n'était que de 8,4 milliards d'euros et, il y a cinq ou six ans, quand le ministère a publié le Livre blanc sur le nucléaire, il était admis qu'on pouvait construire un EPR pour 2,4 milliards d'euros. En six ans, le prix du réacteur a donc été multiplié par quatre, avant même que ne débute sa construction ! Le prix des réacteurs de Hinkley Point est supérieur au coût estimé de ceux des centrales de Flamanville ou d'Olkiluoto en Finlande. Nous allons devoir payer pour les deux réacteurs de Hinkley Point plus que ce qu'on coûté deux réacteurs sur lesquels pratiquement tout ce qui pouvait aller de travers est effectivement arrivé. C'est donc une facture particulièrement élevée.

Le risque qui pèse sur les contribuables vient des garanties : deux tiers du coût estimé de la construction de la centrale devant être couverts par un emprunt, 12 milliards d'euros ont été engagés par le Trésor britannique. Si les choses se passent mal, si le consortium fait faillite, c'est le contribuable britannique qui devra payer cette note de 12 milliards d'euros.

En outre, le contrat nous lie jusqu'en 2058 – si toutefois il est réalisé dans les délais et entre en service vers 2023. N'est-il pas extraordinaire de s'engager pour quarante-quatre ans sans prévoir une possibilité de révision des prix ? Si l'on se reporte quarante-quatre ans en arrière, dans les années soixante-dix, on voit que la perception du marché de l'énergie était bien différente : le pétrole et le gaz étaient bon marché et paraissaient inépuisables, personne n'imaginait que le changement climatique s'imposerait comme un problème majeur et, si quelqu'un avait annoncé qu'on aurait bientôt recours à l'énergie éolienne pour produire de l'électricité, on l'aurait pris pour un prophète de malheur prédisant le retour au Moyen Âge !

Pour prendre conscience du risque que court EDF, il convient de revenir sur l'EPR. Les choses se passent très mal à Olkiluoto et à Flamanville. Elles semblent aller mieux en Chine, mais il est difficile de savoir exactement ce qu'il en est, en raison d'une certaine opacité de la société chinoise. Il ne s'agit pas d'un échec isolé : certaines centrales en France – Civaux et Chooz B – ont posé d'énormes problèmes et, du début de la construction jusqu'à la mise en service industriel, il a fallu de onze à quinze ans. Peut-être saura-t-on tirer les leçons de ces expériences et peut-être que tout se passera bien pour la centrale de Hinkley Point C, mais, pour le moment, il ne peut s'agir que d'un pari hasardeux.

Alors que la centrale doit être construite par le consortium NNB Generation Company, les Britanniques ont le sentiment qu'EDF en est seule responsable ; si le projet tournait mal, si ce qui s'est passé à Olkiluoto et à Flamanville se répétait – ce qui est très vraisemblable –, il se pourrait que NNB GenCo fasse faillite, que le consortium s'effondre et qu'EDF se retrouve seule à en assumer les conséquences. Cet accord comporte donc de nombreux risques pour les deux parties.

Il n'est du reste pas complètement conclu, puisqu'il doit être encore validé par la Commission européenne qui déterminera si les aides publiques ne sont pas exagérées. Onze États membres de l'Union européenne ayant indiqué qu'il s'agirait peut-être d'un modèle pour eux, la Commission se doit d'éplucher le dossier, ce qui prendra du temps : un an, peut-être deux. Si elle rejetait l'accord ou imposait de nouvelles conditions – par exemple une réduction à 20 ou 25 ans de la durée du mécanisme de prix garanti –, le projet pourrait ne plus être financé comme prévu ou les coûts pourraient exploser. Rien n'est donc acquis quant à une éventuelle poursuite du projet.

Enfin, ce qui est le plus critiquable est le coût d'opportunité de cet accord. Il est si onéreux qu'il sera probablement le seul contrat de ce type pour le nucléaire au Royaume-Uni ; il interdira toute autre politique de l'énergie pendant plusieurs années. Nous n'avons pas les moyens de tout développer en même temps et nous risquons de négliger d'autres énergies à faibles émissions de carbone.

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