Je vous remercie de votre invitation, tout en exprimant notre frustration quant à la limitation du champ d'interrogation à la sous-traitance, même si vous nous avez invités, monsieur le président, à ne pas nous y cantonner. L'avenir du parc nucléaire et la prolongation des tranches, notamment, sont des enjeux industriels importants à nos yeux. La Confédération générale du travail (CGT) estime que l'annonce de la fermeture anticipée de la centrale de Fessenheim est une ineptie ; sur cette question, nous avons réalisé plusieurs études en collaboration avec le CCE, qui les a unanimement validées.
La CGT a toujours défendu la transparence des coûts, pour tous les modes de production, notamment dans l'optique de la fixation des tarifs de vente ; elle demande une analyse de l'impact sur les coûts de la déréglementation du marché de l'électricité. Certains jeux, capitalistiques en particulier, n'ont entraîné aucune production de mégawatts supplémentaires. Nous plaidons en faveur de la vérité des prix, dont la fixation est totalement opaque. Une commission d'enquête parlementaire sur le sujet nous paraîtrait d'ailleurs très utile.
La CGT a également proposé, l'an dernier, la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur la sécurité d'approvisionnement du pays, qui, à notre sens, soulève des questions à court terme. Elle condamne, par ailleurs, les scénarios fumeux, actuellement mis sur la place publique, relatifs à l'avenir des concessions hydrauliques. Nous aimerions être entendus de façon sérieuse sur ce point.
La sous-traitance dans le nucléaire est un vaste sujet auquel la CGT travaille depuis longtemps, sur les sites comme au sein de la fédération des mines et de l'énergie. Cette pratique a connu des dérives dont on peut faire le procès ; mais on ne fera pas celui du nucléaire. La sous-traitance, au demeurant, touche de nombreux autres secteurs industriels, comme l'automobile ou l'aérospatiale : il serait utile de se pencher sur le phénomène dans son ensemble, notamment quant à ses conséquences pour les salariés.
Depuis une bonne dizaine d'années, la CGT a installé sur les sites des syndicats multiprofessionnels, auxquels peuvent aussi adhérer les salariés de la sous-traitance. Nous entretenons donc, avec eux et leurs représentants, des contacts quotidiens, sur l'ensemble des centres nucléaires de production d'électricité (CNPE), notamment pendant les périodes d'arrêt de tranche au cours desquelles leur charge de travail est particulièrement intense.
Le collège « exécution », le premier collège d'EDF, qui regroupe les employés et les ouvriers, a vu ses effectifs divisés quasiment par dix en vingt ans : un site de tranche qui employait entre 150 et 200 ouvriers de maintenance, n'en emploie plus que 25 à 30 aujourd'hui. Autant dire que la politique dite du « faire faire », mise en oeuvre par la direction, a parfois dérivé en « faire faire faire » ou en « voir faire faire ». Depuis une bonne dizaine d'années, nous luttons pour que certaines activités, selon nous abusivement sous-traitées, soient réinternalisées au sein du premier collège, afin d'y maintenir toutes les compétences techniques.
Quoi qu'il en soit, la présence de la CGT sur les sites est une bouée de sauvetage pour certains salariés de la sous-traitance, au regard de leur situation spécifique ; notre insistance auprès du CCE nous a permis d'obtenir des garanties pour ces salariés, notamment, en 2011, quant à leur réembauche en cas de nouvelle passation de marché. Cela dit, il faut une vigilance quotidienne des organisations syndicales pour rendre ce droit effectif.
La justice nous a donné raison contre la société chypriote Atlanco qui, à Cherbourg, employait sur le site de l'EPR des salariés polonais sous-payés et privés de droits, pendant qu'elle engrangeait des profits à Dublin. On voit là à quelles situations ubuesques peut conduire la sous-traitance en cascade.
La sous-traitance a connu un développement inverse à la fonte des effectifs depuis vingt ans. Certains salariés bénéficient, à travers des conventions collectives, de garanties qui, au fil du temps, ont été nivelées par le bas. Naguère, un bon nombre de salariés bénéficiaient, par exemple, des conventions de la métallurgie, qui sont d'un bon niveau. Aujourd'hui, la convention Syntec, mise en oeuvre par le patronat, est un cancer pour les salariés du nucléaire : en principe destinée aux salariés des bureaux d'études, notamment employés, techniciens et agents de maîtrise (ETAM), elle se révèle inadaptée aux personnels employés par 95 % des sous-traitants du nucléaire. Dès lors qu'elle possède un bureau d'études, une entreprise qui répond à une sollicitation de marché peut inscrire tous ses salariés sur cette convention ; ceux qui exercent des activités mécaniques ou logistiques dans la métallurgie ont ainsi vu leurs garanties sociales ramenées au plus bas. Il serait bon que le législateur y mette bon ordre, car la loi permet ce scandale.
La question des garanties collectives est d'autant plus importante que l'arrivée d'une nouvelle génération, au sein d'EDF comme dans la sous-traitance, pose le problème du renouvellement des compétences : il est essentiel de préserver l'attractivité des métiers, faute de quoi, si le marché du travail repart, les salariés de la sous-traitance s'orienteront, à rémunération équivalente, vers des métiers moins contraignants.
Depuis plusieurs années, la CGT a fait des propositions aux différents gouvernements et au patronat, comme l'intégration de certains prestataires dans le statut de branche des industries électriques et gazières (IEG), ainsi qu'Areva l'a fait pour les personnels de gardiennage. Bien que nos projets aient jusqu'à présent accusé des fins de non-recevoir, nous entendons, au printemps prochain, en soumettre de nouveaux, conçus avec d'autres fédérations de la CGT impliquées dans le nucléaire.
Le parc nucléaire d'EDF emploie 22 000 salariés de la sous-traitance ; ceux-ci y travaillent toute l'année, et certains y effectuent même toute leur carrière. Il existe donc bien un volume d'emplois suffisant pour pérenniser les carrières. Dès lors, ces personnels doivent pouvoir bénéficier d'une garantie d'emploi : cela leur éviterait de venir travailler avec la « boule au ventre » et apaiserait leurs inquiétudes pour l'avenir.
Le nucléaire ne fait mourir personne et fait vivre beaucoup de monde : les bassins d'emploi autour des sites le montrent. Notre pays ne compte que peu de filières industrielles aussi dynamiques. Dans ces conditions, la fermeture du site de Fessenheim serait aberrante, un luxe que nous ne pouvons pas nous payer.
Comme je l'ai dit, certaines activités devraient, à notre sens, être réinternalisées, comme le sont désormais les interventions sur les groupes motopompes primaires ou les activités de robinetterie – ce qui laisse à penser que la direction a reconsidéré sa position sur le sujet avant le grand carénage des tranches. La CGT a d'ailleurs fait la démonstration que, pour plusieurs activités, l'internalisation était moins coûteuse que le recours à la sous-traitance : c'est ainsi qu'il y a dix ans, le coût de la mesure de temps de chute des grappes de commande a été divisé par six – sans parler de celui de la surveillance. Au sein des centrales, l'activité de surveillance représente environ 6 000 emplois sous statut ; si l'on réinternalisait certaines activités, ces emplois assez techniques pourraient être réaffectés ailleurs : ce serait d'autant plus facile avec le renouvellement générationnel. Nous faisons des propositions en ce sens.
La politique du « faire faire » est allée trop loin : le bon sens commande de revenir en arrière et d'intégrer les salariés de la sous-traitance effectuant toute leur carrière sur les sites aux effectifs statutaires, étant entendu que certaines activités nécessiteront toujours le recours à des prestataires. À ce sujet, Denis Cohen, ancien secrétaire général de la fédération des mines et de l'énergie, avait adressé, en 2003, un courrier au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et, en 2009, nous nous en étions entretenu avec M. Sarkozy, M. Fillon et Mme Lagarde. Si chacun a toujours déclaré comprendre nos arguments, ceux-ci sont pourtant restés sans effet. En tout cas, la CGT a toujours interpellé les ministres sur cette question, à l'occasion de leurs déplacements sur les sites.
Les modules de formation dont bénéficient les agents d'EDF sont de grande qualité ; ils leur permettent d'avoir une connaissance approfondie de toutes les installations. La garantie de formation devrait donc aussi bénéficier aux sous-traitants. L'amélioration technique des tranches est une occasion de jouer cette carte. Nous sommes favorables à la prolongation de l'activité des sites, moyennant les rénovations nécessaires – remplacement des gros matériels et renforcement de la sûreté des installations –, mais l'amélioration technique n'a de sens que si elle s'accompagne d'une amélioration des conditions sociales. Une fois rénovées, les tranches devront être exploitées ; c'est pourquoi il est essentiel de motiver la nouvelle génération.
Nous proposons que soient menées des études sur la robotisation de certaines activités, afin notamment de limiter l'exposition aux doses radioactives. Les jumpers qui interviennent dans des générateurs de vapeur sont obligés, par exemple, de décompter mentalement les secondes afin de limiter leur durée d'exposition. Nous considérons qu'en 2014, on devrait être en mesure d'envisager la robotisation de telles activités, comme de celle de décontamination des piscines des bâtiments réacteur ; au demeurant, les techniques de robotisation pourraient être exportées.
Le surcoût des réinternalisations reste à démontrer : nous avons, je le répète, établi qu'elles réduiraient, au contraire, les coûts de plusieurs activités, sans parler des avantages en termes de redéploiement d'emplois. Au reste, un éventuel surcoût ne doit pas forcément se répercuter sur les tarifs : une modulation à la baisse des dividendes versés aux actionnaires est toujours possible. Le coût du travail est actuellement dans la ligne de mire, mais l'on a tendance à oublier le coût du capital : le développement de la sous-traitance doit bien profiter à certains – certes pas aux salariés –, car il génère forcément des sommes faramineuses.
Nous sommes disposés à discuter de la sous-traitance – sans faire le procès du nucléaire – comme des mesures à mettre en oeuvre pour améliorer les conditions sociales des salariés de la filière. Cependant, il faut d'abord pointer les vrais problèmes : la semaine dernière, à Cherbourg, l'audience consacrée au décès d'un salarié sur le chantier de l'EPR en 2011 a tourné au procès non de l'intérim, mais des intérimaires. Rappelons que certains salariés restent toute leur carrière en intérim.