Intervention de Philippe Knoche

Réunion du 27 février 2014 à 12h00
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Philippe Knoche, directeur général délégué d'AREVA :

Comptablement, nous ne pourrons jamais retrouver ces 8 ou 8,5 milliards, ni par conséquent les 5 milliards dont vous parlez : ces chiffres sont en euros d'aujourd'hui, alors qu'ils ont été constatés au fur et à mesure dans notre comptabilité. Mais, et c'est public, AREVA a comptabilisé une perte de 3,9 milliards – sur laquelle nous réclamons 2,7 milliards au client.

S'agissant de l'estimation de 8 milliards, montant qui reste incertain en l'absence de chiffres publics, je dois préciser que notre partenaire dans le consortium, Siemens, est confronté aux mêmes difficultés que nous. Il a annoncé de fortes pertes et connaît les mêmes difficultés de calendrier qu'AREVA : même si sa turbine est achevée, il n'a réalisé que 4 % des phases de test à ce jour. Cette similitude de situation nous conforte dans l'idée que le client y a une responsabilité. Les 2,7 milliards demandés devant le tribunal arbitral le sont d'ailleurs par le consortium – où, pour mémoire, Siemens entre pour environ 30 % et donc AREVA pour 70 %.

L'ATMEA et l'EPR sont bien deux voies complémentaires. Nous avons entendu dire que la demande du marché porterait majoritairement sur des réacteurs de 1 000 MW, mais cette affirmation ne peut être vérifiée. La Chine développe aujourd'hui le CAP1400, sur lequel elle fonde une partie de son avenir nucléaire, au-delà de l'EPR, et on estime à environ 15 % la part du marché qui est « spécifique 1 000 MW », c'est-à-dire les cas où les exploitants ont indiqué qu'ils n'accepteraient pas de puissance supérieure. Dans les projets en cours, que ce soit en Chine, pour les tranches suivantes de Taishan, en Inde, en Pologne, en Afrique du sud, en Arabie saoudite ou au Royaume-Uni, ce sont le coût du mégawattheure, le risque de construction et la qualité du financement qui sont en débat. Ce sont donc des facteurs de compétitivité économique, de qualité de design et des critères de sûreté qui sont privilégiés, la taille ne jouant que pour une faible part.

À l'autre extrême, 10 à 20 % du marché est « spécifique grande taille ». Par exemple, les pays scandinaves donnant des autorisations pour la construction d'un réacteur sur un site, mieux vaut maximiser la puissance de celui-ci. Voilà donc pour la dynamique de marché.

En ce qui concerne les réacteurs de 1 000 MW, je rappelle que la négociation avec la Turquie se déroule sous leadership japonais – il s'agit d'une négociation exclusive Japon-Turquie. Elle a été engagée sur la base de la construction de quatre ATMEA en Turquie. Par parenthèse, monsieur le rapporteur, si les aléas sismiques sont en effet plus importants dans ce pays qu'en Finlande, il existe des moyens d'en protéger les installations !

Nous développons donc l'ATMEA comme une voie complémentaire, également par paliers. D'une façon générale, nous travaillons sur les nouveaux réacteurs avec EDF, pour développer de nouvelles technologies et être capables de proposer des configurations nouvelles tous les trois ou quatre ans. Cette démarche s'applique aussi bien à l'EPR qu'aux 1 000 MW. Comme je l'ai dit, elle consiste à développer des briques technologiques qui viendront améliorer les produits, et ce toujours en partenariat, que ce soit avec le Japon ou avec la Chine.

S'agissant de l'EPR, ce sont plus de 150 ingénieurs qui vont se consacrer à la seule amélioration du design à moyen et long termes. L'effort est comparable à celui consenti sur l'ATMEA, sachant que l'EPR est dans une situation très différente puisque nous pouvons bénéficier du retour d'expérience des plus de 1 000 autres ingénieurs aujourd'hui mobilisés sur les projets d'Olkiluoto, de Flamanville et de Taishan.

Pour bénéficier de la courbe d'expérience dont vous parliez tout à l'heure et pour gagner plus de 25 % sur le coût de l'EPR, il importe aussi de mieux exécuter à design identique – autrement dit, de ne pas refaire les mêmes erreurs que sur les premiers réacteurs. Nous pouvons d'ores et déjà observer des progrès quantitatifs entre Olkiluoto 3 et Taishan : le nombre d'heures d'ingénierie sur notre périmètre chaudière a baissé de 60 % ; nous avons gagné 50 % sur le temps de construction, 40 % sur les temps de fabrication et jusqu'à 65 % sur les délais d'approvisionnement, notamment grâce à l'effet de série constaté chez les fournisseurs et intégré par les autorités de sûreté. Voilà pour le deuxième axe d'amélioration de la compétitivité de l'EPR.

Le troisième a trait au financement. Il est intéressant de noter que, dans le cas de la Turquie, l'exigence de 2 % de taux de rentabilité interne peut représenter jusqu'à 25 % du coût du mégawattheure. Autrement dit, celui-ci, à EPR identique, n'est pas le même avec un financement finlandais à 5 %, un financement britannique à 10 % ou un financement à taux normal en France. C'est pourquoi EDF fait preuve de prudence en matière de chiffres. Il en va de même pour les énergies renouvelables, compte tenu du poids de l'investissement dans le coût du mégawattheure. Il faut donc toujours comparer à hypothèse de rentabilité identique. C'est pour cela que M. Machenaud a bien situé la problématique de l'EPR d'Hinkley Point dans le contexte compétitif britannique pour confirmer que, dans ce cadre, avec les mêmes coûts et les mêmes taux de rentabilité, le nucléaire est bien compétitif vis-à-vis des autres moyens de production comme il l'est dans d'autres pays.

Toujours s'agissant du financement, j'appelle votre attention sur le fait que nos concurrents étrangers bénéficient de financements à l'export dans lesquels les États – Russie, Japon, mais aussi États-Unis – sont prêteurs directs. Cela ne concerne d'ailleurs pas que le nucléaire, mais tous les grands contrats à l'export. Le système d'export français passe, lui, par les banques. Or celles-ci sont sous très forte contrainte de bilan. Aujourd'hui, nos financements ne sont pas compétitifs en Inde – et dans d'autres pays. Les États-Unis, le Japon ou la Russie proposent en effet des financements à 4 % ou 4,5 %, quand nous sommes plus proches de 6,5 % ou 7 %. Cela affecte fortement la compétitivité de nos offres.

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