Intervention de Philippe Knoche

Réunion du 27 février 2014 à 12h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Philippe Knoche, directeur général délégué d'AREVA :

S'agissant de Flamanville, je rappelle que le rôle d'AREVA est limité à la fourniture de la chaudière. Cela étant, un certain nombre d'aléas expliquent les coûts et les retards qui ont été constatés, mais M. Machenaud a dû vous dire ce qu'il en est.

En ce qui concerne votre commentaire sur la perte de crédibilité des entreprises engagées dans le projet, je dirai qu'il y a une vertu à tous nos efforts. Dans le cas de la Finlande, il s'agit de la transparence – nous disons combien cela coûte.

Le monde de l'énergie a été confronté à de nombreux imprévus au cours de ces dix dernières années. Le coût des centrales au charbon a ainsi doublé sur la période, les prix de tout un ensemble de matières premières s'étant littéralement envolés. Personne n'avait non plus prévu l'évolution des prix du gaz, notamment en Asie, et donc de la compétitivité de ces énergies. Lorsque M. Machenaud dit que, malgré les surcoûts, l'EPR reste compétitif et certain, c'est-à-dire que l'on peut prévoir son coût sur la période d'exploitation, c'est donc un élément important.

Nous tirons bien sûr les leçons de nos erreurs. Il y a eu défaut de prévision ; il est évident que plus personne ne signe aujourd'hui de contrat pour un EPR à 3 milliards. En même temps, les centrales ont atteint un niveau d'achèvement – à la fois en construction, en fabrication et en montage – et de risque qui n'a plus rien à voir avec ce qui avait pu être envisagé au moment de leur lancement.

En ce qui concerne la disponibilité, le taux de 90 % est dépassé dans les centrales qui sont à la base de la conception de l'EPR, à savoir les centrales Konvoi allemandes – et vous savez que le régulateur allemand n'est pas le plus porté à être favorable au nucléaire… Elles le doivent à une architecture qui a été reprise pour l'EPR, comportant l'existence de quatre « trains » de sûreté, ce qui permet d'assurer la maintenance de l'un d'entre eux pendant que la centrale est en service. Ce taux de disponibilité est également dépassé aux États-Unis.

Les coûts de l'EPR incluent la justification de leur durée de fonctionnement : l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) nous demande de faire les calculs à la fatigue de tous les composants qui peuvent être sollicités pour prouver qu'ils vont durer soixante ans. On ne peut nous demander de comptabiliser cette preuve dans les coûts et nous dire en même temps que le total n'est pas raisonnable. J'ajoute que les dix dernières années, soit entre cinquante et soixante ans, on arrive 1,5 euro du mégawattheure compte tenu du fait que c'est une période très éloignée. Du point de vue économique, le débat sur ce qui se passera à l'année 52 n'est donc pas fondamental.

Vous me demandez lequel des quatre EPR en construction devrait entrer en fonctionnement le premier. En termes physiques, Olkiluoto est la centrale la plus avancée. Le premier test d'ensemble, celui de son bâtiment réacteur, a été réalisé avec succès il y a quelques semaines, à la satisfaction du client Teollisuuden Voima Oyj (TVO) et de l'autorité de sûreté finlandaise, et en présence d'ingénieurs d'EDF et du client chinois.

En parallèle, d'autres EPR sont d'ores et déjà en phase d'essais partiels. C'est notre métier – et celui d'EDF et de China General Nuclear Corporation (CGN) – de nous assurer que les leçons des retours d'expérience sont tirées.

Si Olkiluoto est la centrale la plus avancée physiquement, c'est aussi celle qui rencontre le plus de difficultés du point de vue contractuel. Son rythme d'avancement est donc comparativement le plus faible. EDF a annoncé la date de 2016 pour le chargement. Taishan fait figure de challenger et a les moyens d'être le premier réacteur à entrer en fonctionnement. Je ne peux cependant préjuger des résultats de chacun. Au demeurant, nous ne sommes pas dans une course : c'est la sûreté qui prime. Soyez donc assurés qu'il sera tenu compte de chacun des retours d'expérience en temps réel. Nous avons d'ailleurs organisé, avec le client chinois et EDF, une présentation de l'ensemble des essais des quatre EPR en construction et de la façon dont ils seront essayés auprès de l'ensemble des autorités de sûreté intéressées par l'EPR – dont les autorités britannique et américaine. Cette présentation, très appréciée, a montré à la fois la cohérence des essais et certains aspects de prototype.

La construction des deux EPR de Taishan 2 se heurte en effet à moins de difficultés que celle des EPR d'Olkiluoto ou de Flamanville. Tout d'abord, l'attitude du client, très impliqué dans la réalisation du projet, est très différente. Ensuite, on observe une maturité dans le design, car ce sont les troisième et quatrième EPR, lancés après ceux de Flamanville et d'Olkiluoto, mais aussi une maturité de l'exploitant, de l'autorité de sûreté et de la chaîne de fourniture : il se construit trois réacteurs par an en Chine, ce qui vaut des effets volume. Néanmoins, pour l'îlot nucléaire, Taishan 1 et 2 sont encore à 75 % d'origine européenne en termes de design et d'approvisionnement. Mais il est vrai que l'effet de série est important, de même qu'on observe graduellement une localisation en Chine, qui s'appuie sur cet effet de série.

Cela étant, plus l'état du chantier de Taishan se rapprochera de celui des autres EPR – ce qu'il est en train de faire puisque le circuit primaire est déjà installé alors qu'il ne l'est pas encore à Flamanville –, plus grand sera le risque d'y rencontrer des aspects de prototype.

Qui va payer la facture de l'EPR finlandais ? Permettez-moi d'abord d'observer qu'on ne peut assimiler AREVA au contribuable français : AREVA a d'autres activités que la construction de l'EPR et paye des impôts en France ; il y a des actionnaires minoritaires chez nous. Néanmoins, je suis très attentif à ce point. Nous avons demandé devant le tribunal arbitral de la chambre de commerce internationale 2,7 milliards d'euros au client finlandais, qui a lui-même fait une demande reconventionnelle, pour un montant inférieur. Mais, même si nous sommes confiants dans la solidité de notre dossier, nous n'avons pas anticipé dans nos comptes un éventuel succès de cet arbitrage. À ce stade, c'est donc AREVA qui supporte les coûts. C'est d'ailleurs la raison qui nous a conduits à recourir à l'arbitrage, avec l'attitude de notre client finlandais, qui considère aujourd'hui qu'il peut à peu près tout demander sans en payer les conséquences. Pour notre part, nous estimons que cette position est difficilement défendable.

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