Ce n'est pas aussi simple que cela, et l'ASN va exiger des améliorations de l'EPR pour qu'il se comporte correctement en cas de cataclysme. Cela étant, on peut, en première approximation, estimer que vous avez raison.
Ces objectifs de 1993 ont été repris au niveau européen par l'Association des autorités de sûreté des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA) et complétés par des objectifs supplémentaires en termes de résistance à la malveillance, de gestion des déchets, de radioprotection et de management de la sûreté. Compte tenu de ces objectifs, il est clair pour l'ASN que le réacteur EPR marque, du point de vue de la sûreté, un progrès considérable par rapport au parc existant. Concrètement, dans le cadre d'un exercice de crise, un accident serait plus facile à gérer avec l'EPR qu'avec un réacteur où l'on ne pourrait empêcher la fusion du coeur, avec traversée de la cuve et risques de fuite à l'extérieur, comme à Fukushima.
La construction du réacteur nucléaire de Flamanville, engagée en 2007, est évidemment suivie par l'ASN, qui effectue sur le site une vingtaine d'inspections par an. Ces inspections ont permis de constater des problèmes mineurs et d'autres plus importants qui ont conduit l'ASN à arrêter le chantier et à soumettre sa reprise à autorisation. Je citerai, à titre d'exemple, des problèmes de soudage du liner, le revêtement interne de l'enceinte de confinement, en 2008, 2009 et 2010, ou des problèmes de génie civil : positionnement des câbles de précontrainte, nids de cailloux dans certaines parois, problèmes de fabrication du couvercle de cuve – lequel comporte davantage de conduits que les couvercles actuels – ou encore montage à l'envers de certaines vannes. Dans ce dernier cas, l'ASN a exigé qu'AREVA donne des explications sur les causes de cette erreur et fasse le nécessaire pour empêcher qu'elle se reproduise ; elle n'a autorisé la reprise du chantier qu'à partir du moment où elle a considéré qu'elle avait obtenu des garanties suffisantes.
Framatome, qui a construit les premiers réacteurs français, avait certes rencontré des problèmes identiques, mais EDF, pour expliquer ces incidents, met en avant la perte de compétences d'une industrie qui n'a pas construit de réacteurs depuis longtemps, les aléas liés à une première réalisation, la complexité de celle-ci et les d'études d'ingénierie exigées qui ont fait dériver le planning. S'il est facile en effet de parler de plans, de calculs et de procédures, la qualité d'une réalisation dépend en grande partie du savoir-faire dont elle a bénéficié. Or c'est une notion plus difficile à formaliser, à transmettre, et il faut sans cesse la réévaluer lorsque les objets changent. Quoi qu'il en soit, si l'ASN a bien constaté d'importants problèmes, qui ont été corrigés au prix d'un allongement des délais, elle n'a aujourd'hui aucun doute sur la qualité de la réalisation de l'EPR– et c'est là l'essentiel.
Pour l'ASN, un réacteur sûr, ce n'est pas uniquement un réacteur bien construit ; c'est un réacteur dont la sûreté est démontrable et pérenne. Cela exige certaines procédures d'examen, dont EDF devra fournir les justificatifs lors de la soumission du dossier de mise en service, fin 2014. La démonstration de sûreté a été examinée une première fois lors de l'étude du dossier d'autorisation de création, mais les documents administratifs qui seront fournis fin 2014 devront comporter d'importantes précisions techniques dans les domaines suivants : les études d'accident, qui démontrent qu'en cas d'accident dans le réacteur le système et les procédures de conduite garantissent la sûreté ; le programme des essais de démarrage, qui servent à vérifier, avant la mise en marche d'une installation nucléaire, que les performances attendues sont atteintes ; le plan d'urgence interne, qui détaille ce que l'exploitant doit faire en cas d'accident, et les règles générales d'exploitation.
Compte tenu du volume de travail à fournir, l'ASN a engagé dès 2011, avec l'appui de l'IRSN, l'examen anticipé de ces documents. Néanmoins, la poursuite des études et les aléas du chantier ont conduit à des évolutions et à des modifications qu'il faudra prendre en compte pour l'autorisation de mise en service définitive. Ce sont des circonstances assez classiques pour un prototype, mais l'ampleur de la tâche est telle que, dans la perspective d'une autorisation de mise en service prévue pour 2016, le planning est plus que tendu.
Le projet EPR français est couplé aux autres projets étrangers. L'ASN a des relations bilatérales avec toutes les autorités de sûreté des pays qui construisent ou envisagent de construire des EPR – non seulement la Finlande, évidemment, avec qui nous avons d'étroites relations, mais aussi le Royaume-Uni, la Chine, avec laquelle la collaboration n'est malheureusement pas aussi développée que nous le souhaiterions, et les Etats-Unis avec la NRC. Par ailleurs, plusieurs groupes de travail multilatéraux ont été mis en place.
À côté de l'EPR finlandais, extrêmement similaire au nôtre malgré quelques différences, il existe actuellement dans le monde trois types de réacteur à eau pressurisée dits de troisième génération : le réacteur russe AES-2006, d'une puissance de 1 200 MW ; le réacteur américano-japonais AP-1000 de la compagnie Westinghouse, en construction aux États-Unis et en Chine ; le réacteur coréen APR-1400, d'une puissance de 1 400 MW, en construction en Corée et dans les Émirats arabes. Il existe entre eux des différences significatives et, si nous avions à nous prononcer, je ne suis pas sûr que nous jugerions leur conception aussi robuste que celle de l'EPR. Il n'est pas certain que nous accepterions la démonstration selon laquelle, en cas de fusion, le coeur de l'AP-1000 reste dans la cuve et n'entre pas au contact du béton de l'enceinte. Nous ne l'accepterions probablement pas non plus pour l'APR-1400. Ces démonstrations ont un fort caractère probabiliste, peu conforme à notre conception de ce que doit être une démonstration de sûreté.