Greenpeace est une organisation non gouvernementale qui n'a pas vocation à produire des expertises, même s'il nous arrive de fournir des éléments d'analyse ; en revanche, nous commandons des expertises indépendantes. Par exemple, nous avons publié, au début de 2013, le Scénario de transition énergétique, qui comparait deux hypothèses : d'un côté, le renouvellement du parc nucléaire ; de l'autre, la sortie définitive du nucléaire, avec le remplacement des réacteurs par des moyens de production d'énergie renouvelable. Plus récemment, nous avons commandé à l'agence WISE – World Information Service on Energy – un rapport sur une éventuelle prolongation du parc nucléaire actuel au-delà de quarante ans ; nous avons d'ailleurs demandé à être auditionnés à nouveau par votre commission d'enquête sur ce thème spécifique. Dans quelques jours, nous diffuserons, toujours dans un souci de transparence et avec la volonté d'apporter de nouveaux éléments d'expertise, une étude sur les réseaux électriques aux échelles française et européenne, et sur leur évolution comparée en cas de maintien de la puissance nucléaire en France et de la production de charbon en Pologne ou en cas d'évolution vers un taux élevé d'énergie renouvelable d'ici à 2030. Je vous ferai parvenir ces documents, qui intéressent directement l'avenir de la production électrique en France dans la mesure où ils permettent de s'interroger sur le coût du système global : moyens de production, mais aussi moyens de transport et de distribution, et éléments constitutifs de la consommation d'électricité.
Yannick Rousselet vous a présenté les informations relatives au chantier qui conduisent à avoir aujourd'hui une meilleure connaissance de la durée et du coût réels de la construction d'un EPR. Il reste encore au moins quatre ans de chantier en France, et de un à deux en Finlande, suivant que l'on écoute Areva ou l'opérateur TVO, mais il est d'ores et déjà certain qu'il y aura une multiplication par deux de la durée du chantier de Flamanville et un retard de cinq à sept ans sur celui d'Olkiluoto. Quant aux coûts, ils ont été multipliés par trois par rapport aux évaluations données en 2005, au moment du débat public ; à l'époque, EDF annonçait un EPR à 2,8 milliards d'euros et la Direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP) tablait sur 1,6 milliard. C'est sur cette base qu'a été décidée la construction du réacteur de Flamanville. En avril 2007, au moment où le chantier a débuté, l'estimation d'EDF avait déjà été portée à 3,4 milliards – mais nous savons tous que, dans le cadre d'une réponse à un appel d'offre et d'une négociation industrielle, ce type de dépassement est monnaie courante. Le problème, c'est que l'augmentation s'est poursuivie : 4 milliards d'euros en décembre 2008, 5 milliards en 2010, 6 milliards en 2011, et ce jusqu'en décembre 2012, date de la dernière mise à jour, où le coût total de la construction de l'EPR a été relevé par EDF à 8,5 milliards, en même temps qu'était annoncé un retard supplémentaire de deux ans pour la mise en service du réacteur. Comme il reste encore au moins deux ans de chantier, le dérapage des coûts peut se poursuivre.
Pour sa part, le Réseau de transport d'électricité (RTE), dans sa dernière mise à jour du schéma décennal et du bilan prévisionnel, envisage une injection sur le réseau des premiers kilowattheures produits par l'EPR vers la fin 2016 – tout en précisant que rien n'est certain. RTE a également réalisé des tests afin d'assurer la stabilité du réseau sans tenir compte de la disponibilité de l'EPR. Tout le monde est donc très prudent.
Pour ce qui concerne les réacteurs étrangers, les dernières estimations tournent autour de 9 milliards d'euros pour le projet d'EPR à Hinkley Point, et de 8,5 milliards d'euros pour le chantier d'Olkiluoto, en Finlande. Par conséquent, une évaluation réaliste de la construction d'un EPR serait aujourd'hui d'environ 9 milliards d'euros pour le coût et de huit à dix ans pour la durée – étant entendu qu'aucun chantier n'a encore été achevé.
L'EPR en est en effet au stade du démonstrateur. Sa capacité à fonctionner n'a pas été démontrée, et ses performances supposées, notamment s'agissant du taux de charge de 90 %, restent hypothétiques. Or cela aura une incidence sur le coût de production de l'électricité.
La multiplication par trois du coût de construction s'est déjà traduite par une multiplication par trois à cinq du prix annoncé du mégawattheure. Lors du débat public, Areva avait fixé ce dernier à 30 euros – ce qui pouvait sembler ambitieux. EDF l'a revu à la hausse une première fois en 2007, puis en 2008, à respectivement 46 et 55 euros. En janvier 2012, la Cour des comptes, sur la base d'un chantier à 6 milliards d'euros, a fixé une fourchette allant de 70 à 90 euros. Si l'on extrapole ces résultats sur la base d'un chantier à 8,5 milliards, il semble évident que le prix du mégawattheure produit par l'EPR de Flamanville dépassera les 100 euros et qu'il pourrait même aller jusqu'à 130 euros – cela a été confirmé entre-temps par les tarifs d'achat négociés en Angleterre. Vu qu'il reste encore deux ans de chantier, ces chiffres sont à prendre avec prudence : nous ne sommes pas à l'abri d'une nouvelle augmentation. Pour comparaison, les nouvelles capacités de l'éolien terrestre en France permettent aujourd'hui de produire de l'électricité à un prix allant de 70 à 90 euros le mégawattheure.