Le problème de la sous-traitance et de la maintenance pendant les arrêts de tranche n'est pas nouveau, mais il est monté en puissance au cours des années quatre-vingt-dix, et se posera de manière plus aiguë encore dans les prochaines années, lors du grand carénage programmé par EDF.
La maintenance est facteur de sûreté, puisqu'elle vise à entretenir les matériels, notamment de manière préventive, en profitant des arrêts de tranche. On se souvient néanmoins de l'incident de niveau 3 survenu à Gravelines en 1989. Une équipe de la société qui avait travaillé sur l'ensemble des soupapes protégeant le circuit primaire principal avait utilisé de mauvaises vis, ce qui empêchait les soupapes de fonctionner pendant le cycle. De ce fait, le réacteur n'était pas protégé contre les surpressions. L'incident a montré que, faute d'être effectuée de manière rigoureuse, la maintenance peut devenir contre-productive.
Or EDF a opté pour un recours accru à la sous-traitance. En cinq ans, le volume de travaux réalisés pendant les arrêts de tranche, pour des raisons de disponibilité ou de sûreté, a plus que doublé. Il faut en effet rattraper un sous-investissement de cinq à dix ans en matière de maintenance. Le volume de la sous-traitance devrait encore augmenter de manière significative.
Lors des inspections que nous effectuons pendant les arrêts de tranche, nous constatons que le temps qu'EDF consacre à la réalisation des travaux dépasse en moyenne de 50 % les prévisions. Or tout écart par rapport au planning compromet la qualité de la réalisation, sinon la sûreté de l'installation. Seul un tiers des dépassements tient à une bonne raison, par exemple au fait qu'une intervention a révélé un problème technique qui appelle une réparation. Dans les deux tiers des cas, la planification initiale a été mauvaise ou la maintenance insuffisante, ce qui implique une seconde intervention.
Le défaut de maîtrise des arrêts de tranche, d'une grande acuité aujourd'hui, sera encore plus préoccupant dans trois ou quatre ans, quand EDF effectuera le grand carénage, qui suppose des interventions encore plus lourdes. En outre, l'entreprise est confrontée à un renouvellement massif de ses effectifs, qui concernera, en cinq ans, plus de la moitié du personnel. Les jeunes embauchés se forment tandis que des seniors se préparent à la retraite, ce qui explique peut-être certaines difficultés de planification ou d'organisation des travaux. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est stratégique pour préparer le grand carénage.
Nous poursuivons des discussions très serrées avec EDF. Nous vérifions la qualité des déclarations en cas d'anomalie. En 2013, 700 événements significatifs en matière de sûreté ont été signalés. Le chiffre est inférieur à celui de 2012, mais supérieur à celui des années précédentes. Le fait qu'il soit étale peut rassurer sur le plan de la transparence ; il est moins rassurant que plus de la moitié de ces événements s'expliquent par un défaut de qualité de la maintenance.
La sous-traitance résulte d'un choix industriel qui peut se justifier, car le recours à des spécialistes semble une garantie de compétence. Reste que les employés du sous-traitant n'ont pas toujours le niveau de qualification attendu. Il faut non seulement qu'EDF conserve en propre la capacité d'exercer une surveillance, en allant contrôler le travail au bon endroit et au bon moment, mais que sa surveillance soit effective.
L'arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base l'oblige à surveiller les travaux sur toute la chaîne des prestataires. Ce document est actuellement en cours de déclinaison. Par ailleurs, un texte sur le système de management intégré de la sûreté, de la radioprotection et de l'environnement est en consultation publique jusqu'au 24 février. Il fait obligation à EDF, et à toute la chaîne d'action, de posséder une organisation assurant la bonne qualité des opérations.
Ces sujets sont complexes au sens où ils touchent à des facteurs sociaux, organisationnels et humains. Nous avons été amenés à travailler dessus après l'accident de Fukushima, à la demande du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), auquel nous avions communiqué nos travaux et qui a souhaité que nous allions plus loin. Nous avons créé un groupe de travail ouvert rassemblant tous ceux qui sont intéressés à la question : les exploitants et les sous-traitants, leurs syndicats respectifs, des universitaires, des représentants des ONG et même des cabinets de juristes, car le sujet soulève des problèmes de droit. Ainsi, au nom de la sûreté, chacun souhaite qu'EDF exerce un contrôle entier et intrusif sur l'organisation interne des sous-traitants et le pilotage de leurs actions, mais la logique de l'inspection du travail veut qu'on interdise l'intrusion du donneur d'ordre dans le travail du prestataire.
Plusieurs questions méritent d'être précisées, comme la situation de la sous-traitance en situation normale d'activité ou le cadre contractuel dans lequel elle interviendrait en cas d'accident. L'épisode de Fukushima a montré qu'en cas de crise, si l'exploitant doit faire le nécessaire pour préserver la sûreté de l'installation, des sous-traitants sont indispensables. Dès lors, il faut s'assurer que l'entreprise et les hommes seront capables d'intervenir, le jour dit, dans des conditions qui s'apparentent à celles de la guerre. Le problème se pose aussi pour le personnel des services publics – pompiers ou conducteurs de car –, dont l'aide pourrait être requise en cas de crise. Il faut s'assurer que les personnels interviendront sur la base du volontariat ou d'un engagement contractuel.
Ces questions sont étudiées par le Comité d'orientation sur les facteurs sociaux, organisationnels et humains (COFSOH). Elles seront résolues dans quelques années, mais j'espère recevoir des résultats intermédiaires avant un ou deux ans.