Monsieur Monnier, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes l'auteur de travaux portant notamment sur l'impôt sur le revenu, l'emploi des femmes et les inégalités de genre. Ce sujet, qui fait le titre de l'un de vos articles, nous intéresse particulièrement dans le contexte de la réforme de la fiscalité sur laquelle une réflexion s'engage actuellement. Comment la fiscalité française, fondée sur le couple et la famille, répond-elle au principe constitutionnel d'égalité entre les femmes et les hommes et tient compte de ce que les citoyens sont égaux et doivent pouvoir avoir une vie autonome ?
La spécificité de notre système fiscal, pour lequel les Français, dès lors qu'ils sont mariés ou pacsés, ne peuvent être considérés que comme un couple, au sens où ils sont nécessairement soumis à une imposition conjointe, peut-elle perdurer ? Ce système est en effet fondé sur le postulat que les ressources sont intégralement mises en commun au sein du couple, ce qui ne correspond plus à la réalité.
Ce schéma repose sur le modèle, dominant à la fin de la Seconde guerre mondiale, du couple mono-actif dans lequel le chef de famille travaille et la mère reste au foyer, alors que les femmes sont aujourd'hui très actives. Le système hérité de ce modèle favorise-t-il les femmes ou les pénalise-t-il ?
Par ailleurs, l'individualisation de l'impôt favoriserait-elle l'emploi des femmes ? Pour certains analystes, en effet, le fait que les revenus du ménage soient comptabilisés ensemble n'incite pas les femmes ayant de petits salaires, travaillant à temps partiel ou occupant des emplois précaires à reprendre une activité.
Avons-nous dans ce domaine la capacité de réaliser des projections fines permettant d'évaluer en amont le montant des impôts ? De fait, la complexité et l'opacité du système fiscal sont telles qu'il est très difficile pour le contribuable de savoir quel sera le montant de ses impôts lorsqu'il remplit sa déclaration de revenus. Les couples concernés, en particulier les femmes qui s'interrogent sur l'opportunité de reprendre une activité professionnelle, examinent en revanche de très près la perte d'avantages fiscaux ou familiaux, ainsi que les charges annexes, liées notamment à la garde d'enfants et aux transports, qui découleraient d'une telle décision et qui peuvent être prohibitives pour les bas salaires.
Faut-il maintenir un calcul de l'impôt fondé sur les ménages ? Faut-il conserver le quotient conjugal – obtenu, je le rappelle, en divisant par le nombre de parts, soit deux pour un couple, les revenus du ménage ? Faut-il réformer le quotient familial, calculé en fonction du nombre de parts dans le ménage ?
Enfin, disposons-nous d'études et de projections claires permettant de savoir si l'individualisation de l'impôt sur le revenu ferait des gagnants et des perdants – et si oui lesquels ?