Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Réunion du 12 février 2014 à 16h30
Commission des affaires sociales

Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Je vous remercie de votre invitation, qui m'honore. Sur les sujets dont nous allons parler, votre commission est très active et notre collaboration est étroite, notamment avec Martine Carrillon-Couvreur, présidente du Conseil national consultatif des personnes handicapées, Martine Pinville, avec laquelle je travaille sur le plan autisme, et Christophe Sirugue, auteur d'un rapport sur le RSA.

La crise que traverse notre pays oblige chacun et chacune d'entre nous à faire preuve de solidarité, davantage encore que dans les périodes plus prospères. Car c'est dans les moments de crise que les personnes les plus vulnérables chutent ou risquent de chuter, que la défiance, que la violence se déchaînent. Voilà pourquoi nous avons particulièrement besoin d'une véritable politique de solidarité : c'est elle que nous souhaitons, elle que nous construisons ensemble.

Sans aborder tous les sujets prioritaires, je vous présenterai les principaux aspects de mon action récente.

S'agissant d'abord de la maltraitance individuelle, je me suis rendue la semaine dernière à Grenoble pour expliquer que filmer l'agression d'un jeune homme handicapé n'est en rien un exploit ou un fait d'armes dont on pourrait se glorifier, mais une faillite morale dont nous sommes tous responsables, car elle porte en puissance celle de notre société. C'est mon rôle, c'est notre rôle que de rappeler en toute occasion les valeurs républicaines. Nous, pouvoirs publics, élus, État, devons être particulièrement protecteurs.

Rappelons également l'affaire Amélie Locquet, jeune femme en situation de polyhandicap que l'on se passait d'un établissement à l'autre comme une patate chaude, si vous me permettez l'expression – une expression employée par les professionnels eux-mêmes, qui n'en peuvent plus, comme les parents qui ne parviennent pas à trouver une place pour leur enfant, comme l'enfant qui, à son tour, craque. Pour remédier à ce type de situation, j'ai instauré un dispositif de vigilance qui doit garantir une prise en charge dans les cas extrêmes ; d'abord créé au niveau départemental, il sera ensuite étendu au niveau régional, puis au niveau national. Nous verrons s'il faut changer la réglementation ou la loi afin d'obliger les établissements privés – de manière nécessairement limitée, à la différence des établissements publics – à recueillir une personne en grande difficulté psychologique, sociale ou familiale.

J'ai été, comme vous tous, choquée du récent reportage télévisé qui montrait des cas de maltraitance au sein même des établissements. La grande majorité des établissements français est d'excellente qualité. Les critères requis pour les ouvrir sont extrêmement rigoureux, plus que dans d'autres pays. Cette émission révèle toutefois que certains d'entre eux passent entre les mailles du filet. Pourquoi ? Voilà ce qu'il me faut déterminer.

Le premier établissement dont il était question dans ce reportage se trouve en Belgique. Grâce au comité de suivi résultant de l'accord-cadre entre la France et la Wallonie que vous avez voté, nous allons pouvoir mener des investigations réciproques. Nous allons envisager d'autres accords-cadres afin de déterminer qui paie, comment, et combien de personnes sont prises en charge. Loin de moi l'idée de stigmatiser les Belges, plutôt précurseurs en matière d'accueil d'enfants handicapés, notamment autistes. Mais, parce que les départements rémunèrent mieux la prise en charge de ces derniers que ne le fait l'Awiph, l'Agence wallonne pour l'intégration des personnes handicapées, les Belges ouvrent souvent des « boîtes à Français » – je sais que l'expression a déplu –, dans le seul but, parfois, de faire de l'argent en profitant de la misère des gens. Le phénomène régresse dans certains départements, mais, depuis la région Île-de-France, on continue d'envoyer des personnes de l'autre côté de la frontière. Je ne veux pas fermer les yeux sur ces cas. Il n'est pas normal que des familles comptant des enfants ou de jeunes adultes en situation de handicap soient obligées de procéder ainsi. Nous pouvons leur offrir des solutions, nous avons progressé sur certains points, et je veux poursuivre sur cette voie.

La deuxième affaire est ancienne. Je ne le dis pas afin d'en rendre responsable le précédent gouvernement, car cela pourrait nous arriver à nous aussi. Elle relève de la justice, comme tous les cas de ce genre le devraient en dernière instance.

La troisième affaire concerne l'établissement privé du Moussaron, dans le Gers, que j'ai placé sous administration provisoire dès que j'ai été informée des difficultés – c'est le mot, car il ne s'agit pas véritablement de maltraitance – par un rapport d'inspection. Celui-ci faisait suite à trois autres, ce qui signifie qu'à trois reprises, la structure est passée entre les mailles du filet.

Nous allons demander par voie de circulaire, signée par Marisol Touraine et par moi-même, que la loi de 2002, soit respectée sans exception – n'est-ce pas, en effet, le b.a.-ba de la République ? Cette loi subordonne le renouvellement des agréments à une évaluation externe réalisée par un organisme indépendant. C'est le moment ou jamais de l'appliquer puisque l'agrément de nombreux établissements arrive actuellement à échéance. Or à peine 30 % des établissements se soumettent à cette obligation.

J'ai également souhaité qu'il soit procédé à des contrôles inopinés, allant d'une ou deux heures à une demi-journée, peu coûteux pour les agences régionales de santé (ARS) qui connaissent parfaitement le terrain et savent dans quels établissements aller.

Je veux aussi protéger la parole des parents et des salariés, qui, souvent, n'osent pas dénoncer ces situations, de peur de voir leurs enfants jetés à la rue, pour les uns, de perdre leur emploi, pour les autres. Je favoriserai donc les appels anonymes sur le modèle du 119 ou du 3977. Avec Michèle Delaunay, nous avons créé un numéro d'appel réservé à la maltraitance au sein des établissements. Nous allons signer des chartes concernant l'ensemble des établissements afin que cette disposition se reflète dans les projets d'établissement et dans les livrets d'accueil. En effet, les signalements sont très rares, ce qui n'est pas normal. La loi sur l'avancée en âge que prépare Michèle Delaunay obligera à signaler les cas de maltraitance aux ARS et aux conseils généraux. Bref, nous nous efforçons de recoudre les mailles du filet afin que cette situation ne se reproduise pas.

J'en viens au « gros » dossier, celui de l'accessibilité. Nous devons protéger de la discrimination les personnes en situation de handicap, leur assurer les mêmes droits que les valides – en somme, là encore, faire respecter la loi. Je veux parler cette fois de la loi de 2005, une grande loi de la République dont nous venons, en effet, de fêter le neuvième anniversaire et qui, sur le terrain, peine à s'appliquer. Bien qu'elle ait permis des avancées dans de nombreux domaines, nous restons très en retard. Or il y va de la crédibilité de la parole politique : ce que le Gouvernement décide, ce que les parlementaires votent doit être mis en oeuvre.

Dans ce domaine, nous devons donc agir vite et efficacement. Nous ne saurions déroger au respect de la date fixée par la loi, celle du 1er janvier 2015. Nous constatons toutefois que la majorité des établissements, qu'ils soient publics ou privés, ne seront pas prêts à temps. Nous allons donc faire en sorte que, pour autant, 2014 ne soit pas une année blanche, en aidant, notamment financièrement, par le biais de la Caisse des dépôts et consignations et de la Banque publique d'investissement, ceux qui sont susceptibles d'atteindre l'objectif. Mille ambassadeurs de l'accessibilité, volontaires du service civique formés à cette fin, vont être déployés partout en France, pour accompagner sur cette voie non les grandes institutions, les grandes entreprises ou les grosses communes, qui ont les moyens d'agir, mais les petits commerces, les petits villages. Vous serez tenus informés de leurs démarches dans chacun de vos territoires.

Parce que nous voulons agir vite, nous procéderons par ordonnance. Le projet de loi d'habilitation soumis au Parlement définira le périmètre des ordonnances, le délai au terme duquel elles seront adoptées en Conseil des ministres, ainsi que le délai qui séparera leur publication du dépôt devant le Parlement du projet de loi de ratification. Le débat commencera au Sénat, à la fois parce que son agenda s'y prête et parce que les collectivités territoriales sont particulièrement concernées.

L'accessibilité est universelle : elle ne se limite pas à celle des transports et des établissements recevant du public, même s'il s'agit du principal problème auquel nous sommes collectivement confrontés. Voilà pourquoi j'ai créé un statut des chiens d'aveugle et, à titre expérimental, une plateforme téléphonique destinée aux sourds et aux malentendants, et signé une charte afin de développer l'accès aux métiers de l'audiovisuel.

L'objectif de simplification des normes et des procédures, autre sujet d'actualité, vaut – on ne le dit pas assez – en matière sociale comme en matière économique. Nous devons lutter contre la violence institutionnelle dont sont victimes les plus faibles et les plus démunis, tenus à un véritable parcours du combattant pour obtenir ce à quoi ils ont droit, ce qui est humiliant et entraîne un taux de non-recours très élevé. La bureaucratie se nourrit d'elle-même : personne n'est responsable ; c'est un véritable engrenage qui alourdit les procédures et emporte de graves conséquences pour nos concitoyens.

Nous travaillons donc sur le dossier unique, qui fait l'objet d'une expérimentation dans deux départements volontaires : la Loire-Atlantique et la Seine-et-Marne. Distinct du guichet unique, avec lequel il ne doit pas être confondu, ce dispositif permet aux personnes concernées de remplir un seul dossier, le plus simple possible, afin d'éviter de faire le tour des différentes administrations. Cela devrait aller de soi, mais chaque administration a ses propres procédures et les aides n'ont pas les mêmes bases. La simplification prendra donc beaucoup de temps. Cela étant, nous progressons. Il le faut, car la simplification est pour tout le monde, et notamment pour nos concitoyens qui en ont le plus besoin.

Je veux enfin protéger de la pauvreté les travailleurs modestes et précaires. Pour cela, nous devons améliorer le fonctionnement du RSA activité et de la prime pour l'emploi (PPE). Christophe Sirugue y a beaucoup travaillé. Je veux naturellement accompagner les plus pauvres et les plus démunis, mais aussi les précaires, qui ont un métier mais des fins de mois difficiles. Tel est le sens du projet de fusion entre les deux prestations. Lors de sa dernière conférence de presse semestrielle, en janvier, le Président de la République a rappelé l'intérêt de cette réforme, qui sera incluse dans la remise à plat de la fiscalité annoncée par le Premier ministre. Elle permettra de remédier au problème du non-recours au RSA activité et d'intégrer les jeunes, très peu pris en considération aujourd'hui. Bref, il s'agit d'une vraie et belle réforme sociale.

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