Intervention de Marie-Arlette Carlotti

Réunion du 12 février 2014 à 16h30
Commission des affaires sociales

Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des affaires sociales et de la santé, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion :

Madame la présidente, je sais que vous n'aimez guère les ordonnances. C'est pourquoi j'ai pris des précautions en vous annonçant que nous allions y recourir. Mais il y a urgence, et nous ne voulons pas ouvrir la boîte de Pandore en relançant le débat. Je sais que la commission des affaires sociales jouerait le jeu, mais qu'en serait-il ailleurs ? Or je tiens à respecter tout le monde : les professionnels, les petits commerces, le tourisme, les collectivités territoriales qui connaissent aujourd'hui de grandes difficultés et qui demandent des moyens financiers supplémentaires ; mais aussi la loi de 2005 et les personnes en situation de handicap.

Le projet doit être déposé au Sénat en mai 2014, de sorte que les ordonnances puissent être actées vers le mois de juillet. Ainsi, de juillet à la fin de l'année, nous pourrons accompagner les structures qui sont près d'atteindre l'objectif fixé au 1er janvier 2015, grâce à des outils financiers que nous sommes en train d'élaborer.

Même si elles ne relèvent pas de la loi, je tiens à vous informer de nos négociations avec l'ensemble des partenaires. Les médecins libéraux sont extrêmement frileux, ce qui est logique étant donné que la négociation n'est pas achevée ; ils disent avoir beaucoup de mal à rendre leurs cabinets accessibles. Mais l'accès aux soins constitue un droit universel. Les propositions que nous allons formuler pour résoudre ce problème devraient plaire à tout le monde sans satisfaire personne, puisqu'il s'agit d'un compromis.

Deux groupes de travail se sont réunis. Le premier concerne les Ad'AP, sortes de contrats passés avec les structures pour leur permettre de gagner, moyennant des contraintes particulières, trois à six ans, voire davantage selon les résultats de la discussion en cours, dont je vous informerai précisément dès qu'ils seront connus. Les Ad'AP doivent être couverts par la loi, afin de protéger ceux qui les auront signés ; un calendrier détaillé sera fixé, assorti de sanctions pour ceux qui, cette fois, ne le respecteraient pas. Le second groupe de travail porte sur la simplification des normes, non pour revenir en arrière, mais pour y voir plus clair, et surtout pour tenir compte de toutes les formes de handicap. Nous verrons ce que donnera cette négociation très tendue ; nous ne devons plus attendre, car plus elle traîne et plus chacun tend à revenir à sa position de départ. Il faut donc aboutir, quitte à ce que cela entraîne quelques grincements de dents.

C'est la sénatrice Claire-Lise Campion qui a mené les discussions. Nous aurons demain matin une réunion avec les associations. Chaque ministre concerné organise des réunions dans son champ de compétence, afin que le dispositif soit approuvé par tous. Si nous ne procédons pas ainsi, nous ne parviendrons de toute façon pas à l'accessibilité le 1er janvier 2015. Nous jouons donc la carte du réalisme, en recherchant un compromis que la société tout entière puisse assumer, en vue de devenir la société inclusive que nous appelons de nos voeux.

Madame Carrillon-Couvreur, les référents sont enfin installés dans chaque cabinet ministériel. Après l'inclusion du volet handicap dans chaque projet de loi, leur présence nous permettra d'être encore plus vigilants.

Madame Poletti, il faut sans cesse remettre l'ouvrage sur le métier car le chemin est long qui mène à la société inclusive et solidaire que nous voulons.

La réforme de la tarification est une question récurrente et urgente. Nous avons été condamnés à propos du programme 2012, nous allons sûrement l'être à nouveau en 2013 même si j'ai introduit plus de flexibilité dans le programme. Nous avons enfin réuni un groupe de travail chargé d'étudier cette réforme, mais cela prendra du temps. Les ESAT seront prioritairement concernés. Pour l'année qui s'ouvre, je souhaite donner plus de latitude aux ARS et leur permettre d'étudier la situation sur le terrain.

Le taux d'emploi des personnes en situation de handicap est à peu près équivalent dans le public – 4,5 % – et dans le privé – 3 % environ. Les collectivités territoriales ne sont pas en reste de ce point de vue. En revanche, ce taux ne dépasse pas 1,5 % dans l'éducation nationale. La raison principale en est la difficulté à recruter des personnes en situation de handicap dans le corps professoral. Mais le problème de l'accès à l'emploi se pose dans tous les secteurs. C'est d'emblée, lors de la formation initiale, que l'on peut le résoudre en prévenant l'autocensure. Tel est le sens des protocoles que j'ai signés hier avec le monde des médias. Je signe également une nouvelle convention avec le fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique, le FIPHFP, afin de soutenir une formation particulière destinée aux personnes en situation de handicap, notamment à l'école.

En ce qui concerne la barrière d'âge, dans le contexte d'allongement de la durée de la vie, la plupart des établissements pour personnes handicapées gardent leurs pensionnaires après 60 ans. S'agissant des dispositifs d'aide, la question de la retraite n'entre pas en compte pour celles de ces personnes, nombreuses, qui n'ont pas travaillé. Quant aux personnels handicapés, la réforme leur ouvre l'accès à une pension à taux plein, sans condition de durée, dès 62 ans au lieu de 65.

Madame Poletti, non seulement j'ai vu le documentaire d'Églantine Emeyé, mais j'ai rencontré la réalisatrice, mère d'un enfant autiste et polyhandicapé. À ce sujet, Mme Cattan le sait comme vous tous, le troisième plan autisme généralise l'expérimentation lancée dans certains établissements par ma prédécesseure, à qui je tiens à rendre hommage, en application des préconisations formulées par la Haute autorité de santé (HAS) afin d'assurer une prise en charge spécifique de l'autisme. Les mesures du plan incluent en outre la prévention précoce, le dépistage dès 18 mois, le renforcement des Centres ressource autisme (CRA), le fait d'y associer les parents aux décisions. Le plan va débuter ; les financements ont été notifiés à l'ensemble des ARS ; 3 500 places vont ouvrir, pour les enfants et les adultes ; les appels à projet sont en cours. Malheureusement, pour Églantine, comme pour les autres mamans d'enfants autistes, tout cela prend du temps. Nous créons aussi 350 lieux de répit, où poser son enfant pour souffler un peu ; il n'en existe que 40 aujourd'hui. Ce sera encore trop peu, mais nous progressons énormément. Les places en unité d'enseignement en maternelle seront prêtes pour la rentrée prochaine. Dans une classe de maternelle par académie – par la suite, une par département –, des enfants autistes seront ainsi pris en charge par un professeur des écoles et par une équipe médico-sociale, grâce au budget que vous avez voté. Bref, le plan, qui inclut aussi la formation des enseignants et des accompagnants, est plutôt complet.

Dans quinze jours, nous disposerons de son premier bilan. Votre collègue Martine Pinville, membre de cette commission et présidente du Conseil national de l'autisme, pourra vous en rendre compte. Je tiens en effet à un suivi permanent, sans quoi nous reviendrons en arrière. Mon objectif est que cela n'arrive plus, que nous n'ayons plus à voir des films comme celui d'Églantine Emeyé. Évidemment, pour elle, il y a urgence, car c'est aujourd'hui qu'elle se trouve dans la situation décrite.

Nous ne créons pas seulement de nouvelles places, nous réhabilitons l'existant pour tenir compte de la spécificité de l'autisme et appliquer les méthodes de la HAS. Car il faut deux ou trois ans pour qu'une place s'ouvre, ce qui est très long.

En ce qui concerne la programmation budgétaire, monsieur Paul, le plan de création de places entamé en 2008 se poursuit. Nous lui consacrons 215 millions d'euros cette année. 16 000 places supplémentaires seront créées d'ici à 2016. Elles s'ajoutent à celles qui sont prévues dans le cadre du plan autisme, lequel est pour sa part doté de 205 millions d'euros, ce qui représente un effort considérable. Le budget global consacré au handicap est stable ou augmente ; cela ne s'explique pas seulement par l'allongement de la durée de la vie, mais bien par le fait que, sur un enjeu de cette importance, le Gouvernement ne recule pas.

Il est exact que le rôle des ARS est d'assurer l'équilibre territorial et d'étudier les problèmes d'ouverture de places, à la lumière de leur connaissance des établissements. Je dois y veiller, en étant plus ferme et plus exigeante à leur égard ; c'est à cette fin que je les ai réunies plusieurs fois. Marisol Touraine me soutient dans cette démarche. Il me faut en effet les recentrer sur le volet médico-social, qui n'est pas leur première préoccupation à toutes – ce qui peut se comprendre étant donné l'importance des questions de santé. Je vous invite à les interpeller, vous aussi, dans vos territoires respectifs, à propos des établissements qui n'ouvrent pas en temps et heure ou des crédits qui leur sont notifiés. N'hésitez pas à me demander des informations sur ce dernier point, pour les opposer à vos interlocuteurs qui écarteraient des projets au motif que l'on n'aurait pas besoin de créer des places pour les autistes. Si nous lançons ce plan de rattrapage, c'est bien parce que notre pays souffre d'un déficit de places.

Le prélèvement de l'épargne des personnes handicapées en compensation des aides perçues m'a également été signalé, monsieur Paul, en un seul endroit : celui que vous avez cité. Cette pratique me paraît, comme à vous, extrêmement choquante. Les textes étant, semble-t-il, imprécis à ce sujet, nous allons prendre contact sans tarder avec le conseil général pour la faire cesser, ou tout au moins l'encadrer.

S'agissant du dispositif RSA-PPE évoqué par Christophe Sirugue, nous y tenons car il est important d'accompagner des personnes en difficulté qui ont repris une activité. Votre projet, monsieur le député, agrée à tous ; à l'analyser, on constate que, contrairement à ce que l'on nous a prétendu à une certaine époque, la réforme ne devrait pas créer de perdants. Ce projet ouvre à tous les actifs, dès 18 ans, l'accès au dispositif ; il permet une individualisation du droit propice à l'émancipation, une simplification, un meilleur ciblage des travailleurs pauvres à l'heure où le taux de non-recours au RSA activité est préoccupant et où la PPE est gelée ; il évite de stigmatiser le pauvre, d'en faire un fraudeur, un voleur, nuisible à la société.

La réforme de la gouvernance territoriale constitue l'acte II du plan contre la pauvreté. C'est à cette fin que nous avons missionné François Chérèque. J'ai également travaillé avec Claudy Lebreton afin d'appeler les présidents de conseils généraux à se mobiliser collectivement. Nous devrions progresser sur ces points au cours de l'année.

En ce qui concerne l'aide alimentaire, j'ai fait ce qui était de mon ressort. Je ne dispose pas d'informations sur le suivi de l'élargissement prévu concernant les agriculteurs, mais je vais me renseigner auprès de Stéphane Le Foll. Je vous remercie de votre mobilisation sans précédent qui, ici comme au Parlement européen, a transcendé les clivages politiques et qui, jointe à celle des associations et relayée par le Président de la République au plus haut niveau, a permis de sauver le FEAD, le Fonds européen d'aide aux plus démunis. Nous avons constaté que les achats de denrées étaient assujettis à la TVA ; nous compensons à l'euro près la baisse de dotation qui en résulte. Nous avons découvert qu'il n'était pas possible de financer les épiceries sociales et solidaires parce que l'Union européenne n'accepte pas que l'on vende des produits relevant de l'assistance alimentaire, fût-ce pour un euro symbolique ; nous compensons le manque à gagner pour ces structures afin de sauver ce modèle. Nous avons ainsi voulu faire comprendre à l'Europe qu'elle ne pouvait, surtout à la veille des élections, tourner le dos aux plus faibles et aux plus démunis des citoyens européens.

S'agissant de l'accès aux droits, le dossier unique représente un progrès. Quant aux 100 000 rendez-vous des droits qui auront lieu cette année, nous allons les développer avec l'ensemble des caisses de sécurité sociale, à partir de l'expérience du réseau de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA). Il s'agit d'aider les personnes de manière globale et collective. Dans cette démarche, le recours à l'outil informatique n'empêche pas la rencontre personnelle. La confidentialité sera préservée. L'essentiel est que les personnes qui s'adressent à une caisse de sécurité sociale aient accès à l'ensemble de leurs droits.

Monsieur Tian, le dossier unique vise à éviter aux demandeurs de faire le tour du pâté de maisons ; il ne les dispense pas de produire des justificatifs ! Simplement, on ne leur demandera plus de présenter trois fois la même pièce ni des pièces que l'on ne fournit plus, à l'image de l'avis de non-imposition requis pour bénéficier de la garantie jeunes – c'était une erreur dont je suis responsable.

Le rapport de la Cour des comptes que vous citez ne dit pas qu'il ne faut pas aider les personnes en situation de handicap, mais que les dispositifs sont complexes, redondants et mal orientés ; que les aides sont efficaces, mais qu'elles devraient être plus efficientes. Nous continuerons donc de soutenir ces personnes, en simplifiant les dispositifs.

Les assises nationales du travail social, prévues pour novembre 2014 par le plan contre la pauvreté, visent à montrer aux travailleurs sociaux que leur métier pluridimensionnel est un maillon indispensable de l'action publique, à leur permettre de parler de leur formation, de leur orientation, à les valoriser. Lorsque les choses vont mal, ce sont eux qui restent au front. Longtemps, ils ont été, dans les quartiers, dans les campagnes, les seuls à lutter contre la pauvreté et contre la précarité. Quand on a stigmatisé les pauvres, qu'on les a traités de voleurs, ces professionnels, qui travaillent avec eux, ont subi la dépréciation de leur métier. L'affaire est mal partie, de manière trop administrative. Je veux en reprendre le pilotage pour que le dispositif soit mieux connu et plus efficace. Les assises seront diffusées dans l'ensemble des territoires ; je vous fournirai toutes les informations nécessaires à ce sujet.

Sur l'accessibilité dans le domaine électoral, des fiches existent déjà qui sont à votre disposition. Mme Orliac nous aidera à approfondir cette question qui nous intéresse tous.

Je reste à votre disposition pour préciser certains points ou remédier à d'éventuels oublis.

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