Intervention de Manuel Baritaud

Réunion du 30 janvier 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Manuel Baritaud, analyste senior « électricité » de l'Agence internationale de l'énergie :

Je suis ravi d'avoir l'opportunité de vous présenter les travaux de l'AIE en matière de sécurité de fourniture électrique. Le principal objectif de l'agence est de traiter des problèmes de sécurité énergétique ; commençant par le pétrole, les pays membres de l'AIE ont progressivement étendu ses travaux à d'autres aspects de la question – notamment, depuis deux ans, à l'électricité. Je suis chargé des recherches dans ce domaine.

L'AIE étant une émanation de l'OCDE, ses pays membres sont les principaux pays riches de la planète, dotés de marchés de l'électricité libéralisés et développant des politiques en matière de déploiement des énergies renouvelables. Nous analysons l'impact de ce déploiement sur le fonctionnement des marchés de l'électricité et sur leur capacité à assurer la sécurité d'approvisionnement – question fondamentale dans nos sociétés développées où toute l'économie en dépend. Lors de la dernière réunion ministérielle de l'AIE – rendez-vous qui rassemble la quasi-totalité des ministres de l'énergie des pays membres –, en novembre 2013, nous avons publié un résumé de nos travaux depuis deux ans, dont je vous présenterai les principales conclusions.

Dans les prochaines années, le secteur électrique des pays membres de l'AIE sera confronté à trois principaux défis : le vieillissement des infrastructures électriques – centrales et réseaux ; le déploiement des énergies renouvelables variables qui changeront le fonctionnement des marchés ; et enfin l'adaptation au changement climatique et la résilience des systèmes électriques.

Dans les pays de l'OCDE, plus de la moitié de la capacité nucléaire et charbon aujourd'hui en exploitation a plus de trente ans ; 20 % a plus de quarante ans. D'ici à 2035, les nouvelles centrales – à charbon, à gaz ou à l'énergie nucléaire – qui seront construites dans les pays de l'OCDE ne feront que remplacer celles qui seront arrêtées. Seules les nouvelles centrales à énergie renouvelable augmenteront les capacités installées. Ces projections valent pour les États-Unis comme pour l'Union européenne ; en revanche, dans les pays tels que la Chine, en raison de la forte croissance de la consommation d'électricité, on installera des capacités renouvelables, mais également nucléaires et fossiles.

L'introduction des capacités renouvelables – le solaire et l'éolien – dans le système électrique change le fonctionnement de ce dernier dans la mesure où ces installations produisent de l'électricité de façon variable. Dans les pays comme l'Allemagne, où les capacités installées sont d'ores et déjà importantes, on observe des pics de production solaire pendant la journée et une production éolienne fluctuante. L'énergie électrique pouvant difficilement être stockée, le déploiement des renouvelables changera, dans les prochaines décennies, la dynamique des marchés électriques et les besoins d'investissement. En effet, il faudra disposer de suffisamment de capacités de production installées pour faire face aux situations où le vent et le soleil feront défaut – comme au moment de la pointe de consommation électrique qui, en France, se situe en hiver et la nuit. Cet élément apparaît essentiel dans la dynamique de remplacement des infrastructures vieillissantes.

Le dernier défi auquel sont confrontés les systèmes électriques renvoie à la question de la résilience et de l'adaptation au changement climatique. On a tous en tête les images de l'ouragan Sandy qui a plongé la moitié de Manhattan dans le noir ; or les épisodes de ce type, affectant le fonctionnement des réseaux, sont appelés à devenir de plus en plus fréquents. De manière générale, le système électrique sera de plus en plus exposé aux aléas climatiques, tant dans le cas de la production solaire et éolienne que dans celui des installations plus classiques, les éléments climatiques extrêmes risquant de créer des coupures sur le réseau de distribution.

À côté de la sécurité d'approvisionnement et de la soutenabilité du système électrique, le troisième pilier de la politique énergétique est celui de l'efficacité et de la compétitivité. Les travaux comparatifs que l'AIE a menés l'année dernière montrent que le prix de l'électricité est bien plus bas aux États-Unis qu'en Europe, en raison d'un prix du gaz quatre fois plus faible et de l'absence de tarification du CO2. Les prix sont encore inférieurs en Chine. Cet aspect doit également être pris en compte quand on réfléchit aux arbitrages à faire en matière d'évolution du mix électrique.

Les travaux de l'AIE sur cette question explorent quatre principales activités, liées les unes aux autres. Ainsi, nous avons interrogé l'aptitude des marchés électriques à délivrer de bons signaux pour impulser l'investissement dans de nouvelles capacités de production et assurer une exploitation efficace des capacités existantes. La même question s'est imposée à propos des réseaux. Nous avons également étudié le problème – de plus en plus important – de la réponse de la demande d'électricité et celui de l'intégration régionale – et notamment européenne – des marchés électriques. Au centre de tous ces travaux se trouve la question de la préparation aux situations d'urgence, le système devant pouvoir faire face aux coupures d'électricité.

Voici, parmi nos conclusions, celles qui me semblent les plus pertinentes dans le cadre des travaux de votre commission d'enquête. D'abord, les gouvernements des pays membres de l'AIE doivent fournir plus de certitudes concernant leur politique environnementale. Pour bien fonctionner, les marchés de l'électricité doivent connaître les perspectives de déploiement tant des énergies renouvelables que des capacités nucléaires. En effet, les décisions d'investissement s'appuient sur les prévisions d'évolution du marché à l'horizon de dix, quinze ou vingt ans, et les opérateurs ont besoin de disposer d'informations sûres en cette matière.

Il est également très important de disposer de bons signaux-prix sur les marchés électriques. Ainsi, pendant les périodes de rareté, lorsque les marges du système électrique sont faibles, les prix de l'électricité doivent correctement refléter cette situation de tension. Il faut également que les marchés rémunèrent à sa juste mesure la flexibilité – nécessaire pour faire face à la variabilité et au relatif manque de prévisibilité des énergies renouvelables.

Les pouvoirs publics doivent clarifier le cadre réglementaire relatif à la sécurité de l'alimentation électrique. En France, le principe devant guider les investissements dans les moyens de production est celui du maintien du risque de défaillance du réseau en dessous de trois heures par an ou de trente heures tous les dix ans ; mais tous les pays membres de l'AIE ne disposent pas de ce type de critères, qui doivent rester cohérents avec les conditions économiques du secteur électrique. Il est enfin important que ce cadre réglementaire soit correctement reflété dans les signaux-prix sur les marchés.

L'introduction de mécanismes de capacité doit pouvoir être envisagée lorsque le bilan prévisionnel réalisé par les gestionnaires de systèmes électriques fait apparaître des déséquilibres à terme entre l'offre et la demande. La France fait partie des pays qui avancent actuellement dans le processus d'introduction d'un marché des capacités.

Enfin, nous conseillons d'améliorer l'intégration géographique des marchés de l'électricité. Si l'on veut introduire dans le système électrique une part croissante de renouvelables variables, alors ces marchés doivent être suffisamment dynamiques et flexibles pour permettre des échanges d'électricité entre pays, susceptibles de pallier la variabilité du solaire et de l'éolien. Plusieurs pays membres de l'AIE ont oeuvré en ce sens ; pour aller plus loin, il est nécessaire de mieux coordonner les activités des gestionnaires de réseaux électriques grâce à l'harmonisation du cadre réglementaire en matière de sécurité d'approvisionnement. À défaut, les coûts de la transition énergétique risquent de s'avérer trop élevés, pesant sur la compétitivité des économies. Il faut donc absolument travailler sur ce sujet pour continuer à développer les énergies bas carbone de façon efficace.

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