Intervention de Manuel Baritaud

Réunion du 30 janvier 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Manuel Baritaud, analyste senior « électricité » de l'Agence internationale de l'énergie :

En matière de résilience des installations nucléaires, EDF est en effet obligée, lors des périodes de sécheresse, de baisser le niveau de production des centrales pour des questions de température de rejet. Ce phénomène bien réel affecte les bilans prévisionnels réalisés par les gestionnaires de réseaux – en France, Réseau de transport d'électricité (RTE) –, qui livrent une estimation de nature probabiliste de la disponibilité du parc nucléaire et plus généralement de la sécurité de fourniture électrique. Ces projections peuvent difficilement se fonder sur des données historiques car on anticipe une multiplication des événements climatiques extrêmes dans les années à venir. Mais la question de l'impact du changement climatique sur l'infrastructure énergétique me paraît bien analysée à ce stade, y compris par l'AIE.

Si l'absence d'une tarification du carbone – et de tout projet de ce type – explique en partie le faible prix de l'électricité aux États-Unis, ce phénomène apparaît secondaire tant le prix du carbone reste faible en Europe. La principale différence vient plutôt du prix du gaz, quatre fois plus faible aux États-Unis. N'étant pas spécialiste de la question, je ne saurais vous dire comment le prix de cet hydrocarbure peut évoluer en Europe, en particulier si l'on y autorise l'exploitation des gaz de schiste. Il est toutefois certain que le marché européen du gaz est affecté à la fois par les dynamiques du marché américain – notamment via l'impact du gaz naturel liquéfié (GNL) – et par celles du secteur électrique, marqué par la forte décroissance de la demande de gaz pour la production d'électricité en Europe.

Selon l'AIE, si l'efficacité énergétique des bâtiments constitue une priorité dans la lutte contre le changement climatique et pour la réduction des émissions de CO2, son impact sur la pointe électrique reste limité. Cela dit, dans les scénarios envisagés par l'agence, la part des différentes énergies bas carbone est appelée à augmenter ou à se maintenir. Ainsi, le nucléaire fait partie du mix électrique que l'on prévoit pour 2035 ou 2050, dans des proportions comparables à aujourd'hui, voire supérieures dans des scénarios ambitieux de décarbonisation du mix, compatibles avec une trajectoire de stabilisation des émissions de CO2 et de réchauffement climatique inférieur à 2°C.

Il apparaît délicat de comparer, comme vous le faites, la variabilité des énergies renouvelables avec les arrêts de centrales nucléaires, ces phénomènes étant de nature différente. L'arrêt d'une centrale concerne une tranche parmi une multitude d'autres – problème que le système électrique sait gérer depuis des dizaines d'années. La variabilité du solaire et de l'éolien affecte, en revanche, de grandes zones géographiques aux conditions climatiques corrélées, où l'on a du vent et du soleil en même temps. L'impact et les implications de ces différentes variabilités sont donc incomparables. De plus, les prévisions de production photovoltaïque et éolienne sont relativement peu fiables deux, voire un jour avant le temps réel ; leur qualité s'améliore au fur et à mesure pour devenir relativement bonne à trois heures du moment effectif de production. Le système électrique comme les marchés de l'électricité doivent s'adapter à ce phénomène en devenant plus dynamiques.

Le processus d'intégration des marchés électriques européens a d'ores et déjà amené énormément de bénéfices. Ainsi, il a amélioré la sécurité d'approvisionnement et de fourniture électrique en permettant à chaque pays de pouvoir compter sur les voisins pour assurer l'exploitation du système. Les échanges commerciaux d'électricité depuis vingt ans ont pratiquement doublé en valeur absolue, ce qui montre bien que les acteurs y trouvent un intérêt. Ces échanges permettent d'assurer une meilleure utilisation du parc en favorisant l'emploi prioritaire des ressources les moins chères. L'approche européenne d'intégration des marchés consiste à procéder par étapes ; cependant, malgré l'adoption de trois paquets de directives relatives à l'électricité, le marché européen semble avoir encore du chemin à faire pour devenir parfaitement intégré et concurrentiel. Pour le rendre plus efficace, il faudrait non seulement renforcer les interconnexions internationales, mais également travailler sur l'harmonisation de la réglementation de la sûreté électrique au niveau européen, de façon à améliorer la coordination entre gestionnaires de réseaux lorsqu'on s'approche du temps réel – seule façon d'intégrer efficacement la variabilité des énergies renouvelables dans les échanges internationaux.

S'agissant des mécanismes de capacité, je ne crois pas me souvenir de décisions récentes de construction de nouvelles centrales, les installations en préparation correspondant aux choix faits il y a plusieurs années, au moment de l'introduction du système d'échange de quotas d'émission de CO2 en Europe. Bien conçus, les mécanismes de capacité ne favorisent pas une technologie au détriment d'une autre, se contentant d'ajuster la réponse de la demande. Il est donc important qu'ils soient neutres d'un point de vue technologique afin de permettre à l'ensemble des procédés de contribuer à assurer l'adéquation du système électrique.

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