Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du 13 février 2014 à 9h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Pierre-Franck Chevet, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Le terme de démantèlement n'est pas nouveau. Avant la loi de 2006, on distinguait l'arrêt définitif d'une centrale, enregistrant la cessation d'activité sans perspective de redémarrage, et l'acte approuvant les conditions du démantèlement, qui est un processus technique assez lourd. Hélas, lorsque les exploitants avaient fait prononcer par la puissance publique l'arrêt définitif d'une centrale, leur taxe sur les installations nucléaires de base (INB) diminuait, et ils manifestaient peu de hâte pour préparer les opérations de démantèlement.

La loi de 2006 a fusionné les procédures, en faisant le pari que, si les exploitants restaient redevables de la taxe, ils seraient incités à démanteler. Toutefois, celle-ci n'est pas assez élevée pour jouer ce rôle. D'où l'idée de réintroduire un dispositif distinguant les deux actes, mais limitant à un ou deux ans le délai qui les sépare. On parle alors de « démantèlement immédiat », expression légèrement impropre, car il s'agit en fait de préparer le démantèlement le plus rapidement possible.

Il est essentiel que cette opération très lourde, qui exige plusieurs dizaines d'années, soit préparée par ceux qui connaissent l'installation, c'est-à-dire par ceux qui l'ont exploitée. Si l'on n'anticipe pas cette étape, les personnes compétentes qui peuvent démonter le site ne seront plus disponibles. Or la loi prévoit le même niveau d'exigence réglementaire pour le démantèlement que pour le démarrage d'une centrale, car les risques d'irradiation sont réels. Le nouveau dispositif doit encore être approuvé par le législateur, mais nous soutenons l'idée, conforme à la pratique internationale, qu'il faut réduire le délai entre la constatation de l'arrêt du site et le dépôt du dossier de démantèlement.

M. Baumel m'a demandé quelle proportion des travaux de maintenance était confiée à la sous-traitance. Le chiffre de 80 % paraît exact. Durant un arrêt de tranche, jusqu'à 2 700 personnes peuvent intervenir sur un réacteur, en plus des 800 à 1 000 personnes qui y travaillent ordinairement.

Nous veillons au niveau de protection et de qualification des agents. Les textes que j'ai mentionnés prévoient que, quelle que soit la nature des interventions, les personnels de la société ou les sous-traitants soient qualifiés, ce qui est facile à vérifier lors des inspections. Le bilan de celles-ci est en cours de rédaction. Nous présenterons notre rapport annuel au Parlement en avril, mais, si vous le souhaitez, je pourrai vous en présenter un premier aperçu.

Plus la chaîne de sous-traitance est longue, plus grand est le risque d'une dilution des responsabilités ; mais, avant de réduire la chaîne, il est essentiel de travailler sur le résultat, ce qui suppose que le personnel qui exécute le travail soit qualifié et que celui-ci soit contrôlé par EDF.

Monsieur Gorges, après la génération II, que nous connaissons actuellement, la génération III, qui est celle de l'EPR, apporte une amélioration importante en termes de sûreté. La génération IV donne l'impression de franchir un nouveau cap en la matière, mais son objectif est avant tout d'améliorer la réutilisation des déchets. Une de nos préoccupations est de mettre en service des réacteurs d'après EPR, qui pourraient être installés en 2040-2050. À cette date, les exigences de sûreté auront encore augmenté. Nous avons demandé au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) que l'on tente d'introduire, au moins dans un prototype intermédiaire, des facteurs d'amélioration supplémentaires par rapport à la génération III, afin de les tester avant une éventuelle utilisation dans la génération IV.

J'ai supervisé une expérience menée en France avec Superphénix sur les réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Il est difficile de contrôler leur évolution en service et d'observer la dégradation éventuelle des matériaux, car le sodium, pour rester liquide, doit être maintenu à une température élevée. En outre, celui-ci ne fait pas bon ménage avec l'eau, ce qui induit des risques spécifiques. Il faudra franchir un saut technologique afin de trouver une parade à de tels inconvénients avant de retenir ce type de réacteur.

Sous réserve d'une vérification réacteur par réacteur, nous considérons comme acquis le principe d'une prolongation de l'exploitation jusqu'à quarante ans, mais non jusqu'à cinquante ou soixante ans. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'une simple réserve d'examen. D'importants obstacles techniques doivent encore être levés.

Sur certains sujets majeurs, nous attendons des propositions d'EDF. Forts de l'expérience acquise lors du passage de trente à quarante ans, nous pensons pouvoir émettre un premier avis en 2015 et un avis définitif en 2018-2019. Il va de soi que la prolongation doit être examinée au regard des exigences de la génération moderne, ce qui soulève des questions concrètes. Des améliorations doivent être apportées aux piscines des réacteurs, dont on a vu à Fukushima qu'elles représentaient un enjeu essentiel. D'autre part, les réacteurs de troisième génération possèdent, sous la cuve, un récupérateur de corium (core catcher), qui n'existe pas sur les réacteurs actuels. Sur ces sujets, nos questions n'ont pas encore reçu de réponse. En tant qu'autorité de contrôle, nous vérifierons les travaux menés par EDF.

Il faut augmenter le niveau de sûreté pour prolonger les réacteurs au-delà de quarante ans, sachant que la solution alternative est la mise en place de réacteurs de troisième génération, régis par des standards nouveaux. Cette stratégie, également retenue par mes homologues européens, est conforme à la position adoptée par la France sur les installations classées pour la protection de l'environnement. Elle consiste à mettre en oeuvre a posteriori, durant la durée de vie d'une exploitation, les technologies qui viennent d'être découvertes. À l'inverse, sauf événement majeur ou risque grave, les Américains s'en tiennent aux standards qui prévalaient lors de la conception des réacteurs. Dans ce cas, la réflexion est plus simple : soit les systèmes – essentiellement la cuve du réacteur et les enceintes de confinement – sont remplaçables, et on les remplace ; soit ils ne le sont pas, et l'on s'assure qu'ils n'ont pas trop vieilli.

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