Mon propos introductif portera sur la culture globale d'une exposition universelle à l'horizon 2025 et s'articulera autour de cinq thèmes : la culture, l'innovation, le progrès, l'humanisme et la société collaborative.
D'abord, je trouve que la manière dont la question est posée – « Peut-on encore aujourd'hui célébrer le progrès et les innovations ? » – relève d'une culture dépassée, qui nous renvoie au début du XXe siècle, voire à la fin du XIXe. En effet, nous sommes entrés dans une nouvelle culture partagée, dans le monde entier, par une génération de jeunes entre dix-huit et vingt-cinq ans – une culture différente de celle de leurs parents, de leurs professeurs, des politiques et des industriels. Ces jeunes ne sont plus dans une société de l'information, mais dans une société de la recommandation. Ils ne sont plus dans l'acquisition des connaissances, mais dans le partage de l'expérience et de l'émotion. Cette évolution est évidemment liée au numérique et aux réseaux sociaux. Il faut donc que nous changions de culture.
L'exposition de 2025 et la France se situent dans une autre dimension culturelle que celle, exprimée ici, du progrès et de l'innovation. Le progrès n'existe pas, dans la mesure où il est lié à un jugement de valeur. Le progrès sans valeur n'est donc pas du progrès, c'est simplement une mesure quantitative. D'autre part, l'innovation n'existe pas : il n'existe que des systèmes innovants. Aujourd'hui, tout ce qui change la société résulte de fusions, de convergences, de catalyse et d'émergences. Internet n'est pas une innovation, c'est un système innovant, fait de réseaux de télécommunication, de TCPIP, de protocoles informatiques, de boîtes à messages, de bêta-testeurs et de moteurs de recherche. De la même façon, le GPS est un système innovant, parce qu'il résulte d'un protocole spécial que seule votre voiture comprend, d'un écran tactile, d'un satellite, etc. Les termes d'innovation et de progrès sont déjà en eux-mêmes dépassés, s'ils sont conçus en dehors d'une vision systémique – pour l'innovation – et d'une vision dynamique – pour le progrès.
Pour qu'un système innovant soit effectivement innovant pour la société et ses utilisateurs, il faut créer les conditions d'un écosystème dans lequel on va catalyser, c'est-à-dire mettre ensemble, des éléments séparés – un peu comme les enzymes le font en biologie – qui, en se mariant, feront émerger des propriétés nouvelles. En voici quelques exemples très simples.
La fusion du numérique et du biologique, c'est-à-dire non seulement les biotechnologies, mais aussi la bioélectronique, la biotique – mariage de la biologie et de l'informatique –, la e-santé, grâce à un système que l'on porte sur soi et qui est capable de mesurer en permanence votre corps, est en train de révolutionner la médecine et ce que l'on appelle la « prévention quantifiable ».
Il en va de même avec la fusion de l'énergétique et du numérique. Jusqu'à présent, on abordait l'énergétique et la transition énergétique en termes de filières et de centrales, on se demandait s'il fallait ouvrir ou fermer des centrales, qu'elles soient au fuel, hydrauliques ou nucléaires, si telle filière était meilleure que telle autre. Là encore, l'approche systémique amène à raisonner en dehors des filières. Il n'y a pas des énergies renouvelables, mais de l'énergie renouvelable, faite de douze énergies combinées entre elles, distribuées dans un réseau intelligent, numérique, que j'appellerai « énernet » – une Smart grid qui, bientôt, sera non seulement européenne, mais de plus en plus mondiale.
Grâce à la fusion du mécanique et du numérique, les voitures seront autoguidées, se déplaceront seules grâce à un radar, à un laser et à des satellites.
La fusion du numérique et de l'éducation a donné, par exemple, les MOOC (Massive Open Online Courses) qui touchent aujourd'hui 19 millions de personnes dans le monde, permettent à Stanford, à Harvard et au MIT de diffuser leurs cours. J'observe toutefois que, après avoir suscité un grand engouement, ces MOOC font aujourd'hui l'objet de réserves. Il n'y a pas de système innovant sans fusion, sans catalyse, sans convergence, sans émergence.
Le message que la France adressera en 2025 devra être humaniste, au sens où le lien humain, le lien social, la relation humaine, l'émotion, le partage, l'amour sont plus importants que la technologie, qui ne peut servir que de catalyseur. On le voit très bien avec les réseaux sociaux et avec la solidarité qu'ils permettent de nouer entre des gens qui peuvent ainsi créer ensemble leur futur. Cette notion doit être sous-jacente à l'exposition universelle : comment « co-créer » – et non pas créer – son futur en lui donnant du sens ?
Enfin, l'exposition universelle de 2025 devra montrer comment se manifestent les prémices de la société collaborative, avec le numérique et les réseaux sociaux, au sein de la nouvelle culture de cette jeunesse mondiale, tous pays confondus. Les mouvements politiques qui ont utilisé la rue et les médias comme nouveaux moyens de vote pour tenter de modifier des systèmes totalitaires ou les manifestations des indignés en sont des exemples.
Cette collaboration se traduit aujourd'hui par les préfixes co- en français et crowd- en anglais : crowdfunding ou crowdsourcing, cohabitation, covoiturage, colocation, co-nutrition. Les gens partagent des éléments de production. On le verra de plus en plus avec les imprimantes 3D, dans le cadre d'une nouvelle industrie 2.0, c'est-à-dire une industrie transversale, faite de petites unités de production partagées, plutôt que de gros systèmes pyramidaux – lesquels vont bien entendu perdurer.
En 2025, nous devrons montrer la société collaborative en marche, puisque c'est ce qui anime la nouvelle génération. C'est ce que nous tentons de faire à Universcience. D'après nos sondages, les jeunes de 12-15 ans viennent avec leurs parents ou leurs professeurs, les adultes viennent et reviennent avec leurs enfants. Mais les 18-25 ans ou les 18-30 ans ne viennent pas, parce qu'ils sont dans le live streaming, c'est-à-dire dans un flux continu d'informations, dans leurs réseaux sociaux, sur Twitter, Facebook et leurs blogs. Ce qu'ils veulent, c'est partager des expériences.
Si l'exposition a l'intention d'expliquer aux visiteurs ce qu'il faut comprendre de la France de 2025, elle sera « à côté de la plaque ». Elle doit faire en sorte que ces jeunes créent de l'émotion, de l'expérience et du partage. Ils ont des outils pour cela, ils s'en servent déjà tous les jours. Malheureusement, nombre de politiques, d'industriels et de grands universitaires sont encore dans la culture du silo, de l'utilisation d'un logiciel particulier, et ignorent les applications combinées entre elles.
Avec notre humanisme, nous devons retrouver l'esprit des Lumières et de Thomas More. Le Vatican, pour qui seul Dieu avait le droit de donner aux hommes le cahier des charges pour construire leur avenir, a critiqué ceux qu'il considérait comme des « utopistes ». Mais, si vous relisez L'Utopie de Thomas More, vous constaterez qu'il s'agissait d'hommes qui se mettaient ensemble pour « co-construire » leur futur en édictant des lois, des règles qui leur permettaient de vivre ensemble. En ajoutant à l'esprit des Lumières une nouvelle vision de l'utopie, la France sera à même d'apporter cet humanisme qui expliquera au monde que la société collaborative est en marche, qui montrera vers quoi elle conduit, comment elle peut donner du sens à la vie et augmenter la liberté des hommes.