L'EPR a été conçu selon l'hypothèse, raisonnable, qu'en cas de fusion du coeur, la cuve sera traversée par le combustible fondu. Il est donc équipé d'un récupérateur de corium pour éviter la mise en pression de l'enceinte et la traversée du radier. Mais il existe d'autres solutions, et certains ingénieurs nucléaires travaillent à l'étranger sur le concept du maintien en cuve du combustible fondu, ce qui empêcherait des conséquences graves en cas d'accident sérieux puisque le combustible se refroidirait dans la cuve. Reste à démontrer cette théorie, avec des arguments plus solides que des arguments probabilistes. Cela nécessite, selon nous, une expérimentation grandeur nature, réalisée grâce à des simulateurs.
Nous avons toute confiance dans la démonstration de sûreté de l'EPR en cas de fusion du coeur, mais cela ne signifie pas que la sécurité ne peut pas être renforcée. Ce serait une tromperie d'affirmer que ce réacteur, conçu avant Fukushima, nous garantit de tout accident grave. En effet, si l'EPR a grandement diminué la probabilité d'accidents dus à des causes internes, les accidents liés à des événements externes de très grande ampleur – guerre ou bouleversement géologique important – ne peuvent être totalement exclus. Le bâtiment a été conçu pour résister aux chutes d'avion, mais se pose la question de la vulnérabilité des piscines de combustible usé. D'où la nécessité de poursuivre notre réflexion sur le « noyau dur » de sûreté que nous avons élaboré après l'accident de Fukushima et qui va s'appliquer à Flamanville.
Si la France veut optimiser économiquement et industriellement son équipement électronucléaire de troisième génération dans les meilleures conditions de sûreté, elle doit donc poursuivre sa réflexion sur le choix de gamme de puissance de ses réacteurs et sur l'usage éventuel de systèmes de sécurité passifs.
Pour ce qui concerne la quatrième génération, l'enjeu est triple : améliorer la sûreté ; économiser l'uranium naturel et obtenir, avec le plutonium, une énergie quasiment renouvelable ; résoudre la question des déchets. Atteindre ces objectifs exige cependant de lever d'importantes difficultés. La première touche aux réacteurs eux-mêmes. Il reste des verrous technologiques à faire sauter en matière de sûreté pour atteindre, voire dépasser, les objectifs de WENRA, que ce soit pour les réacteurs à sodium ou pour les autres. Sur les six filières de quatrième génération identifiées par la communauté internationale, certaines n'ont pas encore dépassé le stade du bureau d'études. L'IRSN a produit, il y a deux ans, un rapport que nous vous remettrons et qui compare les avantages et les inconvénients des différents concepts en termes de sûreté. Il en ressort que certains de ces concepts posent plus de questions qu'ils n'apportent de réponses.
Un changement de filière implique par ailleurs un autre cycle du combustible. Il ne suffit pas de construire des réacteurs, il faut fabriquer de nouveaux combustibles, qui apportent des bénéfices en termes de sûreté, mais au prix de profonds bouleversements industriels, en amont comme en aval.
Le passage à la quatrième génération suppose enfin des infrastructures de recherche dont nous ne disposons plus. Ces vingt dernières années, de nombreuses installations expérimentales du CEA ont été fermées, la filière des réacteurs à eau légère étant considérée comme mature. Pour des raisons de contrainte budgétaire, on a estimé que la modélisation et des essais menés à échelle réduite pourraient suffire. C'est ainsi qu'a été arrêté le réacteur expérimental Phébus, qui avait permis d'étudier les accidents provoqués par la fusion du coeur et de calculer les termes sources, fournissant des résultats qui ont été utilisés au moment de la catastrophe de Fukushima. Un autre réacteur, Cabri, qui sert à tester la capacité de résistance des combustibles nucléaires des réacteurs actuels à des pics de réactivité, notamment en fonction de la corrosion des gaines, est financé quasiment intégralement par l'IRSN, et nous avons les plus grands doutes sur son avenir. La quatrième génération implique donc de reconstituer toute une infrastructure de recherche.
En matière de déchets enfin, les réacteurs à neutrons rapides à l'étude en France n'apportent pas de progrès majeurs en matière de produits de fission dérivés de l'utilisation du combustible. Une filière de régénération et de retraitement des combustibles, qui reste à inventer et à financer, permettra de récupérer le plutonium, mais resteront les produits de fission dont la volumétrie ne sera pas très différente de celle obtenue avec les réacteurs à eau légère.
Si notre pays souhaite réellement développer, au-delà du prototype, les réacteurs de quatrième génération, cela mérite une étude d'impact qui intègre, au-delà des questions de sûreté, les aspects financiers et l'ensemble des enjeux qui dépassent le seul savoir-faire technologique. Cela ne m'apparaît envisageable ni à court ni à moyen terme ; tout au moins cela pourrait-il l'être à l'horizon d'un demi-siècle. D'ici là, se pose donc la question de l'approvisionnement énergétique de la France.