L'année 2025 permettrait à l'Académie des technologies de fêter en même temps son vingt-cinquième anniversaire. Elle est en effet née en 2000, longtemps après ses homologues américain, britannique, suédois ou allemand. C'est dire combien peu progressiste est l'approche française à l'égard des technologies ! La création de notre Académie résulte d'ailleurs d'une scission du comité des applications de l'Académie des sciences. Dans la vision qui prévalait auparavant, l'innovation et la technologie procédaient de la science. Pourtant, on construit un pont pour traverser une rivière, pas pour vérifier les lois de la gravité !
La culture française se préoccupe plus du quoi que du comment. Les intellectuels laissent aux technologues le soin de faire, se réservant celui de dire ce qu'il faut faire et de définir les valeurs. Dans les lycées, la filière technologique correspond plus à un choix par l'échec qu'à un choix par l'ambition.
Parmi les événements récents ayant eu des effets négatifs sur l'appréciation que la population porte sur la technologie, je crois aussi que l'affaire du sang contaminé a joué un rôle très défavorable.
Une exposition universelle, on peut l'espérer, contribuera au déblocage de la situation en présentant l'alliance de l'ingénieur, de l'industriel, de l'intellectuel et de l'artiste pour construire quelque chose d'attractif non seulement aux yeux des Français, mais aussi dans le monde entier. Cette fusion me semble primordiale.
Pour en venir à la question posée, permettez-moi de rappeler tout d'abord la devise de l'Académie des technologies : « Pour un progrès raisonné, choisi et partagé. » La technologie ne se résume pas à la technique : elle englobe l'usage que l'on fait de la technique et les choix que celle-ci implique. On ne peut la dissocier de sa dimension culturelle et politique. Notre Académie a d'ailleurs lancé au début de cette année une réflexion sur l'appropriation de la technologie par le plus grand nombre.
Nous coproduisons également, avec la chaîne Arte, une émission entièrement consacrée à la technologie et à l'innovation, donc sans équivalent dans le paysage audiovisuel français. Il s'agit de faire appréhender aux téléspectateurs des sujets tels que les exosquelettes qui rendent aux paraplégiques la faculté de marcher et de courir, les diodes placées à l'arrière de la rétine qui permettent aux aveugles de recouvrer la vue, les moyens d'assainir l'eau là où les infrastructures manquent, l'utilisation de drones pour la surveillance des cultures ou la recherche des personnes qui se sont perdues, etc. L'émission, que le Centre national du cinéma a de manière significative refusé de classer parmi les magazines culturels, est intitulée Future Mag. Elle est diffusée tous les samedis à treize heures quinze sur Arte et est accessible sur internet. La première émission a été regardée par 300 000 téléspectateurs. Sont présentées, je le précise, de réelles innovations technologiques, de celles qui devraient se trouver sur le marché à échéance de trois à cinq ans, et non d'expliquer scientifiquement la nature, comme le font les émissions – trop rares elles aussi – consacrées à la science. Dans cette approche humaniste, il est montré comment tout un chacun bénéficiera de ces innovations.
Pour en venir à ce qui pourrait faire l'objet d'une exposition universelle, je crois, comme les intervenants précédents, qu'il faut distinguer plusieurs types d'innovation.
Le mot renvoie d'abord aux produits de la Silicon Valley. Il est probable que ce modèle industriel d'innovation n'est pas culturellement adapté à la France et à l'Europe. S'il l'était, cela se saurait : voilà quarante ans que nous essayons de le copier sans arriver à rattraper notre retard !
Pour l'Académie des technologies, c'est l'innovation « système », celle qui résulte de l'interconnexion d'agents de différente nature, qui doit être mise en exergue. J'ai pu constater cette évolution en tant qu'informaticien : on est passé de l'usage individuel à l'usage dans l'entreprise, et c'est maintenant la société tout entière qui est utilisatrice du système numérique. L'utilisateur et la société sont, à mes yeux, la grande affaire du XXIe siècle. Pour le coup, cette évolution est compatible avec notre culture, puisqu'elle peut se rattacher, d'une certaine manière, aux grands projets des années 1950-1960. Parmi les principaux enjeux : la réponse au vieillissement de la population par le moyen de la télémédecine et de la prévention, la réalisation d'écoquartiers combinant les énergies produites au niveau local et au niveau national, la construction de bâtiments à énergie positive – qui sera presque devenue la norme dès 2020 –, la question des transports, celle des écosystèmes en général. Dans chacun de ces domaines, les systèmes sont composés d'individus et de dispositifs mécaniques, le tout étant intégré par les technologies de l'information et de la communication.
Cette configuration pose la question de la structure industrielle à venir. L'exposition universelle de 2025 devra être à la fois le reflet de l'industrie à cette date et un tremplin pour l'industrie nationale, qui aura déjà d'autres caractéristiques qu'aujourd'hui.
Dans le contexte de la mondialisation, on assiste à un éclatement des chaînes de valeur. L'intégration verticale des entreprises laisse la place à une « horizontalisation ». À chaque étape émergent des champions dont la rentabilité repose sur des volumes de vente à l'échelle de la planète.
Au bout de la chaîne, toutefois, il faut compter avec l'utilisateur, le client, et s'adapter à ses besoins. Le rôle de l'intégrateur système dans la satisfaction du client devient central. Demain, sans doute, chaque voiture fera l'objet d'un assemblage particulier pour le client qui l'a commandée. Le contact entre l'intégrateur et le client sera la clé de la compétitivité.
Du fait de l'évolution des technologies de l'information et de la communication, la notion de système prend une dimension à la fois sociétale et industrielle. L'industrie devra s'adapter à cette nouvelle donne en se « dés-intégrant » et en s'« horizontalisant », l'interface avec le client final étant appelée à primer sur toutes les autres.