Intervention de Stephen Thomas

Réunion du 23 janvier 2014 à 11h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Stephen Thomas, professeur en études énergétiques à l'université de Greenwich :

Les déclarations sur la durée de vie de nos réacteurs nucléaires sont quelque peu trompeuses : on prétend que sept centrales sur huit seront arrêtées d'ici à 2023. Ce n'est pas vrai. Ce qui est le plus vraisemblable est que les deux plus vieux réacteurs AGR seront arrêtés en 2023, après quarante-sept ans de service. Il est difficile d'établir des comparaisons avec les centrales à eau pressurisée, car les technologies française et britannique sont très différentes et les paramètres qui déterminent la durée de vie des centrales ne sont pas les mêmes : les différences s'expliquent, me semble-t-il – je ne suis pas expert en la matière –, par la présence ou l'absence de modérateur graphite.

M. Cadoux-Hudson estime la durée de vie moyenne d'une centrale à quarante-deux ans. Deux seraient par conséquent arrêtées en 2023, trois en 2027 et deux autres en 2031. Le réacteur le plus récent, à eau pressurisée, serait, lui, arrêté en 2037, ou 2057 s'il tient soixante ans. Le déclin de la capacité nucléaire est donc beaucoup plus progressif que ce l'on veut bien nous faire croire. L'urgence n'est pas telle qu'on nous la présente.

Selon une idée reçue, la courbe du coût des technologies en général et de l'industrie nucléaire en particulier serait orientée à la baisse sur le long terme – phénomène qui ne s'est jamais vérifié pour l'industrie nucléaire au cours des soixante dernières années. Ainsi la dernière centrale construite en France a-t-elle coûté beaucoup plus cher que la première, malgré les économies d'échelle et les progrès technologiques. Cela ne signifie pas que le prix ne finira pas par baisser un jour, mais certains facteurs n'incitent pas à le croire, surtout si l'on se réfère à la catastrophe de Fukushima qui a rebattu toutes les cartes. Tous les enseignements de la catastrophe de Tchernobyl n'ont pas été tirés dans la conception des réacteurs qui sont sur le point d'être lancés et il faudra donc un certain temps pour intégrer les leçons de Fukushima. Il paraît donc improbable que les coûts diminuent.

L'échec total du programme de Hinkley Point C n'entraînerait pas la faillite d'EDF, qui est un groupe solide, mais il aurait une incidence très négative sur son image. Il y a cinq ans, EDF projetait de devenir le fournisseur d'énergie nucléaire du monde entier avec cinq marchés cibles : l'Italie et les États-Unis – deux pays où ce marché a disparu –, l'Afrique du Sud et l'Inde – qui restent une perspective très distante –, et le Royaume-Uni. Si ces derniers marchés cibles devaient disparaître, la réputation d'EDF serait gravement compromise. De même, si la centrale de Hinkley Point C n'est pas construite dans les délais et les limites budgétaires prévus, la notation du groupe en serait affectée et il lui serait plus difficile de lever des fonds.

On ne peut parler du coût de l'énergie nucléaire sans tenir compte des deux paramètres essentiels que sont le coût de construction et le coût du capital. Si le coût d'endettement est faible pour le projet de Hinkley Point C, c'est parce que les garanties couvrent l'intégralité de l'emprunt : en raison de la garantie publique, les prêts accordés par les banques au projet seront équivalents à des prêts au gouvernement britannique, dont la signature est excellente, ce qui permet de réduire le taux d'intérêt. Mais, sans ces garanties, le coût de l'énergie de Hinkley Point C serait bien plus élevé et atteindrait sans doute les niveaux de l'éolien en mer.

Quant aux projets d'élimination des déchets hautement irradiés nous ne prévoyons pas de prendre de décisions ou de chercher des sites avant une cinquantaine d'années. Ce que nous avons à gérer, à plus brève échéance, est un vaste stock de plutonium ; sur ce sujet, le débat est loin d'être clos quant à ce qu'il convient de faire des 116 tonnes de plutonium qui ont été séparées. Trois possibilités s'offrent à nous. En mélangeant ce plutonium avec de l'uranium pour obtenir du MOX, on peut l'utiliser comme combustible dans les réacteurs à eau pressurisée, mais je ne crois pas qu'EDF ait donné son accord ; il faut rappeler que le Royaume-Uni a construit une usine de production de MOX qui n'a guère fonctionné, ne produisant, en dix ans, que 4 tonnes de ce combustible au lieu des cent tonnes qui étaient escomptées chaque année. On peut ensuite construire un ou deux petits réacteurs destinés à brûler le plutonium. Une option consisterait à mettre au point et construire un réacteur à neutrons rapides d'un type totalement nouveau ; l'autre option consisterait à adapter les technologies à eau lourde canadiennes.

Il paraît assez injuste de dire que l'Allemagne utilise beaucoup plus de charbon parce qu'elle a décidé d'avoir recours aux énergies renouvelables, sans souligner que le Royaume-Uni en utilise également davantage parce qu'il a choisi la voie du nucléaire. N'ayons pas la vue courte : on ne passe pas d'une situation à l'autre du jour au lendemain. Peut-être sera-t-il nécessaire ou économique d'utiliser davantage de charbon dans un premier temps, mais il convient de se projeter dans une dizaine d'années pour évaluer le succès de la transition.

La question de savoir quelles sont les solutions de rechange à l'énergie nucléaire suppose a priori que le nucléaire est une solution ; or je n'en suis pas du tout convaincu, compte tenu des coûts et des risques. Du reste, il n'est pas exclu que toute l'industrie nucléaire soit remise en question si le projet dont nous parlons échouait. Nous devons avant tout rechercher l'efficacité énergétique, et une entreprise britannique, Npower, filiale de RWE en Allemagne, a déclaré hier que, si les factures d'électricité sont aussi élevées au Royaume-Uni, c'est à cause d'un gaspillage considérable. La qualité du bâti, de l'isolation thermique, des chaudières est mauvaise. Nous pourrions préserver notre confort tout en consommant moins d'électricité grâce à des appareils électroménagers moins gourmands.

M. Cadoux-Hudson a souligné le coût élevé de l'énergie produite par les éoliennes offshore ; c'est qu'on ne leur offre pas les mêmes conditions qu'au nucléaire, avec des contrats à trente cinq ans et des garanties d'emprunt… Je me demande si, toutes choses égales par ailleurs, la différence de coût serait aussi importante entre les deux sources d'énergie. J'ajoute que, contrairement au nucléaire, la courbe du coût de l'éolien connaît une véritable inflexion.

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